Celui qu’on surnomme le « Gotō Shinpei chinois » voit le jour à Hangzhou dans une famille musulmane. Étudiant à l’Institut Yangzheng 養正書院 en 1900, Tang Erhe est gagné par les idées anti-mandchoues sous l’influence du doyen Chen Fuchen 陳黻宸 (1859-1917). En 1902, il collabore avec lui à Shanghai au lancement du Xin shijie bao 新世界報 (Journal du nouveau monde). La même année, il obtient des autorités Qing une bourse pour étudier au Japon où, comme beaucoup de jeunes patriotes chinois, il espère intégrer l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校). Tang retourne prématurément en Chine en 1903, comme représentant du Corps des volontaire pour résister à la Russie (ju E yiyongdui 拒俄義勇隊), organisé à Tokyo par des étudiants chinois opposés à l’occupation de la Mandchourie par les troupes russes à la suite de la Guerre des Boxers. Avec Niu Yongjian 鈕永建 (1870-1965), il tente en vain de convaincre Yuan Shikai de les soutenir. À la suite de cet échec, Tang s’installe dans la concession internationale de Shanghai où il échappe à un mandat d’arrêt et se lie avec des révolutionnaires également originaires du Zhejiang comme Cai Yuanpei 蔡元培 (1868-1940) et Zhang Binglin 章炳麟 (1869-1936). Tang, qui épouse une Japonaise en 1905, délaisse la voie des armes pour celle de la médecine qu’il étudie à l’École de médecine de Kanazawa (Kanazawa ika senmon gakkō 金澤医科専門学校).
De retour dans sa ville natale, où il compte établir une école de médecine, Tang joue un rôle notable lors des événements de 1911 qui aboutissent au renversement de la dynastie Qing. Il participe, en effet, au mouvement d’opposition à la nationalisation du chemin de fer Shanghai-Hangzhou-Ningbo. Lorsque la révolte de Wuchang est connue à Hangzhou, Tang organise avec son ancien professeur Chen Fuchen, alors président de l’assemblée provinciale du Zhejiang, une milice dans la ville et négocie la reddition de la garnison mandchoue locale. Ce rôle lui vaut d’être l’un des quatre délégués choisis pour représenter le Zhejiang lors des négociations entre républicains qui s’ouvrent le 30 novembre 1911 dans la concession britannique de Hankou. Le 29 décembre, Tang préside à Nankin l’élection de Sun Yat-sen au poste de président du Gouvernement provisoire de la République de Chine. C’est lui qui, le 1er janvier, remet à Sun son mandat lors d’une cérémonie appelée à rester dans l’Histoire. S’il décide de ne pas briguer un poste dans la jeune République, Tang Erhe n’en joue pas moins un rôle déterminant dans le choix fait par le ministère de l’Éducation (jiaoyubu 教育部), dont le premier locataire est son ami Cai Yuanpei, de prendre le Japon comme modèle. Il définit en particulier l’organisation des études de médecine en reprenant le système japonais des écoles professionnelles (zhuanmen xuexiao 專門學校). En octobre 1912, Tang prend la tête du premier établissement de ce type fondé par le ministère de l’Éducation, l’École professionnelle de médecine de Pékin (Beijing yixue zhuanmen xuexiao 北京醫學專門學校). Il se rend au Japon pour acquérir des manuels et pour recruter des enseignants.
Contrairement à d’autres pionniers de la médecine chinoise moderne formés en Angleterre et aux États-Unis, tels Yan Fuqing 顏福慶 (1882-1970), Tang se fait le promoteur d’un système médical fortement centralisé et qui rompt avec la médecine traditionnelle. Cette rupture est notamment visible dans le domaine de l’anatomie. Alors que les écoles de médecine sous les Qing interdisaient les dissections, entraînant un grand retard des médecins chinois par rapport à leurs homologues japonais dans ce domaine, Tang fait adopter en 1914 une loi autorisant la dissection humaine. Afin d’écarter les acupuncteurs, l’Association chinoise de médecine et de pharmacie (Zhonghua minguo yiyao xuehui 中華民國醫藥學會) qu’il préside soumet en 1917 un mémorandum au ministère de l’Éducation préconisant la mise en place d’un concours national de médecine fondé non plus sur la rédaction d’un essai, mais sur un examen pratique testant les connaissances scientifiques des candidats. En 1918, Tang va jusqu’à qualifier la médecine traditionnelle d”absurde” et de “ridicule” dans les pages de la revue phare du Mouvement de la Nouvelle culture, Xin qingnian 新青年 (La Jeunesse). Plus largement, Tang n’hésite pas à prendre position politiquement. En 1915, il démissionne ainsi de son poste de directeur de l’École professionnelle de médecine de Pékin pour protester contre le projet de restauration dynastique de Yuan Shikai, avant de les reprendre après la mort de Yuan en juin 1916. Usant de son influence au sein du ministère de l’Éducation, il obtient que Cai Yuanpei soit nommé à la tête de l’Université de Pékin en 1917. C’est également sur sa recommandation que Chen Duxiu prend la tête de la faculté de lettres dans la prestigieuse institution qui sert de terreau au mouvement étudiant du 4 mai 1919. Le 9 mai, Tang fait partie avec Cai Yuanpei des présidents d’université qui démissionnent pour obtenir la libération des étudiants arrêtés lors des manifestations. Pour autant, il critique la politisation des étudiants qui, selon lui, devraient se concentrer sur leurs études. À cette époque, Tang effectue plusieurs voyages d’observation, notamment dans la colonie japonaise de Corée au printemps 1917. En dépit de son rejet de la médecine traditionnelle, il en revient avec la conviction que la Chine doit s’inspirer du système médical mis en place par les autorités japonaises dans la péninsule. Celui-ci consiste à encourager le développement de la médecine moderne tout en légalisant, en 1913, la médecine traditionnelle afin de pallier au manque de médecins modernes. À son retour, il surprend ses confrères en se prononçant contre l’interdiction de la médecine traditionnelle en Chine. Le rapport qu’il remet inspire une nouvelle législation, adoptée en 1922, qui reprend le système dual coréen ; système toujours en vigueur en Chine aujourd’hui. De 1920 à 1922, Tang est chargé par le ministère de l’Éducation de mener une enquête en Europe qui l’amène à visiter les institutions médicales de pays comme l’Angleterre, la France, les Pays-Bas et la Belgique. Il séjourne plus longuement à Berlin, où il parfait sa formation en biologie et en anatomie.
À son retour, il co-signe avec Hu Shi, Cai Yuanpei ou encore Wang Chonghui 王寵惠 (1881-1958) une tribune intitulée “Women de zhengzhi zhuzhang 我們的政治主張” (Notre préconisation en matière de politique). C’est dans ce contexte que Tang intègre le gouvernement Beiyang comme vice-ministre de l’Éducation puis, en septembre 1922, comme ministre dans l’éphémère “cabinet des hommes de bien” (haoren neige 好人內閣) formé par Wang Chonghui, dans lequel Tang côtoie notamment Wellington Ku (Gu Weijun) 顧維鈞 (1888-1985) et Gao Lingwei. Au lendemain du grand tremblement de terre du Kantō (Japon) en septembre 1923, Tang organise l’aide en direction des Chinois résidant dans la région en tant que représentant de la Croix Rouge. De retour en Chine, il occupe plusieurs postes dans le gouvernement de Wellington Ku comme ministre de l’Intérieur (neiwubu zongzhang 內務部總長) fin 1926 puis comme ministre des Finances (caizhengbu zongzhang 財政部總長) en 1927. Après la chute du gouvernement en juin 1927, il sert comme conseiller pour Zhang Zuolin, puis le fils de celui-ci, Zhang Xueliang. Entre-temps, Tang obtient, en mars 1929, un doctorat de la Faculté de médecine de l’Université impériale de Tokyo. Après l’invasion de la Mandchourie à l’automne 1931, Tang Erhe joue les intermédiaires entre Zhang Xueliang et l’occupant japonais, avant de participer en 1932 à la Conférence de l’urgence nationale (guonan huiyi 國難會議). En mai 1933, il est choisi par le Gouvernement nationaliste pour siéger au sein du Comité de règlement politique du Yuan exécutif à Beiping (xingzhengyuan zhuping zhengwu zhengli weiyuanhui 行政院駐平政務整理委員會) chargé de négocier la Trêve de Tanggu (Tanggu xieding 塘沽協定) qui ampute la souveraineté chinoise en créant une zone démilitarisée au sud de la Grande Muraille. En juillet 1936, Tang est nommé au Conseil des affaires politique du Hebei-Chahar (Ji-Cha zhengwu weiyuanhui 冀察政務委員會).
Comme un grand nombre de ses membres, Tang est recruté au début de la guerre par les autorités japonaises de Chine du Nord pour servir dans l’État d’occupation. Le 14 décembre 1938, vingt-cinq ans après la cérémonie de 1912, Tang prononce le discours d’inauguration du Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府). Il se voit confier la direction du Comité législatif (yizheng weiyuanhui 議政委員會), l’une des trois branches du gouvernement, ainsi que le portefeuille de l’Éducation (jiaoyubu 教育部). Tang s’emploie à diffuser la propagande anti-GMD et traditionaliste du nouveau régime auprès des étudiants. Il promulgue des ordonnances visant à éliminer toute trace de la “partification” (danghua 黨化) du système éducatif par le GMD et à inculquer les valeurs est-asiatiques de bon voisinages avec le Japon. Lors du Nouvel An de 1938, il préside à une grande cérémonie de sacrifice en l’honneur de Confucius. Alors que de nombreux étudiants et enseignants ont fui vers l’Ouest et que l’Armée régionale de Chine du Nord rechigne à financer le système éducatif, Tang fusionne les universités de la région. Après la mise en place du gouvernement de Wang Jingwei en mars 1940, Tang conserve le portefeuille de l’Éducation (jiaoyu zongshu duban 教育總署督辦) au sein du Conseil des affaires politiques de Chine du Nord (huabei zhengwu weiyuanhui 華北政務委員會). Pressenti pour succéder à Wang Kemin, il décède le 8 novembre 1940. Il est remplacé par son ami Zhou Zuoren qui, un an plus tard, prononce son oraison funèbre lors d’un hommage à Tokyo.
Sources : Xu Youchun 2007, p. 2069 ; BDRC, vol. 3, p. 228-230 ; MRZ, vol. 6, p. 181-187 ; SKJ, p. 66 sq. ; SSY, p. 166 ; MRDC, p. 1188 ; Xi Gao ; Soon 2020, p. 37 ; Zhang Meng 2023 ; Gao Xi 2014 ; Luesink 2021.