Originaire de Shaoxing (Zhejiang), mais élevé dans le Shanxi, Yu Jinhe sort diplômé en 1906 du Centre de formation de la gendarmerie (kenpei renshūsho 憲兵練習所) de Tokyo, avant d’intégrer la prestigieuse École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校), dont il sort en 1911. De retour en Chine, il enseigne à l’École de gendarmerie (xianbing xuexiao 憲兵學校), encadrement notamment le recrutement d’instructeurs japonais à partir de 1919. Yu sert également comme conseiller au ministère de l’Armée (lujunbu canshi 陸軍部參事), alors dirigé par Jin Yunpeng 靳雲鵬 (1877-1951), dont il devient le chef d’état-major et le principal conseiller pour les relations avec le Japon durant ses mandats comme premier ministre (1919-1921). Au lendemain de la rétrocession de l’ancien territoire à bail allemand de Qingdao par le Japon en 1922, il prend la tête du Bureau des affaires portuaires (gangzhengju 港政局) de la ville, avant d’être recruté par la Compagnie Luda (Luda gongsi 魯大公司) dont l’un des fondateurs n’est autre que Jin Yunpeng. Cette entreprise sino-japonaise a été créée fin 1922 à la faveur des négociations entre Pékin et Tokyo prévues par la Conférence de Washington. Largement financée par la Mantetsu 満鉄 (Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien), elle permet au Japon de continuer à exploiter les anciennes mines allemandes de charbon, tout en enrichissant les militaristes et bureaucrates locaux. Dès cette époque, Yu est réputé dans les cercles lettrés pour ses talents de poète et de calligraphe.
Yu Jinhe retourne dans l’administration publique en février 1931 comme conseiller du gouvernement municipal de Qingdao et chef de son Bureau de la police (gong’anju 公安局). En septembre 1933, il est recruté par la municipalité spéciale de Beiping (Pékin) pour remplacer le général Bao Yulin 鮑毓麟 (1897-1995) au poste de chef du Bureau de la police. Cette décision prise par Nankin d’écarter un homme nommé trois ans plus tôt par Zhang Xueliang suscite quelques remous qui s’inscrivent dans un mécontentement plus large face aux nouvelles autorités nationalistes. Une foule d’un millier de personnes se présentant comme les délégués de résidents pékinois et de réfugiés mandchous occupe le Bureau de la police pour s’opposer au départ de Bao. Le maire de Pékin, Yuan Liang 袁良 (1883-1953), tente de calmer les manifestants en donnant un congé maladie de deux semaines à Yu et en promettant de consulter Nankin. Mais le départ de Bao est exigé par Huang Fu 黄郛 (1880-1936), originaire comme Yu de Shaoxing, qui vient de prendre la tête du Comité de règlement politique du Yuan exécutif à Beiping (xingzhengyuan zhuping zhengwu zhengli weiyuanhui 行政院駐平政務整理委員會). À la tête de la police de Pékin, Yu s’arroge un pouvoir qui dépasse ses prérogatives et empiètent sur celle du chef local de la gendarmerie (xianbing silingbu 憲兵司令部) Jiang Xiaoxian 蔣孝先 (1899-1936), ce qui amène le supérieur de ce dernier, Shao Wenkai 邵文凱 (1887-?), à se plaindre. Après avoir démissionné de son poste en août 1935, Yu occupe brièvement le poste de maire de Xiamen, en décembre 1935. L’année suivante, il intègre le ministère des Affaires étrangères en tant que chargé de mission (waijiaobu tepai zhuanyuan 外交部特派專員).
Au début de la guerre sino-japonaise, Yu retourne dans le Nord. Les circonstances exactes dans lesquelles il succède en janvier 1938 à Jiang Chaozong au poste de maire de Pékin (Beijing tebieshi gongshuzhang 北京特別市公署長) – charge qu’il cumule avec celle de chef de la Police (jingchaju juzhang 警察局局長), ne sont pas très claires. On peut néanmoins supposer que ses liens avec le chef de l’exécutif du Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府), Wang Kemin, également originaire du Zhejiang et qu’il a côtoyé en 1933-1935 à Pékin, ne sont pas étrangers à cette nomination. En outre, Yu est sans doute bien connu du principal “conseiller” du Gouvernement provisoire, Kita Seiichi, lequel est sorti un an après lui de l’École d’officiers de l’armée de terre. Peu après sa prise de fonctions, Yu pointe les difficultés financières auxquelles doit faire face le gouvernement municipal, dont les revenus sont à peine suffisants pour payer les salaires de ses fonctionnaires, alors même qu’il doit rembourser le prêt avec intérêts de 3 millions de yuans contracté par ses prédécesseurs. Dans ces conditions, la pression fiscale sur les habitants de Pékin s’accroît, tandis que la pauvreté s’étend. Yu réquisitionne un bâtiment de la Prison n°1 du Hebei pour y loger des mendiants arrêtés par les policiers sous ses ordres. L’internement de cette population qui atteint rapidement environ mille individus, se fait dans des conditions sanitaires désastreuses, entraînant la mort d’une partie d’entre eux. Yu n’en décide pas moins de transformer cette structure censée être temporaire en une institution pérenne. Au bout de six mois, les détenus sont triés : ceux ayant de la famille à Pékin sont libérés sous caution tandis que les autres sont placés dans des agences de recrutement pour ouvrier ou dans des structures humanitaires pour les plus faibles. Sous la pression des autorités de Nankin, qui cherchent à étendre leur contrôle sur le Nord, il est envisagé en décembre 1942 que Yu Jinhe et le maire de Nankin, Zhou Xuechang, échangent leur place. Au moment du remaniement de janvier 1943, qui voit arriver Zhu Shen à la tête du Conseil des affaires politiques de Chine du Nord (Huabei zhengwu weiyuanhui 華北政務委員會), Yu Jinhe doit finalement laisser le poste de maire de Pékin à Su Tiren. En compensation, il est promu de simple membre du comité du Conseil des affaires politiques de Chine du Nord à membre du Comité permanent (changwu weiyuan 常務委員). Il obtient, par ailleurs, la charge de commissaire du Bureau général de la construction (jianshe zongshu duban 建設總署督辦) à Pékin et un siège au Comité national économique (quanguo jingji weiyuanhui 全國經濟委員會) du Gouvernement national réorganisé de Nankin.
Après la capitulation du Japon en août 1945, Yu s’installe à Tianjin où il est arrêté par les autorités nationalistes en décembre. Il est détenu à Nankin à la “Prison du pont aux tigres” (laohuqiao jianyu 老虎橋監獄), dans une aile du bâtiment construite par les Japonais pour les pilotes américains, aux côtés d’une soixantaine de dirigeants du Gouvernement national réorganisé, tels que Zhou Fohai arrivé en septembre 1946. Le 5 février 1947, Zhou rapporte dans son journal de prison que trois codétenus, parmi lesquels Yu Jinhe, qui se sont vus refuser des soins par la Haute cour de justice de Nankin alors qu’ils étaient malades, sont morts au bout de trois jours.
Sources : Xu Youchun 2007, p. 699 ; SSY, p. 195 ; SKY, p. 74-75 ; Wright 1980 ; The North China Herald, 22/02/1919, 04/10/1933, 23/02/1938 ; The China Press, 10/09/1933, 12/09/1933, 15/09/1933, 30/09/1933 ; The China Weekly Review, 16/09/1933, 03/08/1935, 07/12/1935, 12/03/1938 ; Wakeman 2003, p. 122 ; MZN, p. 1056-1059, 1138-1139 ; Chen Janet 2013, p. 135 ; ADF 327, 07/12/1942 ; WGQY, p. 1614 ; ZR, p. 706, 1051, 1056.
[parfois écrit 矢崎堪什]
Diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1914 et de l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校) en 1924, Yazaki Kanjū sert notamment dans l’Armée du Guandong (kantō-gun 関東軍) au moment de l’invasion de la Mandchourie fin 1931. Pendant la guerre sino-japonaise, il entretient d’excellentes relations avec l’entourage cantonais de Wang Jingwei. Cherchant à prendre le contrôle du Guangdong aux dépens des collaborateurs locaux comme Peng Dongyuan, Chen Bijun obtient le départ de leur principal soutien, le colonel Nakano Hidemitsu 中野英光 (1890-1982). Yazaki remplace ce dernier à la tête de l’Agence des services spéciaux (tokumu kikan 特務機関) de Canton en mars 1940. Il est promu général de brigade (shōshō 少将) en juin.
Début 1942, il est nommé à la tête du département des affaires générales et des affaires civiles du Gouvernorat militaire japonais de Hong Kong. Disciple d’Ishiwara Kanji, il rédige en février un mémorandum prônant une politique de conciliation afin de gagner le soutien de la population locale. Dans les faits, les personnalités chinoises restées coincées dans la colonie britannique sont contraintes de rallier le gouvernement de Nankin. Yazaki est régulièrement en contact avec Chen Bijun et sait se faire apprécier de l’épouse de Wang Jingwei. En septembre 1942, elle écrit à Wang pour qu’il tente d’empêcher la mutation de Yazaki à Tokyo, soulignant qu’il s’est efforcé d’aider la Chine.
Élevé au grade de général de division (chūshō 中将) en juin 1944, Yazaki est nommé, le 30 août, conseiller militaire suprême (saikō gunji komon 最高軍事顧問) auprès du Gouvernement national réorganisé de Nankin ; poste qu’il conserve jusqu’au 23 avril 1945. À défaut d’un retour espéré de Kagesa Sadaaki, Yazaki apparaît alors comme la meilleure option possible aux yeux de Zhou Fohai en raison, écrit-il dans son journal personnel, de son « grand respect pour la Chine » et de sa proximité avec Wang Jingwei et son épouse. Au printemps 1945, Yazaki est détaché à l’Inspectorat de la formation militaire (kyōiku sōkanbu 教育総監部), alors dirigé par Doihara Kenji. Après-guerre, il dirige l’Association d’industrie et de commerce est-asiatique (tōa kōshō kyōkai 東亜工商協会), qui trouve son origine dans le Club de Chine du Sud (Kanan kurabu 華南クラブ). Fondée en 1959, elle compte jusqu’à 300 membres, japonais et chinois, parmi lesquels des dirigeants nationalistes n’ayant pas collaboré, comme l’ancien maire de Canton Liu Jiwen 劉紀文 (1890-1957), mais aussi d’anciens collaborateurs qui partagent l’anticommunisme des premiers. L’une de ses principales activités consiste à venir en aide à ces anciens collaborateurs, notamment en les accompagnant dans leurs démarches pour prolonger leur titre de séjour. L’Association d’industrie et de commerce est-asiatique trouve ainsi son prolongement dans l’Association de bon voisinage (zenrin yūgi-kai 善隣友誼会) fondée en juin 1959 à l’initiative de Shimizu Tōzō, dont Yazaki devient l’un des principaux cadres.
Sources : NRSJ, p. 160, 331 ; Yick 2014, p. 71 ; Snow 2003, p. 91 sqq. ; AH 118-010100-0024-050 ; ZR, p. 919 ; Seki 2019, p. 468, 470.
Fils d’un grand propriétaire foncier de Huangpi (Hubei), Ye Peng sort diplômé de l’Académie militaire de Baoding (Baoding lujun junguan xuexiao 保定陸軍軍官學校) en 1912. Commandant de régiment dans la XIIIe armée du GMD en 1929, il se distingue dans la lutte contre les Communistes. Devenu gouverneur du Hubei, son protecteur Xia Douyin 夏斗寅 (1885-1951) le recommande à Jiang Jieshi pour le poste de commandant de la garnison (jingbei siling 警備司令) de Wuhan en 1931. Il bénéficie également du soutien de He Yingqin 何應欽 (1890-1987), dont l’épouse est très proche de la sienne. Plein d’ambitions, Ye Peng pâtit toutefois de n’appartenir à aucune faction. Il se lie avec le représentant de Dai Li 戴笠 (1897-1946) à Wuhan, Qiu Kaiji 邱開基 (1905-1993), avant de se rapprocher de la clique des sciences politiques à l’invitation de Liu Zhenhua 劉鎮華 (1883-1955). Cependant, l’une des principales figures de cette clique, et nouveau gouverneur du Hubei, Zhang Qun 張群 (1889-1990), ne l’apprécie guère. De même, Ye ne parvient pas à s’entendre avec un autre proche de Jiang, Chen Cheng 陳誠 (1897-1965). Par fierté, il refuse en effet de servir un homme diplômé deux ans après lui de l’Académie de Baoding.
Cette double inimitié envers deux des hommes les plus puissants du régime nationaliste aura de lourdes conséquences. Partageant le nationalisme populaire de l’époque, Ye Peng s’attire les foudres du consul japonais de Wuhan en raison d’une affiche sur des exercices de défense antiaérienne utilisant le drapeau au soleil rouge comme cible. Connu pour ses sympathies pro-japonaises, Zhang Qun profite de l’occasion pour se débarrasser de Ye Peng en obtenant de Jiang Jieshi qu’il soit remplacé. Ye s’installe à Nankin où il rejoint la Fuxingshe 復興社 (Société de la renaissance) et prend la tête du Bureau général de la police du ministère des Chemins de fer (tiedaobu tiedaodui jingcha zongju 鐵道部鐵道隊警察總局) grâce à l’aide de He Yingqin. Incapable de pardonner son éviction de Wuhan à Zhang Qun, qui a succédé à Wang Jingwei fin 1935 comme ministre des Affaires étrangères, Ye Peng complote avec deux acolytes qui tentent d’assassiner Zhang. Arrêtés en flagrant délit, ils dénoncent Ye. Sur les conseils de He Yingqin, celui-ci se constitue prisonnier auprès de Jiang Jieshi qui le tance en le comparant au mutin Zhang Xueliang et le révoque, sans pour autant lui retirer entièrement sa confiance.
En 1938, Jiang décide de lui confier la direction de la police militaire mais renonce en raison de l’obstruction de Chen Cheng. Suite à ce nouveau revers, Ye Peng rejoint le Mouvement pour la paix de Wang Jingwei à Shanghai en septembre 1939 par l’intermédiaire de Zhou Fohai, dont il était devenu proche durant le repli du gouvernement à Wuhan. En novembre, il est contacté par un agent de Dai Li exigeant qu’il assassine Wang Jingwei, ce qu’il refuse de faire. Dans ses mémoires rédigés après-guerre, Tang Shengming affirme qu’il a également cherché, après son arrivée à Shanghai à l’été 1940, à recruter Ye Peng pour le compte de Chongqing. Tang connaît bien Ye dont l’épouse est la fille adoptive de sa mère. Ye lui aurait, dans un premier temps, rétorqué qu’il préférait demeurer un “traître à la nation” (hanjian 漢奸) pour le restant de ses jours plutôt que de redevenir un subordonné de Jiang Jieshi. Finalement, Tang Shengming parvient à le convaincre de servir les intérêts de Chongqing en lui expliquant que Dai Li déteste Chen Cheng autant que lui. Par la suite, toutefois, Ye n’applique pas les directives de Chongqing dans la lutte contre le PCC ce qui lui vaut, toujours selon Tang Shengming, de ne pas être épargné par l’épuration d’après-guerre contre les collaborateurs.
À la fondation du Gouvernement national réorganisé en mars 1940, Wang Jingwei lui confie la formation des officiers de l’armée du nouveau régime et lui offre un siège au sein du Comité des affaires militaires (junshi weiyuanhui 軍事委員會). Ye Peng obtient d’être nommé dans sa province d’origine en tant que Commissaire à la pacification de Wuhan (Wuhan suijing zhuren gongshu 武漢綏靖主任公署). Il retrouve là-bas le chef du bureau local des services spéciaux militaires, Shibayama Kenshirō, avec lequel il avait eu maille à partir quatre ans plus tôt lors de l’affaire de l’affiche anti-japonaise, alors que celui-ci était attaché militaire. Lors de leur première entrevue, Shibayama se sent insulté par l’insolence de Ye et le gifle. À la demande des Japonais, Nankin lui préfère Yang Kuiyi pour le poste de gouverneur du Hubei en juin 1942. Ye Peng se voit confier des postes prestigieux mais sans réel pouvoir. Il est ainsi désigné inspecteur général de l’entraînement militaire (lujun bianlian zongdu 陸軍編練總督) au printemps 1942, puis ministre de l’Armée de terre (lujun buzhang 陸軍部長) en juillet 1943. N’exerçant aucun contrôle sur les troupes, le ministère n’est compétent que dans la gestion de quelques hôpitaux et écoles militaires. À ce poste, Ye Peng organise notamment l’envoi de plus de trois cent élèves officiers au Japon, ce qui lui vaut les félicitations de l’occupant. Aux côtés d’une dizaine de responsables militaires, il participe fin 1942 à un voyage d’observation dans l’archipel au cours duquel il s’entretient avec l’empereur Shōwa.
Ye Peng retourne une dernière fois au Hubei dont il est nommé gouverneur en mars 1945. Cherchant à asseoir son autorité sur la province, Ye remplace plusieurs magistrats de district. Dès son arrivée, il se heurte aux officiers chinois locaux et notamment au plus puissant d’entre eux, Zou Pingfan 鄒平凡. Ce dernier s’allie contre Ye avec l’ancien secrétaire privé de Wang Jingwei, désormais à la tête du principal journal de Wuhan, Hu Lancheng. À la veille de la capitulation japonaise, Ye Peng s’entend avec les services secrets militaires de Chongqing (le Juntong 軍統) pour organiser la sortie de guerre. À la différence des officiers comme Zou Pingfan qui livrent leurs troupes au GMD et obtiennent le pardon de Chongqing, Ye Peng est arrêté, sans doute à la demande de Chen Cheng qui a la haute main sur le recouvrement de la région. Malgré les soutiens dont il dispose au Juntong et sa contribution au “salut national par des voies détournées” (quxian jiuguo 曲線救國), Ye Peng ne peut être sauvé. Chen Cheng porte lui-même son ordre de condamnation à Jiang Jieshi qui le signe. Ye Peng est exécuté le 18 septembre 1947 à Nankin.
Sources : MRDC, p. 1251 ; Lan Shuxuan 1992 ; Wu Ming 1993 ; Bao Zhihong 1982 ; Tang Shengming 2012, p. 114-115.
[zi, Hanxi 翰西]
Originaire de Wuxi (Jiangsu), Yang Shoumei (plus connu sous son nom de courtoisie Yang Hanxi 楊翰西, sauf dans les sources relatives à la collaboration) naît dans un milieu de lettrés fonctionnaires comptant parmi les plus anciennes familles industrielles de Chine. Proches de Li Hongzhang 李鴻章 (1823-1901), son père et son oncle avaient créé en 1896 l’entreprise Yeqin 業勤 qui avait construit à Wuxi la première filature de coton du pays. Licencié de l’examen provincial en 1902, Yang Shoumei organise le secours aux réfugiés, après la terrible sécheresse qui frappe les provinces du Nord en 1901-1903, avant de travailler au Bureau des télégraphes (dianbaoju 電報局) de sa ville natale. En 1908, le vice-roi de Liangjiang, Duanfang 端方 (1861-1911) l’envoie au Japon pour étudier le système militaire, ce qui l’amène en 1909 à être nommé au ministère des Armées (lujunbu 陸軍部). Il occupe, par la suite, des postes au Guangdong avant de retourner à Wuxi après la chute des Qing.
Yang Shoumei commence alors à travailler pour le groupe industriel familial qui s’étend désormais au secteur bancaire. Durant les deux premières décennies de la République, Yang contribue grandement au développement du groupe et, avec lui, de Wuxi, tout en siégeant dans les organisations locales telles que la chambre de commerce. Profitant de l’âge d’or industriel au moment de la Première guerre mondiale, il construit les filatures Guangqin 廣勤 qui forment une entité indépendante lui permettant de ne pas en partager les profits avec ses cousins. Lorsque Wuxi est encerclée à l’hiver 1924-1925 par les troupes en déroute de Qi Xieyuan, Yang organise une milice qui, pendant une semaine, résiste aux soldats du seigneur de la guerre et protège la population. À l’arrivée des Nationalistes en 1927, il subventionne le comité local d’épuration du GMD. Au tournant des années 1930, Yang parvient à s’imposer comme le principal dirigeant du groupe Yeqin. Après avoir été très rentable au début des années 1920, celui-ci fait faillite et connaît plusieurs réorganisations après 1927. À la veille de la guerre, toutefois, il a repris sa production. Lorsque Wuxi connaît un afflux considérable de réfugiés au moment de l’attaque japonaise contre Shanghai en janvier 1932, Yang joue, à nouveau, un rôle central dans la gestion de la ville en coordonnant le travail des différents organismes de bienfaisance.
Au moment de l’invasion japonaise à l’été 1937, les deux principales filatures du groupe sont entièrement détruites mais la minoterie construite quelques mois plus tôt par Yang Shoumei est épargnée. Décidé à relancer sa production après le début de l’occupation et habitué à gérer les situations de crise que connaît Wuxi, il accepte de collaborer en prenant la direction du comité local de gouvernement autonome (difang zizhi weiyuanhui 地方自治委員會) établi le 10 décembre 1937. Devenu fournisseur de l’armée japonaise, son entreprise connaît une résurrection spectaculaire. Yang occupe divers postes au sein du Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府). Il est notamment chargé de diriger les travaux visant à rétablir le cours du Huanghe (fleuve Jaune), suite aux inondations catastrophiques provoquées par la destruction de ses digues sur ordre de Jiang Jieshi en juin 1938. Yang poursuit cette tâche sous le gouvernement de Wang Jingwei dans lequel il devient président du Comité d’hydraulique (shuili weiyuanhui 水利委員會) jusqu’en août 1941. Son quatrième fils, Yang Yanbin 楊彥斌 est nommé magistrat du district de Wuxi en 1942. Arrêté par le GMD à la fin de la guerre, Yang Shoumei est libéré avant l’arrivée des Communistes. Après s’être, un temps, caché à Shanghai, il se réfugie en 1951 à Hong Kong où il décède trois ans plus tard (ou bien à Taiwan en 1960 selon les sources).
Sources : Xu Youchun 2007, p. 2171 ; Lincoln 2015, p. 25, 62, 121, 149 ; ZMSD, p. 881 ; Coble 2003, p. 160-161 ; Ogasawara 2014, p. 56 sqq. ; Sun Yunnian 1987, p. 150-155.
Frère cadet de l’épouse de Zhou Fohai, originaire comme lui de Xiangtan (Hunan), Yang Xinghua sort diplômé en génie civil de l’Université Jiaotong 交通大學 de Shanghai. Durant la « décennie de Nankin », Yang est engagé au bureau des Voies publiques du Comité économique national (quanguo jingji weiyuanhui 全國經濟委員會), puis comme ingénieur au ministère des Chemins de fer (tiedaobu 鐵道部). Après deux années passées à superviser la construction de la voie Chengdu-Chongqing, Yang rentre à Chongqing à l’automne 1938, alors que s’accélèrent les tractations préparant le Mouvement pour la paix.
La carrière de Yang dans le gouvernement de Wang Jingwei se fait principalement aux côtés de son beau-frère, comme chef du bureau des Affaires générales (zongwusi 總務司) du ministère des Finances (caizhengbu 財政部). Au cours de ses virées nocturnes à Shanghai, il se lie d’amitié avec deux agents du Juntong 軍統 (services secrets militaires de Chongqing), Cheng Kexiang 程克祥 (1907-1981) et Peng Shou 彭壽. Ces derniers servent, par la suite, d’intermédiaires dans les contacts entre Zhou et le Juntong qui s’établissent fin 1942. C’est chez Yang qu’est installé, au printemps 1943, le radio-transmetteur utilisé par Zhou pour envoyer des renseignements à Chongqing depuis Shanghai. Arrêté au lendemain de la guerre, Yang est condamné à la prison à vie en 1947 et décède dans sa cellule près d’un quart de siècle plus tard. Il a notamment laissé un wenshi ziliao sur Zhou Fohai.
Sources : SWHB, p. 1147-1161 ; WJT, p. 51-55 ; Martin 2009 ; ZKD, p. 321.
Originaire de Hefeng (Hubei), Yang Kuiyi part en 1912 se former à l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) de Tokyo avant de prendre la tête de l’École militaire de Nankin sous le gouvernement Beiyang. Après l’Expédition du Nord, il travaille à partir de 1932 sous les ordres de He Chengjun 何成濬 (1882-1961) pour le Gouvernement nationaliste dans le Bureau spécial de pacification du Hubei (zhu-E tepai suijing zhuren gongshu 駐鄂特拍綏靖主任公署). Promu général de division en 1936, il est nommé secrétaire général du gouvernement provincial du Hubei en novembre 1937.
Après la chute de Wuhan un an plus tard, Yang se réfugie à Hong Kong et fait défection en faveur du Mouvement pour la paix de Wang Jingwei. Il intègre les principales instances dirigeantes du nouveau gouvernement central et dirige l’état-major général (canmoubenbu 參謀本部). À la mort du gouverneur du Hubei He Peirong en juin 1942, le gouvernement de Nankin ordonne par télégramme son remplacement provisoire par le secrétaire général He Xiachang 賀遐昌. Le bureau local des services spéciaux de l’armée japonaise apprécie peu ce qu’il perçoit comme une ingérence. Afin de surmonter cette résistance, Nankin choisit de nommer Yang Kuiyi qui présente l’avantage de plaire aux autorités d’occupation du Hubei (c’est un militaire local formé au Japon), tout en offrant des garanties de loyauté au groupe de Wang Jingwei (il appartient au noyau dur du Mouvement pour la paix). Cette nomination se fait aux dépens de son compatriote du Hubei, Ye Peng, qui l’avait pourtant recommandé à Wang Jingwei. À en croire un témoignage d’après-guerre, Yang obtient le poste de gouverneur grâce à la proximité de son épouse avec Chen Bijun, mais aussi en révélant à Wang Jingwei que Ye Peng avait été contacté par le Juntong 軍統 (les services secrets militaires de Chongqing) pour l’assassiner.
Peu après sa prise de fonctions comme gouverneur, Yang propose à Nankin de rétrograder Hankou au rang de ville ordinaire, placée sous l’autorité du gouvernement provincial, afin de faire des économies. Son arrivée s’accompagne du remplacement de cinq des onze membres du comité de gouvernement provincial afin d’écarter les collaborateurs de la première heure et permettre à Nankin d’étendre enfin son autorité sur le Hubei. En mars 1945, il est désigné président du Conseil supérieur de la guerre (junshi canyiyuan 軍事參議員) et remplacé par Ye Peng à la tête du Hubei. Après la capitulation japonaise, Yang Kuiyi est arrêté puis exécuté. Son frère cadet Yang Weiyun 楊蔚雲, lui aussi un militaire occupant des postes de moindre importance dans le gouvernement de Nankin, a plus de chance. Il est connu notamment pour avoir participé en 1943 à une conjuration contre Li Shiqun aux côtés de Huang Ziqiang. Il est l’auteur de plusieurs témoignages sur l’armée et la police secrète du régime de Wang Jingwei.
Sources : MRDC, p. 1236 ; Cheng Hua, 1999 ; Martin 2001, p. 133 ; Lan Shuxuan 1992, p. 162 ; MZN, p. 1120.
Originaire de Puding (Guizhou), Yuan Yuquan fait des études d’économie à l’Université Keiō 慶応大学 de Tokyo. À partir de 1931, il dirige un bureau de la Banque des communications (jiaotong yinhang 交通銀行). Resté à Shanghai au début de l’invasion, il est contacté à l’été 1938 par son vieil ami Ogawa Aijirō 小川愛次郎 (1876-1971). Directeur du bureau de Shanghai de la Mantetsu 滿鐵 (Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien), ce dernier est emprisonné en janvier 1938 par la police militaire japonaise (kenpeitai 憲兵隊) en raison de ses prises de position contre la guerre. Il reçoit à cette occasion le soutien d’Ishii Itarō. Par l’intermédiaire d’Ogawa, Yuan fréquente les concepteurs japonais du Mouvement pour la paix tels que Kagesa Sadaaki.
Au moment de la formation du gouvernement de Wang Jingwei en mars 1940, il est présenté à Mei Siping par son ancien camarade de l’Université Keiō, Gu Baoheng. D’abord nommé conseiller (canshi 參事) au ministère de l’Industrie et du Commerce (gongshangbu 工商部, devenu le shiyebu 實業部 en août 1941) dirigé par Mei, Yuan succède en août 1940 à Gu au poste de chef du bureau du Commerce (shangyesi 商業司). À partir d’octobre, il cumule la charge de secrétaire général du Comité de gestion des vivres (liangshi guanli weiyuanhui 糧食管理委員會). Il est notamment chargé de négocier avec l’occupant la rétrocession des usines chinoises spoliées. Après la réorganisation du ministère en août 1941, il est promu vice-ministre chargé des affaires générales (changwu cizhang 常務次長) en avril 1942. En octobre 1943, il suit Mei Siping au ministère de l’Intérieur (neizhengbu 內政部), toujours comme vice-ministre. Bien qu’il effectue donc toute sa carrière de collaborateur sous l’aile de Mei Siping, Yuan devient son rival en 1944. Suite à un conflit entre les deux hommes au sujet d’une nomination, Yuan confie à Chen Gongbo des renseignements compromettants au sujet de Mei.
Yuan est condamné à quinze ans de prison en novembre 1947. Sa trace se perd ensuite. Il est l’auteur de plusieurs wenshi ziliao sur la politique économique du régime de Wang Jingwei, ce qui laisse penser qu’il est resté en Chine. Dans l’un d’eux, il dit être retourné au Japon en 1950 ; signe qu’il était alors libre de ses mouvements.
Sources : SWHB, p. 986-1058 ; Brooks 2000, p. 187, 256 ; MZN, p. 1093-1094 ; Coble 2003, p. 82 ; Kobayashi 2000, p. 354 ; Martin 2003, p. 407 ; Yuan Yuquan 2010.
Originaire de Jiangyin (Jiangsu), Yin Tong étudie à l’École secondaire n°4 de l’armée de terre de Nankin (lujun disi zhongxuetang 陸軍第四中學堂), avant de poursuivre sa formation au Japon à l’École d’intendance de l’armée de terre (rikugun keiri gakkō 陸軍経理学校). Après avoir travaillé comme comptable dans l’armée, il est nommé inspecteur de la gabelle (yanwu jianduyuan 鹽務監督員) au Hebei en 1928. En mai 1933, Yin participe aux négociations qui aboutissent à la Trêve de Tanggu (Tanggu xieding 塘沽協定), avant d’être nommé conseiller dans le Comité de règlement politique du Yuan exécutif à Beiping (xingzhengyuan zhu-Ping zhengwu zhengli weiyuanhui 行政院駐平政務整理委員會) ; structure chargée de vérifier l’application de ladite trêve à laquelle participent plusieurs des futurs dirigeants pro-japonais de Chine du Nord (Wang Kemin, Wang Yitang, Tang Erhe et Tang Mang). Yin prend part aux négociations qui se poursuivent à Pékin en octobre et novembre 1933 et qui réunissent notamment Yin Rugeng pour la partie chinoise et Kita Seiichi pour la partie japonaise. En octobre 1933, il prend la tête de l’Administration de la ligne de chemin de fer Pékin-Nankin (Bei-Ning tielu guanliju 北寧鐵路管理局), tout en occupant, à partir de 1935, des fonctions comme conseiller au sein du ministère des Chemins de fer (tielubu 鐵路部).
Si le choix fait par Yin Tong de collaborer avec l’occupant au début de la guerre pourrait s’expliquer par sa proximité avec les cercles militaires japonais, renforcée par son rôle de négociateur dans les années 1930, il ne semble pas relever de l’opposition politique au GMD comme chez les anciens dirigeants du gouvernement Beiyang qu’il a fréquentés dans les instances de Chine du Nord avant-guerre. De fait, Yin continue, sous l’occupation, à envoyer des rapports à Jiang Jieshi ; une pratique du reste assez courante chez les collaborateurs qui y voient, à tort, une façon de se faire pardonner. Ses liens familiaux avec Wang Shijing ne sont sans doute pas étrangers avec ce choix de servir dans l’administration pro-japonaise. À la fondation du Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府) de Pékin en décembre 1937, Yin Tong devient chef du Bureau général de la construction (jianshe zongshu 建設總署) et conserve des fonctions équivalentes dans le Comité des affaires politiques de Chine du Nord (Huabei zhengwu weiyuanhui 華北政務委員會) établi en mars 1940. Il occupe, par ailleurs, un siège comme membre invité (yanpin weiyuan 延聘委員) au sein du Comité politique central (zhongyang zhengzhi weiyuanhui 中央政治委員會) du régime de Wang Jingwei, ainsi que diverses charges relatives aux infrastructures fluviales, telle que la présidence du Comité des rivières et canaux de Chine du Nord (Huabei hequ weiyuanhui 華北河渠委員會). Fin 1941, il est contacté par Okamura Yasuji qui cherche à établir un nouveau canal de discussion avec Chongqing. Les deux hommes se sont connus durant les négociations de mai 1933. Yin passe par l’intermédiaire de Wang Dazhen 王大楨 (1893-1946), lui aussi diplômé de l’École d’intendance de l’armée de terre, mais l’affaire échoue car Wang est un agent double communiste. Affaibli par des problèmes cardiaques, Yin décède le 31 décembre 1942.
Sources : Xu Youchun 2007, p. 1247 ; ZKD, p. 561 ; Wikipedia ; Baidu (Wang Shijing). ; Tobe 1999, p. 213.
Né dans une éminente famille de Wenzhou (Zhejiang), Yin Rugeng suit les traces de son aîné, Yin Ruli 殷如驪 (1883-1940), en partant en 1902 étudier au Japon où, gagné aux idées révolutionnaires, il intègre la Ligue jurée (tongmenghui 同盟會). Au lendemain de l’insurrection de Wuchang, il rentre en Chine pour prendre part à la Révolution de 1911 à la suite de Huang Xing 黃興 (1874-1916). Début 1912, Yin participe à la formation du Parti nationaliste chinois (Guomindang 國民黨), dont il devient le représentant auprès des diplomates japonais à Pékin. Après l’échec, l’année suivante, de la seconde révolution contre Yuan Shikai, il repart au Japon où il étudie l’économie politique à l’Université de Waseda 早稲田大学. De retour en Chine après la mort de Yuan Shikai en 1916, Yin est recommandé par Tang Hualong 湯化龍 (1874-1918) pour un poste de secrétaire à la Chambre des députés (zhongyiyuan 眾議院). En 1917, il retourne au Japon sous prétexte d’y étudier le système financier pour le compte de la Banque de Chine (Zhongguo yinhang 中國銀行), mais s’investit dans le mouvement révolutionnaire en représentant dans l’archipel le Gouvernement militaire pour la protection de la Constitution (hufajun zhengfu 護法軍政府) établi en juillet par Sun Yat-sen à Canton. Par l’intermédiaire de Terao Tooru 寺尾亨 (1859-1925), professeur à l’Université impériale de Tokyo et soutien de Sun, Yin épouse Inoue Tamie 井上民恵, la sœur d’un camarade de promotion à Waseda.
En 1920, Yin Rugeng rentre en Chine et décide de quitter la politique pour se lancer dans les affaires. Grâce à un prêt de la Compagnie de développement oriental (Tōyō takushoku kabushiki gaisha 東洋拓殖株式会社), il fonde la Nouvelle compagnie de défrichement agricole (xin nong kenzhi gongsi 新農墾殖公司) à Funing 阜寧 (Jiangsu) inspirée par le célèbre homme d’État Zhang Jian 張謇 (1853-1926). Il n’en fréquente pas moins les différents pouvoirs locaux, servant brièvement en 1924 le seigneur de la guerre Tang Jiyao 唐繼堯 (1883-1927) comme conseiller en finances publiques. En octobre 1925, Yin est recruté pour son expertise dans le domaine au sein de la Conférence sur les tarifs douaniers (guanshui huiyi 關稅會議) réunie à Pékin par le gouvernement de Duan Qirui 段祺瑞 (1865-1936). À la fin de l’année 1925, Yin se trouve mêlé à la rébellion de Guo Songling 郭松齡 (1883-1925) contre Zhang Zuolin. Après la mort de Guo, il échappe aux hommes de Zhang en trouvant refuge au consulat japonais de Shenyang.
Le lancement de l’Expédition du nord (beifa 北伐), l’année suivante, donne à Yin Rugeng l’occasion de renouer avec le GMD, du côté de son aile droite. Jiang Jieshi, qui cherche alors des personnes capables de faciliter ses relations avec les Japonais, le nomme au sein de son état major. À la suite du massacre des communistes en avril 1927, il sert sous Huang Fu 黃郛 (1883-1936) comme secrétaire dans la municipalité de Shanghai. Après la démission de Jiang Jieshi en août 1927, Yin précède ce dernier au Japon où il met à nouveau à profit son excellent japonais et ses réseaux pour jouer les intermédiaires. En mars 1928, Yin est nommé envoyé spécial au Japon par Huang Fu, devenu ministre des Affaires étrangères. Deux mois plus tard, les relations du Japon avec le GMD connaissent une crise sans précédent à la suite de l'”Incident de Jinan” (wusan can’an 五三慘案) au cours duquel des soldats nationalistes tuent douze résidents japonais de la ville du Shandong, entraînant une répression sanglante qui fait plusieurs milliers de morts parmi les civils chinois. Yin Rugeng participe aux négociations qui s’ensuivent, notamment lors des discussions secrètes à Nankin entre Jiang Jieshi et Tokonami Takejirō 床次竹二郎 (1866-1935), l’une des principales figures de l’opposition au cabinet de Tanaka Giichi 田中義一 (1864–1929). À en croire Qi Shiying 齊世英 (1899-1987), Yin Rugeng travaille alors déjà comme espion pour le gouvernement japonais et transmet le contenu de ces négociations au premier ministre Tanaka, empêchant Tokonomi de former un nouveau cabinet. Ce dernier révèle aux autorités de Nankin les activités de Yin qui est immédiatement limogé de ses fonctions d’interprète. Il parvient tout de même à se recaser au sein du Gouvernement national comme chef du Bureau de la navigation (hangzhengsi 航政司) du ministère des Communications (jiaotongbu 交通部), avant de retrouver le gouvernement municipal de Shanghai en septembre 1931. Il joue, à nouveau, un rôle important comme interprète lors des négociations de cessez-le-feu qui suivent l’attaque japonaise contre Shanghai en janvier 1932.
À l’invitation de Huang Fu, qui prend en mai 1933 la tête du Comité de règlement politique du Yuan exécutif à Beiping (xingzhengyuan zhuping zhengwu zhengli weiyuanhui 行政院駐平政務整理委員會) chargé de superviser l’application de la Trêve de Tanggu, Yin Rugeng est nommé en novembre dans la zone démilitarisée en tant que commissaire de zones d’inspection administrative (xingzheng ducha zhuanyuan 行政督察專員), un échelon intermédiaire destiné à consolider le contrôle du gouvernement provincial sur les districts (xian 縣). Selon certaines sources, Yin collabore secrètement avec l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍) et fait fortune en organisant la contrebande de produits japonais en Chine du Nord. En 1935, il est approché par Doihara Kenji qui cherche alors à gagner le soutien des dirigeants locaux pour mieux saper l’autorité de Nankin en Chine du Nord. Ayant échoué à recruter des figures de premier plan telle que Yan Xishan 閻錫山 (1883-1960), Doihara se rabat sur Yin Rugeng. Celui-ci accepte de former, le 25 novembre 1935, un Conseil autonome anticommuniste du Hebei oriental (Jidong fangong zizhi weiyuanhui 冀東反共自治委員會) couvrant vingt-deux districts compris dans les zones d’inspection administrative de Jimi 薊密 et de Luanyu 灤榆 dont il avait eu la charge, pour une population de plus de six millions d’habitants. Rebaptisé “gouvernement” (zhengfu 政府) en décembre, l’organisme dirigé par Yin Rugeng aux côtés, notamment, de Zhang Renli et de Wang Xiacai, s’emploie à effacer les principaux symboles du GMD en arborant l’ancien drapeau républicain aux cinq couleurs (wuseqi 五色旗) et en mettant fin au culte à Sun Yat-sen.
Le 29 juillet 1937, peu après l’Incident du Pont Marco-Polo qui s’avérera l’événement déclencheur de la guerre sino-japonaise, la police (bao’andui 保安隊) du Gouvernement autonome anticommuniste du Hebei oriental se mutine contre l’armée japonaise en s’alliant à la 29e armée qu’elle était censée désarmer à Tongzhou 通州. Visés par l’aviation japonaise, les mutins commandés par Zhang Qingyu 張慶余 (1895-1963) tuent plusieurs centaines de civils et militaires japonais, parmi lesquels le lieutenant-colonel Hosoki Shigeru 細木繁 (1891-1937), chef de l’agence locale des services spéciaux de l’Armée de terre (tokumu kikan 特務機関). Ils s’en prennent également aux autorités collaboratrices, faisant prisonnier Yin Rugeng. Le 30 juillet à l’aube, le convoi qui transfère Yin tombe dans une embuscade japonaise aux portes de Beiping (Pékin). Yin en profite pour s’enfuir dans l’ancienne capitale. Il ne tarde pas à être arrêté par la police militaire japonaise (kenpeitai 憲兵隊) qui le tient responsable de la mutinerie. Yin échappe à l’exécution grâce à l’aide de Tōyama Mitsuru 頭山満 (1855-1944), patron de l’organisation ultranationaliste Genyōsha 玄洋社 (Société de l’Océan noir) qui était venue en aide à la Ligue jurée au tournant des années 1910. Il est libéré en décembre 1937, au moment où est établi à Pékin le Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府), à la condition de ne pas rendre public l'”Incident de Tongzhou”, de se retirer de la vie politique et de ne pas quitter Pékin et Tianjin. En outre, il doit verser une indemnité de 1,2 million de yens aux victimes. L’épisode de Tongzhou constitue un traumatisme pour les autorités d’occupation qui rechignent par la suite à doter les gouvernements collaborateurs de forces armées importantes ; une politique qui évolue après 1940.
Durant une traversée du désert qui dure cinq ans, Yin Rugeng demeure principalement à Pékin, même si on trouve traces d’entorses, comme le 24 novembre 1941 où il rencontre Zhou Fohai à Nankin. Dans l’espoir de se rendre utile afin de retrouver la confiance des Japonais, il se consacre à l’étude du réseau de cours d’eau entre le nord et le sud du pays, dont il anticipe qu’il sera déterminant pour acheminer l’approvisionnement de l’armée d’occupation. Par l’intermédiaire de Wang Yintai, qui se porte garant auprès des Japonais, Yin obtient en février 1942 de prendre la direction de la Compagnie des houillères du Shanxi (Shanxi meikuang gongsi 山西煤礦公司) née de la fusion imposée par l’occupant d’entreprises comme la Compagnie minière Baojin (Baojin kuangwu gongsi 保晉礦務公司). Il effectue son véritable retour dans les cercles politiques en mars 1943, lorsqu’il est nommé membre permanent (changwu weiyuan 常務委員) du Comité économique national (quanguo jingji weiyuanhui 全國經濟委員會) du Gouvernement national réorganisé de Nankin.
Yin se rend à Tokyo pour promouvoir avec succès son projet de relance du réseau de canaux Nord-Sud formant le Grand Canal. De retour à Nankin, il se voit confier en janvier 1944 la direction, au sein du ministère des Travaux publics (jianshebu 建設部), d’un Comité préparatoire à l’aménagement des canaux (zhili yunhe choubei weiyuanhui 治理運河籌備委員會). Il compte être nommé à la tête d’un Haut-Commissariat aux canaux (duban yunhe gongshu 督辦運河公署), mais Chen Gongbo, désormais numéro un du régime de Nankin, tempère ses ambitions. Yin doit se contenter de diriger, à partir de mai 1944, un Bureau des travaux publics pour l’aménagement des canaux (zhili yunhe gongchengju 治理運河工程局). Furieux de ne pas obtenir des pouvoirs plus étendus, Yin démissionne un mois plus tard et rentre à Pékin. Le 1er juin 1944, Zhou Fohai, qu’il a rencontré régulièrement pour faire avancer son projet, écrit dans son journal personnel : “Ce n’était pas mon idée de faire appel à lui, mais Monsieur Wang [Jingwei] a accepté de le prendre à l’essai pour faire plaisir aux Japonais. Il en a résulté un beau désordre. Qu’il démissionne aujourd’hui [est donc une bonne chose]. Mieux vaut tard que jamais“.
Yin Rugeng est arrêté le 5 décembre 1945 et transféré à Nankin le 26 mai 1946 aux côtés d’une dizaine de collaborateurs de Chine du Nord. Durant sa détention, il tente de justifier son choix de la collaboration dans un essai intitulé “Shi nian lai Riben qinhua huigulu 十年來日本侵華回顧錄” (Retour sur une décennie d’invasion japonaise en Chine). En octobre 1946, la Haute cour le condamne à la peine capitale pour trahison, sentence confirmée en appel le 8 novembre 1947. Yin est fusillé à Nankin le 1er décembre suivant. Proche de l’ancien président Chen Shui-bian 陳水扁 (1950-) et patronne dans les années 2000 du train à grande vitesse taïwanais (Taiwan gaotie 台灣高鐵), sa petite-nièce Yin Qi 殷琪 (Nita Ing, 1955-) continue de faire l’objet d’attaques de la part de dirigeants du GMD, qui établissent un parallèle entre son soutien au camp indépendantiste et la trahison de Yin Rugeng.
Sources : Xu Youchun 2007, p. 1247-1248 ; MRZ, vol. 11, p. 463-468 ; Seki 2019, p. 60-102 ; SSY, p. 1-2 ; Kahn 1978, p. 186 sq. ; SWHB, p. 1162 ; AS 23/12/37 ; Li 1975, p. 50, 85 ; NRSJ, p. 141 ; ZR, p. 542, 821, 861, 880, 886 ; MZN, p. 1089, 1092 ; Facebook.
[alias Yuan Xueyi 袁學藝, Yuan Xueyi 袁學易, Yuan Xiaoyi 袁霄逸]
Yuan Shu compte parmi les rares « agents quintuples » (wufang tewu 五方特務 ou wumian jiandie 五面間諜) qui travaillent, parfois simultanément, pour le GMD, le PCC, le Komintern, le groupe de Wang Jingwei et les Japonais. Originaire de Qichun (Hubei), il est le fils d’un notable local, Yuan Xiaolan 袁曉嵐, membre de la Ligue jurée (tongmenghui 同盟會) et, plus tard, magistrat de district sous le Gouvernement nationaliste. Yuan Shu grandit à Shanghai où sa famille s’installe en 1919. Séduit par l’anarchisme dans son adolescence, il représente son collège lors du Mouvement du 30 mai 1925 (wusa yundong 五卅運動). À l’invitation de l’ancien garde du corps de Sun Yat-sen, Hu Baoyi 胡抱一 (1890-1943), il quitte l’école, l’année suivante, pour participer à l’Expédition du Nord (beifa 北伐) comme petite main de la propagande au sein de l’armée. Après 1928, il travaille pour le GMD, notamment comme enquêteur au Shandong pour le Comité national d’aide aux sinistrés. Tout en continuant à fréquenter les cercles anarchistes, il publie des articles dans les journaux de l’aile droite du GMD comme le Minguo ribao 民國日報. En 1929, il part étudier à Tokyo avant de revenir en Chine pour travailler comme journaliste au Wenyi xinwen 文藝新聞 (Nouvelles des arts et des lettres).
Remarqué pour ses écrits, il est recruté en octobre 1931 par l’agent double communiste Pan Hannian 潘漢年 (1906-1977) comme « membre spécial du Parti » chargé d’infiltrer le cœur du pouvoir nationaliste. Entre 1932 et 1934, Yuan Shu parvient ainsi à intégrer l’une des factions gravitant autour de Jiang Jieshi par l’intermédiaire de son cousin Jia Botao 賈伯濤 (1902-1978), officier nationaliste diplômé de la première promotion de l’Académie militaire de Huangpu (Huangpu junxiao 黃埔軍校). Il travaille notamment à Shanghai pour l’un des “clubs” destinés à collecter des renseignements et mobiliser la jeunesse en faveur de Jiang, encadré par un autre compatriote du Hubei, Wu Xingya 吳醒亞 (1892-1938), chef du Bureau des affaires sociales (shehuiju 社會局) du GMD de Shanghai.
On lui demande également de se lier d’amitié avec Iwai Eiichi, employé du consulat de Shanghai, lui-même chargé de recruter des intellectuels chinois pro-japonais. À l’été 1935, Yuan Shu est arrêté dans le cadre du démantèlement d’un réseau communiste menant au représentant des services secrets du Komintern à Shanghai. Grâce à l’aide d’Iwai, il est rapidement libéré et séjourne à nouveau au Japon. Un an plus tard, il revient en Chine et reprend contact avec Pan Hannian. À la même époque, il est accepté dans la Bande verte (qingbang 青幫) et, sur recommandation de Du Yuesheng 杜月笙 (1888-1951) à Dai Li 戴笠 (1897-1946), devient un officier des services secrets militaires du Gouvernement nationaliste en 1937.
Yuan est désigné à la tête d’un « groupe d’action » dont les cibles sont les Japonais et les collaborateurs. À l’été 1939, Dai Li ordonne à Yuan Shu de faire sauter le « n°76 » – le QG des services secrets pro-japonais à Shanghai, mais le chef du bureau shanghaïen du Juntong 軍統, Wang Tianmu 王天木 (1891-1995), ayant déjà fait défection en faveur des services secrets pro-japonais, transmet les plans de l’opération à Li Shiqun, qui fait arrêter Yuan Shu. Ce dernier à la vie sauve grâce à son ami Iwai qui informe Li Shiqun, en octobre 1939, que Yuan est en réalité l’un de ses agents. Li s’en remet à l’Agence de la prune (Ume kikan 梅機関) de Kagesa Sadaaki qui accepte de relâcher Yuan Shu. Après avoir obtenu l’accord de Pan Hannian et de Dai Li, Yuan rejoint le réseau d’espionnage d’Iwai qui espère, à travers lui, établir un contact avec le Juntong. Mais c’est en fait Pan Hannian qui, par l’intermédiaire de Yuan, s’infiltre sous un faux nom dans le réseau d’Iwai et se voit confier des fonds pour monter un journal pro-japonais à Hongkong. Tout en faisant du renseignement pour Iwai, Pan utilise son argent pour financer les activités du PCC dans la colonie britannique et à Shanghai où il emploie jusqu’à quarante agents.
Yuan Shu devient le principal organisateur chinois du « Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale » (xingya jianguo yundong 興亞建國運動) lancé par Iwai à la demande de Kagesa. Il met ses talents de journaliste au service des différentes publications du mouvement, telles que le Xianzheng yuekan 憲政月刊 (Mensuel du gouvernement constitutionnel), rebaptisé en janvier 1941 – alors que la promesse constitutionnelle est déjà enterrée – Zhengzhi yuekan 政治月刊 (Mensuel politique). Iwai et Yuan Shu n’hésitent pas à y critiquer le gouvernement de Wang Jingwei, en des termes parfois assez durs, tout en accueillant régulièrement des essais signés de ses dirigeants, à commencer par Wang lui-même. Yuan utilise à l’époque plusieurs pseudonymes tels que Yan Junguang 嚴軍光 ou Zeng Dazhai 曾達齋. Les journalistes dont il s’entoure sont, pour certains, des agents communistes comme Chen Fumu. Du reste, ces critiques n’empêchent pas Yuan d’occuper des fonctions au sein du régime de Nankin. Il siège notamment au sein du Comité pour la mise en place du gouvernement constitutionnel (xianzheng shishi weiyuanhui 憲政實施委員會) aux côtés de Wu Kaisheng.
Grâce à ses liens avec Li Shiqun, il est nommé en juillet 1941 à la tête des Groupes de travail politique (zhengzhi gongzuotuan 政治工作團) au sein du bureau à Suzhou du Comité de pacification rurale (qingxiang weiyuanhui zhu-Su banshichu 清鄉委員會駐蘇辦事處), coordonnant les équipes de travail du GMD “orthodoxe” dans les zones de pacification rurale. Après le lancement du Mouvement des nouveaux citoyens (xin guomin yundong 新國民運動), censé mobiliser la population dans le cadre de la Pacification rurale, Yuan Shu met sa plume au service de la propagande de Nankin. Yuan élabore une “doctrine Wang Jingwei” (Wang Jingwei zhuyi 汪精衛主義), dont les quatre piliers sont le tridémisme, le panasianisme de Sun Yat-sen, le pacifisme et le pragmatisme (shijian 實踐). C’est par son intermédiaire que Li Shiqun organise une entrevue secrète entre Pan Hannian et Wang Jingwei en avril 1943. En 1944, il devient chef du bureau de l’Éducation (jiaoyuting 教育廳) du gouvernement provincial du Jiangsu.
À la fin de la guerre, Yuan rejoint une zone communiste dans le Nord-Jiangsu ce qui conduit les services nationalistes à découvrir qu’il est un agent double. À partir de 1949, il travaille pour la section de recherche sur les États-Unis et le Japon au sein des services de renseignements à Pékin. En 1955, il est l’une des victimes collatérales de l’ « Affaire Pan Hannian » qui voit Mao Zedong accuser Pan d’être un félon (neijian 內奸), après que ce dernier lui a avoué sa rencontre avec Wang Jingwei en 1943. Cette affaire est, en réalité, montée de toutes pièces par Mao, dans le cadre d’une purge interne débutée l’année précédente par l’élimination de Gao Gang 高崗 (1905-1954) et de Rao Shushi 饒漱石 (1903-1975). Yuan Shu est arrêté à son tour et condamné à douze ans de prison. Sa peine prenant fin en pleine Révolution culturelle, il est de nouveau emprisonné jusqu’en 1975, avant d’être envoyé dans un laogai 勞改 (camp de rééducation par le travail). Il apprend à sa libération, en 1980, que sa femme s’est suicidée en 1968. Comme Pan, il est finalement réhabilité en 1982.
Sources : Seki 2012 ; Yick 2001, p. 68 sqq. ; Yuan Shu 1984 ; Iwai 1983, p. 80-82 ; Shao Ming-huang 2019, p. 390 ; Zeng Long 2016 ; WGQY, p. 381-383 ; Smith 2021 ; Galway 2021 ; ZR, p. 304 ; Wakeman 2003, p. 92 ; WZSQ, p. 806-807 ; Xiao-Planes 2010.