Diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1907, Kita Seiichi découvre la Chine à la veille de la Révolution de Xinhai (xinhai geming 辛亥革命) en servant dans la Garnison de Tianjin (Shina chūtongun 支那駐屯軍) à partir de juin 1911. Après avoir complété sa formation à l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校), dont il sort diplômé en 1919, Kita intègre l’état-major général de l’Armée de terre (sanbōhonbu 参謀本部). Au sein du 2e bureau (dai ni bu 第二部) responsable de la collecte et de l’analyse du renseignement extérieur, Kita gagne ses galons de “spécialiste de la Chine” (Shinatsū 支那通) sous la houlette de Satō Saburō 佐藤三郎 (1881-1964), qui dirige entre 1923 et 1926 la Section Chine – alors appelée 6e unité (dai roku han 第六班). Il y côtoie la fine fleur de la nouvelle génération des Shinatsū tels qu’Itagaki Seishirō, Doihara Kenji, Okamura Yasuji ou encore Sasaki Tōichi 佐々木到一 (1886-1955). À l’exception d’un court passage en Grande-Bretagne (1927-1928), Kita est systématiquement détaché en Chine, prenant ainsi une part active dans la politique expansionniste de l’armée impériale. Entre février et mai 1932, il est chargé du renseignement au sein de l’Armée expéditionnaire de Shanghai (Shanhai hakengun 上海派遣軍) durant le conflit qui frappe la ville. Il part ensuite pour la Mandchourie en tant que chef de la 2e section de l’état-major de l’Armée du Guandong (Kantōgun sanbō dainika 関東軍参謀第二課) alors que s’organise le Manzhouguo 滿洲國. En août 1934, Kita est rappelé à Tokyo pour prendre la tête de la Section Chine (Shina-ka 支那課). Élevé au grade de général de brigade (shōshō 少将) en mars 1936, il sert comme attaché militaire de la nouvelle l’ambassade de Nankin jusqu’au 13 août 1937, date à laquelle éclate la Bataille de Shanghai qui marque un changement d’échelle dans le conflit sino-japonais. Peu avant, le 19 juillet, Kita avait rencontré le général He Yingqin pour le persuader, en vain, de négocier un nouveau compromis et ainsi d’éviter que l’Incident du 7 juillet n’accouche d’une guerre totale.
En août 1937, Kita est nommé directeur de l’Agence des services spéciaux (tokumu kikan 特務機関) de Tianjin, puis chef du Bureau des services spéciaux (tokumubu 特務部) de l’Armée régionale de Chine du Nord (kita Shina hōmen-gun 北支那方面軍) créé un mois plus tard. Cette réorganisation vise, pour les autorités centrales de Tokyo, à reprendre la main sur les autorités locales d’occupation. Le déclenchement de la guerre sino-japonaise a vu, en effet, s’engager une lutte d’influence entre l’Armée du Guandong et la Garnison de Tianjin – rebaptisée Armée régionale de Chine du Nord. En confiant cette dernière à un nouveau commandement, Tokyo cherche à écarter les éléments de la Garnison de Tianjin jugés les plus radicaux. Le nouveau commandant en chef, Terauchi Hisaichi 寺内寿一 (1879-1946), n’entend toutefois pas se faire dicter sa conduite. À la tête des services spéciaux, Kita reçoit pour mission de mettre en place une nouvelle administration chinoise sous la tutelle exclusive de l’Armée régionale de Chine du Nord, en supplantant la Fédération des comités locaux de maintien de l’ordre de Beiping (Pékin) et Tianjin (Ping-Jin difang zhi’an weichihui lianhehui 平津地方治安維持會聯合會) établie le 22 septembre sous la direction de Gao Lingwei.
Le futur gouvernement collaborateur de Pékin est alors envisagé non pas comme une simple structure régionale, mais comme un nouveau gouvernement central devant remplacer celui de Nankin. Pour le diriger, Kita cherche à recruter des collaborateurs chinois qui doivent remplir un double critère : avoir occupé des fonctions de premier plan par le passé sans s’être trop compromis avec le GMD. Dès cette époque le nom de Wu Peifu est évoqué mais, faute de mieux, Kita jette son dévolu sur Wang Kemin qu’il fait venir à Pékin au début du mois de décembre 1937. Les préparatifs en vue de la formation du nouveau régime sont hâtés pour éviter que l’Armée régionale de Chine centrale (naka Shina hōmen gun 中支那方面軍), qui entre dans Nankin le 13 décembre 1937, n’empêche une centralisation de l’État d’occupation au profit de Pékin. Le 14 décembre, Kita préside à l’inauguration du Gouvernement provisoire de la République de Chine (zhonghua minguo linshi zhengfu 中華民國臨時政府). Alors que celui-ci peine à étendre son autorité sur les structures locales chinoises jusqu’à l’échelon des districts (xian 縣), Kita nomme des officiers de liaison japonais chargés de “guider” les collaborateurs locaux, de telle sorte que l’intégration régionale passe davantage par les services spéciaux que par le Gouvernement provisoire lui-même.
L’emprise des services spéciaux est consolidée par la création, le 24 décembre 1937, de la Xinminhui 新民會 (Association du nouveau peuple), inspirée de l’Association Concordia (xiehehui 協和會) au Manzhouguo. Elle intègre en son sein une partie des équipes de pacification (senbuhan 宣撫班) envoyées au début de l’occupation par la Mantetsu 満鉄 (Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien) pour recruter des collaborateurs en Chine du Nord et que Kita est parvenu à détacher de l’influence de l’Armée du Guandong. Ces spécialistes de la propagande s’emploient à diffuser une idéologie traditionaliste censée appuyer la légitimité du Gouvernement provisoire contre le GMD et ses alliés communistes. En janvier 1938, Kita fait ainsi publiquement l’éloge des “temps confucéens” comme modèle de bon gouvernement pour la Chine, dans la lignée du concept de “Voie royale” (wangdao 王道) déjà employée en Mandchourie pour justifier la tutelle “bienveillante” de l’empire nippon. Véritable État dans l’État, la Xinminhui parvient à structurer en profondeur la société de Chine du Nord.
Si Kita s’accorde avec les collaborateurs de Pékin pour résister à toute remise en cause de l’autonomie du Gouvernement provisoire au sein de l’État d’occupation, en matière fiscale notamment, il doit composer avec un Wang Kemin jaloux de ses prérogatives, qui n’hésite pas à mettre dans l’embarras sa tutelle japonaise. C’est le cas lors d’une visite de Liang Hongzhi à Pékin début avril 1938, peu après l’inauguration du Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府) de Nankin qu’il dirige. Wang Kemin lui présente un document confidentiel, que lui a transmis Kita pour le rassurer, attestant que Tokyo entend privilégier Pékin par rapport à Nankin. Alors que Kita continue à espérer une centralisation de l’État d’occupation au profit de Pékin, son homologue à Nankin Harada Kumakichi se révèle un fin stratège, obtenant dans les faits que l’Armée expéditionnaire de Chine centrale contrôle le nouveau régime et ses ressources fiscales. Le statu quo entre les différents centres militaires et politique de la Chine occupée se traduit institutionnellement, dans la seconde moitié de l’année 1938, par un projet d’État confédéral assurant une grande autonomie aux gouvernements collaborateurs locaux. Cependant, Kita ne tarde pas à voir se profiler une nouvelle menace, après la défection de Wang Jingwei en décembre 1938.
Dans le même temps, cet effort de rationalisation de l’État d’occupation conduit à la création du Kōa-in 興亜院 (Institut pour le développement de l’Asie), dont Kita devient, en mars 1939, le principal dirigeant en Chine du Nord, en tant que directeur du Bureau de liaison (renrakubu 連絡部) chargé de superviser le Gouvernement provisoire. Il est également promu général de division (chūshō 中将). Ainsi, Kita demeure le véritable patron des collaborateurs de Pékin, même si le poste de conseiller militaire suprême du Gouvernement provisoire est confié en juillet 1938 à Nagatsu Sahijū 永津佐比重 (1889-1979). Tout au long de l’année 1939, Kita fait obstruction à la formation du gouvernement “central” de Wang Jingwei, finalement inauguré le 30 mars 1940. Si ce dernier ne parviendra jamais à remettre en cause l’autonomie de fait de la Chine du Nord, sa mise en place s’accompagne du remplacement de Kita par Morioka Susumu 森岡皐 (1889-1959) à la tête du Bureau de liaison de Pékin. Avant son départ, Kita aurait prédit, selon le rapport qu’en donne le diplomate français David Rhein : “Le gouvernement de Wang Ching-wei n’arrivera pas à amener la paix ; dans les trois mois le Général Itagaki sera par terre“.
Par la suite, Kita commande successivement : la 14e division (dai-jūyon shidan 第14師団) à Qiqihar 齊齊哈爾 (Mandchourie occidentale) entre mars 1940 et octobre 1941 ; la 6e armée (dai-roku gun 第6軍), également stationnée en Mandchourie, jusqu’en mars 1943 ; la 12e armée (dai-jūni gun 第12軍) en Chine du Nord jusqu’en février 1944, puis la 1ère armée régionale (dai-ichi hōmen gun 第1方面軍) en Mandchourie. Promu général d’armée (taishō 大将) en mars 1945, il est impuissant face à l’offensive de l’Armée rouge lancée le 8 août 1945. Interné dans un camp de prisonnier en Sibérie, il décède en juin 1947 sans avoir revu le Japon.
Sources : NJDJ ; NRSJ, p. 54, 115, 159, 324, 353, 397, 509 ; Worthing 2016, p. 179 ; Lincoln Li 1975, p. 49-59 ; Guo Guiru et al. 2007, p. 157-158 ; Carter 2014, p. 156 ; Brook 2001, p. 98-99 ; Iriye 1980, p. 258 ; ADF 503 ; Kitaoka 1989, p. 341, 343 ; CIA Strategic Services unit 1946, p. 22 ; ADF 503.
After graduating from the Army Academy (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) in 1907, Kita Seiichi discovered China on the eve of the Xinhai Revolution (xinhai geming 辛亥革命) while serving in the Tianjin Garrison (Shina chūtongun 支那駐屯軍) from June 1911. After completing his training at the Army War College (rikugun daigakkō 陸軍大学校), from which he graduated in 1919, Kita joined the Army General Staff (sanbōhonbu 参謀本部). Within the 2nd Bureau (dai ni bu 第二部), responsible for the collection and analysis of foreign intelligence, Kita earned his stripes as a “China specialist” (Shinatsū 支那通) under the guidance of Satō Saburō 佐藤三郎 (1881-1964), who directed the China Section – then called the 6th Unit (dai roku han 第六班) – between 1923 and 1926. There, he rubbed shoulders with the cream of the new generation of Shinatsū, such as Itagaki Seishirō, Doihara Kenji, Okamura Yasuji, and Sasaki Tōichi 佐々木到一 (1886-1955). With the exception of a short stint in Great Britain (1927-1928), Kita was systematically dispatched to China, thus taking an active part in the expansionist policy of the Imperial Army. Between February and May 1932, he was in charge of intelligence within the Shanghai Expeditionary Army (Shanhai hakengun 上海派遣軍) during the conflict that struck the city. He then left for Manchuria as head of the 2nd Section of the Kwantung Army General Staff (Kantōgun sanbō dainika 関東軍参謀第二課) as Manchukuo (Manzhouguo 滿洲國) was being organized. In August 1934, Kita was recalled to Tokyo to head the China Section (Shina-ka 支那課). Promoted to the rank of Major General (shōshō 少将) in March 1936, he served as military attaché at the new Nanjing embassy until August 13, 1937, when the Battle of Shanghai broke out, marking a change in scale in the Sino-Japanese conflict. Shortly before, on July 19, Kita had met with General He Yingqin to persuade him, in vain, to negotiate a new compromise and thus avoid the July 7 Incident from giving birth to a total war.
In August 1937, Kita was appointed director of the Tianjin Special Services Agency (tokumu kikan 特務機関) and then head of the Special Services Bureau (tokumubu 特務部) of the North China Area Army (kita Shina hōmen-gun 北支那方面軍) created a month later. This reorganization aimed, for the central authorities in Tokyo, to regain control over the local occupation authorities. The outbreak of the Sino-Japanese War had indeed seen a power struggle between the Kwantung Army and the Tianjin Garrison – renamed the North China Area Army. By entrusting the latter to a new command, Tokyo sought to remove the most radical elements of the Tianjin Garrison. However, the new commander-in-chief, Terauchi Hisaichi 寺内寿一 (1879-1946), had no intention of being dictated to. As head of the special services, Kita was tasked with establishing a new Chinese administration under the exclusive tutelage of the North China Area Army, supplanting the Federation of Local Committees for the Maintenance of Order in Beiping (Beijing) and Tianjin (Ping-Jin difang zhi’an weichihui lianhehui 平津地方治安維持會聯合會) established on September 22 under the direction of Gao Lingwei.
The future collaborationist government in Beijing was then envisioned not as a mere regional structure, but as a new central government to replace that of Nanjing. To lead it, Kita sought to recruit Chinese collaborators who had to meet a double criterion: having held prominent positions in the past without being too compromised with the GMD. From this time on, the name of Wu Peifu was mentioned, but lacking better options, Kita settled on Wang Kemin, whom he brought to Beijing in early December 1937. Preparations for the formation of the new regime were hastened to prevent the Central China Area Army (naka Shina hōmen gun 中支那方面軍), which entered Nanjing on December 13, 1937, from hindering a centralization of the occupation state in favor of Beijing. On December 14, Kita presided over the inauguration of the Provisional Government of the Republic of China (zhonghua minguo linshi zhengfu 中華民國臨時政府). As the latter struggled to extend its authority over local Chinese structures down to the district level (xian 縣), Kita appointed Japanese liaison officers to “guide” local collaborators, so that regional integration was more through the special services than through the Provisional Government itself.
The grip of the special services was consolidated by the creation, on December 24, 1937, of the Xinminhui 新民會 (New People’s Association), inspired by the Concordia Association (xiehehui 協和會) in Manchukuo. It incorporated some of the pacification teams (senbuhan 宣撫班) sent at the beginning of the occupation by the Mantetsu 満鉄 (South Manchuria Railway Company) to recruit collaborators in North China, which Kita had managed to detach from the influence of the Kwantung Army. These propaganda specialists worked to spread a traditionalist ideology intended to support the legitimacy of the Provisional Government against the GMD and its communist allies. In January 1938, Kita thus publicly praised “Confucian era” as a model of good governance for China, in line with the concept of the “Royal Way” (wangdao 王道) already used in Manchuria to justify the “benevolent” tutelage of the Japanese empire. A true state within a state, the Xinminhui managed to deeply structure the society of North China.
While Kita agreed with the Beijing collaborators to resist any challenge to the autonomy of the Provisional Government within the occupation state, particularly in fiscal matters, he had to deal with a Wang Kemin jealous of his prerogatives, who did not hesitate to embarrass his Japanese tutelage. This was the case during a visit by Liang Hongzhi to Beijing in early April 1938, shortly after the inauguration of the Reformed Government (weixin zhengfu 維新政府) of Nanjing, which he led. Wang Kemin presented him with a confidential document, which Kita had transmitted to him for reassurance, attesting that Tokyo intended to favor Beijing over Nanjing. While Kita continued to hope for a centralization of the occupation state in favor of Beijing, his counterpart in Nanjing, Harada Kumakichi, proved to be a shrewd strategist, effectively ensuring that the Central China Expeditionary Army controlled the new regime and its fiscal resources. The status quo between the various military and political centers of occupied China was institutionally reflected, in the second half of 1938, by a project for a confederal state ensuring great autonomy for local collaborationist governments. However, Kita soon saw a new threat looming after the defection of Wang Jingwei in December 1938.
At the same time, this effort to rationalize the occupation state led to the creation of the Kōa-in 興亜院 (East Asia Development Board), of which Kita became, in March 1939, the main leader in North China, as director of the Liaison Bureau (renrakubu 連絡部) in charge of supervising the Provisional Government. He was also promoted to Lieutenant General (chūshō 中将). Thus, Kita remained the true boss of the Beijing collaborators, even though the post of supreme military advisor to the Provisional Government was entrusted in July 1938 to Nagatsu Sahijū 永津佐比重 (1889-1979). Throughout 1939, Kita obstructed the formation of Wang Jingwei‘s “central” government, finally inaugurated on March 30, 1940. Although the latter would never succeed in challenging the de facto autonomy of North China, its establishment was accompanied by the replacement of Kita by Morioka Susumu 森岡皐 (1889-1959) as head of the Beijing Liaison Bureau. Before his departure, Kita allegedly predicted, according to a report by French diplomat David Rhein: “The Wang Ching-wei government will not succeed in bringing peace; within three months General Itagaki will be down.”
Subsequently, Kita successively commanded: the 14th Division (dai-jūyon shidan 第14師団) in Qiqihar 齊齊哈爾 (Western Manchuria) between March 1940 and October 1941; the 6th Army (dai-roku gun 第6軍), also stationed in Manchuria, until March 1943; the 12th Army (dai-jūni gun 第12軍) in North China until February 1944, then the 1st Area Army (dai-ichi hōmen gun 第1方面軍) in Manchuria. Promoted to General (taishō 大将) in March 1945, he was powerless in the face of the Red Army offensive launched on August 8, 1945. Interned in a prisoner-of-war camp in Siberia, he died in June 1947 without having seen Japan again.