Fils cadet d’un vassal direct (bakushin 幕臣) des shōgun Tokugawa, Okumara Yasuji sort diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1904. De même que ses deux illustres camarades de promotion Doihara Kenji et Itagaki Seishirō, il choisit de se spécialiser dans la Chine. D’abord affecté au 1er régiment d’infanterie (hohei daiichi rentai 歩兵第1連隊), alors engagé dans la Guerre russo-japonaise, Okamura combat à Karafuto (Sakhaline). Il retrouve en 1907 l’École d’officiers de l’armée de terre comme responsable de la formation des cadets d’origine chinoise (Shinkoku ryūgakusei taiku taichō 清国留学生隊区隊長). Poursuivant la voie d’élite des officiers de l’Armée de terre, il intègre ensuite l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校), dont il sort diplômé en 1913. Entre-temps, il épouse Hoshino Rie 星野理枝 qui devait mourir prématurément en 1926. En 1914, il intègre la Section d’histoire militaire étrangère (gaikoku senshika 外国戦史課) au sein de l’état-major général de l’Armée de terre (sanbōhonbu 参謀本部), avant de partir en Chine l’année suivante. Il est rapidement affecté à Qingdao, territoire à bail allemand occupé par le Japon après son entrée en guerre, afin de réunir de la documentation sur l’armée allemande. Il passe l’essentiel de la Grande Guerre à Pékin comme résident (chūzai’in 駐在員).
En juin 1921, parallèlement à la première tournée européenne du prince héritier Hirohito, Okamura est envoyé par le ministère de l’Armée (rikugunshō 陸軍省) avec d’autres officiers comme Doihara Kenji, afin d’observer les transformations de l’après-guerre. Il se rend ainsi en Grande-Bretagne, en France, en Suisse ou encore en Allemagne où il prend part, le 27 octobre 1921, à l'”Accord secret de Baden-Baden” comme sera plus tard connue cette réunion informelle considérée comme l’acte fondateur de la faction de contrôle (tōsei-ha 統制派). Okamura retrouve dans la station thermale deux camarades de la 16e promotion de l’École d’officiers de l’armée de terre – Nagata Tetsuzan 永田鉄山 (1884-1935) et Obata Toshirō 小畑敏四郎 (1885-1947). Ils sont rejoints par Tōjō Hideki 東條英機 (1884-1948), sorti diplômé un an après eux. Tirant les leçons du conflit mondial qui vient de s’achever, ils se donnent pour objectif de préparer leur pays à ce qu’il conçoivent déjà comme une “guerre totale” aussi bien militairement (rationalisation et mécanisation de l’armée), économiquement (autosuffisance fondée notamment sur l’expansion d’un Lebensraum continental), que socialement (mobilisation de la nation toute entière). Cette vision modernisatrice et technocrate se distingue d’une autre tendance au sein de l’armée, connue sous le nom de faction de la Voie impériale (Kōdō-ha 皇道派). Si cette dernière partage l’ultranationalisme de la faction de contrôle (son principal chef de file n’est autre que l’un des conjurés de Baden-Baden, Obata Toshirō), son obsession pour la mystique impériale et ses méthodes terroristes apparaissent comme une source de troubles aux yeux des partisans du “contrôle” qui l’emportent après l'”Incident du 26 février 1936“. Tout au long des années 1920, ce projet porté notamment par Okamura infuse dans les rangs des officiers d’état-major organisés en clubs tels que l’Association du commencement (futaba-kai 二葉会) et l’Association du vendredi (kinyō-kai 金曜会), qui fusionnent en mai 1929 pour former l’Association du soir (isseki-kai 一夕会). Celle-ci entend noyauter les postes-clés de l’armée aux dépens de la vieille garde issue de la clique de Chōshū (Chōshū batsu 長州閥) et profiter de l’assassinat de Zhang Zuolin pour “résoudre” une fois pour toute la question de la Mandchourie et de la Mongolie ; autant d’objectifs qui commencent à se matérialiser dès le début des années 1930. Pour autant, les avis divergent parmi ces officiers “réformistes” quant à la manière de résoudre la question mandchoue. Contrairement à Ishiwara Kanji qui devait défendre avec succès l’établissement d’un État mandchou indépendant après l'”Incident de Mukden” (18 septembre 1931), Okamura est alors favorable à la mise en place d’un gouvernement local pro-japonais, distinct de celui de Nankin mais se revendiquant d’une légitimité étatique chinoise.
En mars 1923, Okamura est affecté à la Section Chine (Shina-ka 支那課) de l’état-major dont Satō Saburō 佐藤三郎 (1881-1964) prend deux mois plus tard la direction, marquant l’arrivée aux affaires de la nouvelle génération des Shinatsū 支那通 (spécialistes de la Chine). Dans ce centre névralgique du renseignement militaire japonais sur la Chine, Okura côtoie Itagaki Seishirō, Doihara Kenji, Sasaki Tōichi 佐々木到一 (1886-1955) ou encore Kita Seiichi. En décembre 1923, Okamura retourne en Chine comme résident à Shanghai. À partir de décembre 1925, il sert comme conseiller du seigneur de la guerre Sun Chuanfang 孫傳芳 (1884-1935), qui domine alors la région du Zhejiang-Fujian, avant d’être défait par l’Expédition du Nord au cours de l’été 1927. S’il collecte à cette occasion de nombreuses cartes qui se révéleront précieuses pour l’armée japonaise une décennie plus tard, Okamura répugne à endosser ce rôle. Comme d’autres Shinatsū de sa génération, il rejette cette politique chinoise consistant à tenter de contrôler les seigneurs de la guerre en leur adjoignant des conseillers japonais. Outre que la manipulation est le plus souvent réciproque, une telle politique a conduit selon eux leur pays à se fourvoyer face à la puissance montante des Nationalistes de Canton. Nommé à la tête du 6e régiment d’infanterie (hohei dai roku rentai 歩兵第6連隊) en juillet 1927, Okamura participe à l’occupation de Qingdao qui fait suite à l'”Incident de Jinan” (Sainan jiken 済南事件) en mai 1928. Dès août, il quitte toutefois ce rôle opérationnel pour prendre à Tokyo la direction de la Section d’histoire militaire nationale (naikoku senshi-ka 内国戦史課) de l’état-major jusqu’en août 1929, puis la direction adjointe de la Section des ressources humaines (jinji-kyoku 人事局) au sein du ministère de l’Armée. À ce poste, il participe en 1931 à l'”Incident de mars” (sangatsu jiken 三月事件), putsch raté visant à renverser le régime parlementaire de Taishō au profit d’un gouvernement militaire à la tête duquel il est envisagé de placer le ministre de l’Armée, Ugaki Kazushige. Son implication n’a pas de conséquence sur la suite de sa carrière, puisqu’il accède en avril 1932 au grade de général de brigade (shōshō 少将), peu après avoir été muté au poste de vice-chef d’état major de l’Armée expéditionnaire de Shanghai (Shanhai hakengun sanbō fukuchō 上海派遣軍参謀副長). Il arrive en Chine au lendemain du coup de force japonais à Shanghai destiné à faire diversion après l’invasion de la Mandchourie. Cette initiative d’Itagaki Seishirō, mise en œuvre par Tanaka Ryūkichi 田中隆吉 (1893-1972) et sa maîtresse Kawashima Yoshiko 川島芳子 (1907-1948), n’est pas du goût de Nagata Tetsuzan et d’Okamura qui le font savoir à Tanaka. Durant son séjour à Shanghai, Okamura organise le recrutement de prostituées coréennes pour les bordels militaires destinés aux soldats japonais. Aussi, certains voient-ils en lui l’un des concepteurs de la pratique des “femmes de réconfort” (i’anfu 慰安婦) généralisée durant la Guerre de l’Asie-Pacifique. À Shanghai, il retrouve notamment Kita Seiichi, qui le suit en Mandchourie où il prend, en août 1932, le poste de vice-chef d’état major de l’Armée du Guandong (Kantō-gun sanbō fukuchō 関東軍参謀副長), qu’il cumule à partir de février 1933 avec celui d’attaché militaire à l’ambassade du Japon. En mai et juin 1933, Okamura dirige la délégation japonaise dans les négociations qui aboutissent à la Trêve de Tanggu (Tanggu xieding 塘沽協定) créant une zone démilitarisée au sud de la Grande Muraille au détriment de la souveraineté chinoise.
Rappelé à Tokyo en mars 1935, Okamura est promu chef du Deuxième bureau (daini-bu 第二部) de l’état-major général, prenant ainsi la tête de l’ensemble des services du renseignement militaire japonais. Il succède à deux camarades de promotion, dans ce qui est l’un des principaux lieux de pouvoir de l’armée : son ami Nagata Tetsuzan, qui devait mourir assassiné quelques mois plus tard, et le spécialiste de la Chine Isogai Rensuke 磯谷廉介 (1886-1967). L’accession à ce poste de Shinatsū comme Isogai et Okamura – les premiers à diriger le 2e Bureau à l’exception de Matsui Iwane 松井石根 (1878-1948) dix ans plus tôt – traduit l’importance prise par la question chinoise après l’invasion de la Mandchourie. En octobre 1935, Okamura se rend en Chine pour présenter aux autorités militaires japonaises les “trois principes” du ministre des Affaires étrangères Hirota Kōki qui définissent les principaux desiderata japonais vis-à-vis du régime de Nankin. Si Okamura se défend devant les journalistes de mener une mission politique, sa venue met de fait sous pression le GMD pour qu’il amende sa politique japonaise lors de son 5e Congrès national, qui doit se réunir un mois plus tard. Avant de se rendre dans la capitale chinoise et à Shanghai, Okura fait escale à Dairen (Mandchourie) pour y rencontrer les principaux responsables japonais dans la région : Isogai (attaché militaire à l’ambassade du Japon en Chine), Itagaki (vice-chef d’état major de l’Armée du Guandong), Tada Hayao 多田駿 (commandant de la Garnison de Tianjin) ou encore Matsuoka Yōsuke (directeur de la Mantetsu 満鉄). Ils s’entendent sur la nécessité d’empêcher le projet centralisateur de Nankin en Chine du Nord. Cette politique de morcellement, incarnée par Doihara Kenji, est en contradiction avec la nouvelle diplomatie japonaise qu’est censé promouvoir Okamura. Celle-ci consiste en effet à soutenir une Chine unie sous le GMD à condition que ce dernier empêche toute manifestation anti-japonaise et reconnaisse le Manzhouguo. Okamura ne profite pas longtemps de son poste de chef du Deuxième bureau, qu’il doit à sa proximité à la fois avec Nagata et avec Obata Toshirō, leaders respectifs de la faction de contrôle et de celle de la Voie impériale. Sa mutation au bout d’un an, contre deux à trois ans habituellement, laisse penser que ses liens avec Obata lui portent préjudice après l'”Incident du 26 février 1936“. De fait, contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs, Okamura n’est pas promu au poste particulièrement convoité de chef du Bureau des affaires militaires du ministère de l’Armée (rikugun-shō gunmu-kyoku 陸軍省軍務局).
En mars 1936, il retourne sur le terrain, certes nanti du grade de général de division (chūshō 中将), comme commandant de la 2e division (dai-ni shidan 第2師団) postée à Harbin à partir d’avril 1937. Entre-temps, Okamura épouse en seconde noce Katō Chie 加藤知惠, fille de l’industriel et membre de la Chambre des Pairs, Katō Uhe’e 加藤宇兵衛 (1862-1929). En juin 1938, il se voit confier la création et le commandement de la 11e armée (dai-jū-ichi gun 第11軍) – aussi connue sous son nom de code « Groupe ryo » (ryo shūdan 呂集団), qui devient la principale force au sein de l’Armée expéditionnaire de Chine centrale (naka Shina hakengun 中支那派遣軍) engagée dans la Bataille de Wuhan qui aboutit à la prise de la capitale éphémère du Gouvernement national chinois le 25 octobre. Dans les mois qui suivent, Okamura déploie ses hommes pour consolider la position de la 11e armée, alors que les forces de Chongqing tentent de contourner le front par le Sud. Le 20 mars 1939, il lance une offensive contre Nanchang qui tombe au bout d’une semaine de combats au cours desquels Okamura n’hésite pas à faire usage d’armes chimiques. L’Armée nationale ne s’avoue pas pour autant vaincue et multiplie les contre-attaques sans toutefois parvenir à reprendre la capitale du Jiangxi. Peut-être par excès de confiance, Okamura se décide à prendre Changsha en août 1939. Il attaque la capitale du Hunan avec 120 000 hommes, mais doit finalement battre en retraite à la mi-octobre en raison de la résistance des 365 000 hommes du général Chen Cheng. Rappelé à Tokyo en mars 1940 pour siéger au Conseil suprême de guerre (gunji sanji giyin 軍事参事議院), aux côtés de Doihara et Tōjō, Okamura est promu général d’armée (taishō 大将) en avril 1941.
Le 7 juillet 1941, quatre ans jour pour jour après le déclenchement de la guerre, Okamura succède à Tada Hayao au poste de commandant de l’Armée régionale de Chine du Nord (kita Shina hōmen-gun 北支那方面軍) forte de plus de 700 000 hommes. Bien décidé à punir le PCC pour son “Offensive des cent régiments” (baituan dazhan 百團大戰) un an plus tôt, Okamura annonce le lancement de son pendant japonais : l'”Offensive du million” (hyakuman daisen 百万大戰) conçue comme une “guerre totale” aussi bien militaire, politique qu’économique. Connue en Chine sous le nom de “tactique des Trois tout” (sanguang zuozhuan 散光作戰) – tout tuer (shaguang 殺光), tout brûler (shaoguang 燒光), tout piller (qiangguang 搶光) – cette stratégie contre-insurrectionnelle est restée associée jusqu’à aujourd’hui au nom d’Okamura. En réalité, ces opérations de “nettoyage” précèdent l’arrivée d’Okamura à Pékin, de même que l’expression “tactique des Trois tout”, dont on peut faire remonter la première occurrence à un télégramme de la 8e armée (PCC) daté du 16 novembre 1940. Toujours est-il qu’Okamura systématise et intensifie ce que les sources japonaises de l’époque désignent sous le nom d'”opérations réduction en cendres” (jinmetsu sakusen 燼滅作戦) ou encore d'”annihilation complète” (tettei kimetsu 徹底毀滅). S’il se défendra dans ses mémoires d’avoir appliqué une telle politique, affirmant avoir, au contraire, interdit à ses subordonnés de “tuer, brûler, piller”, Okamura ordonne plusieurs opérations de grande ampleur dans une région à cheval sur le nord-est du Shanxi et une partie du Hebei au cours desquelles des millions de Chinois sont déplacés, des centaines de milliers tués et de grandes quantités de ressources réquisitionnées. Tout en assurant avec zèle le “sale boulot” de l’occupation, Okamura garde à l’esprit des enjeux à plus long terme. Comme beaucoup d’officiers, notamment en Chine du Nord, il est persuadé que le choix fait par Tokyo d’interrompre (officiellement) toute négociation avec Chongqing en 1938, puis de miser sur Wang Jingwei en 1940, est une erreur. En mars 1939, déjà, il écrivait que le discours du 16 janvier 1938 par lequel le premier ministre Konoe Fumimaro rompait avec Jiang Jieshi et appelait de ses vœux la formation d’un nouveau gouvernement central chinois constituait un obstacle à la résolution du conflit. Bien que les militaires aient l’interdiction d’entreprendre des négociations de paix directe avec Chongqing après la fondation du gouvernement de Wang Jingwei, certains tentent de le faire sous prétexte de récolter du renseignement. C’est le cas d’Okamura qui cherche, en 1941-1942, à contacter Chongqing avec l’aide de Yin Tong, qu’il a connu durant les négociations de mai 1933 lorsque ce dernier servait d’agent de liaison entre la partie japonaise dirigée par Okamura et la partie chinoise. Le choix d’un intermédiaire à Chongqing qui se révélera être un agent double communiste et le décès de Yin, fin 1942, font échouer cette tentative.
En août 1944, Okamura prend le commandement de la 6e armée régionale (dai roku hōmen gun 第6方面軍) créée pour assurer la défense des territoires conquis lors de l'”Opération n°1″ (ichi-gō sakusen 一号作戦). En novembre, il accède au poste militaire le plus élevé de Chine occupée : celui de commandant en chef de l’Armée expéditionnaire de Chine (Shina hakengun sōshi reikan 支那派遣軍総司令官), prenant la suite de Hata Shunroku. Dès sa prise de fonction, Okamura presse sa hiérarchie de lancer une vaste campagne au Sichuan. Il compte profiter de l’avantage donné au Japon par l’Opération Ichigo pour atteindre Chongqing avant l’entrée en fonction de la Route de Birmanie et le débarquement des Américains, que les Japonais prévoient pour le milieu de l’année 1945. Adopté le 16 janvier 1945 par le 1er Bureau de l’état-major général, ce plan n’est jamais appliqué en raison de la consolidation des défenses chinoises autour de Chongqing et de la détérioration de la situation dans le Pacifique. À la place, l’armée japonaise se prépare à résister au prochain débarquement américain. Parallèlement à ses plans pour en finir une fois pour toute avec Chongqing, Okamura reçoit pour mission de reprendre langue avec le Gouvernement national, ce qu’il fait par des contacts radio réguliers. Le gouvernement japonais espère alors profiter du succès de l’Opération Ichigo, qui a porté un rude coup aux forces nationalistes, pour se désengager du bourbier chinois afin de rediriger ses ressources vers le Pacifique. Confiant dans ses talents de négociateur, Okamura explique le 7 janvier à Zhou Fohai qu’il est déjà à l’origine des cessez-le-feu de Shanghai (1932) et de Tanggu (1933), citant le proverbe “jamais deux sans trois“. Il propose à Chongqing un retrait des troupes japonaises au bout d’un an au nord de la Grande Muraille, mais Jiang exige que les troupes japonaises se retirent jusqu’en Corée. Le 14 février 1945, Okamura rencontre à Shanghai l’ancien maire de Pékin Yuan Liang 袁良 (1883-1953), choisi par Jiang Jieshi pour le représenter. Yuan lui transmet trois propositions préparant davantage l’après-guerre qu’un cessez-le-feu immédiat : (1) la coopération sino-japonaise revêt une grande importance pour l’Asie de l’Est ; (2) des discussions entre la Chine et le Japon auront lieu au moment opportun ; (3) en attendant, il est dans l’intérêt des deux camps de se ménager autant que possible. En mars, Okamura rencontre un émissaire de He Yingqin à Nankin chargé de transmettre les termes de paix de Chongqing, mais il reste sur sa position d’un retrait en Mandchourie jugée inacceptable par la partie chinoise.
Dans les dernières semaines de la guerre, Okamura semble ne pas se résoudre à la défaite. Quelques jours avant la reddition du Japon, il envoie un télégramme à ses supérieurs au Japon demandant l’autorisation de lancer une dernière offensive. Il ajoute : “Je suis fermement convaincu que c’est le moment de mobiliser tous nos efforts pour nous battre jusqu’au bout, convaincu que l’armée dans son ensemble devrait connaître une mort honorable sans se laisser distraire par l’offensive de paix ennemie“. Lorsque survient l’annonce de la reddition sans condition du Japon le 15 août 1945, les troupes placées sous le commandement d’Okamura restent en position de force en Chine. Il entend user de cet avantage pour peser dans la sortie de guerre au profit des Nationalistes dans la guerre civile qui s’annonce avec les Communistes. Avant même l’allocution de l’empereur Shōwa, il rejette la demande envoyée par Yan’an, le 10 août, exigeant que les troupes japonaises déposent les armes auprès de toutes les forces anti-japonaises, communistes compris. Okamura ordonne à son armée de ne se rendre qu’aux forces nationalistes, allant ainsi dans le sens de la directive émise au même moment par le Général Mac Arthur. Digérant mal la défaite, il note le 18 août dans son journal personnel : “J’ai perdu le goût pour la vie. Je suis comme un cadavre, ravalant amèrement ma bile alors que je m’efforce de faire rentrer un million de soldats en sécurité chez eux“. Ce même jour, Okamura définit le rôle de l’armée japonaise de la manière suivante : aider à la reconstruction de la Chine, soutenir le Gouvernement national dans ses efforts pour rétablir son autorité, et « punir résolument » les Communistes s’ils se mettent en travers de leur route. Cette politique de coopération est accueillie positivement par Chongqing qui mobilise dans le même temps certains collaborateurs comme Zhou Fohai pour s’assurer que les principales villes de zone occupée ne tombent pas aux mains des Communistes avant l’arrivée des troupes nationalistes. Elle est scellée lors de discussions débutée le 27 août entre Okamura et le vice-chef d’état-major de l’Armée nationale, Leng Xin 冷欣 (1900-1987). Ce dernier demande aux troupes japonaises de sécuriser huit grandes villes : Pékin, Tianjin, Qingdao, Nankin, Shanghai, Wuhan, Canton et Hong Kong. Selon John H. Boyle, “the tone of the Okamura-Leng meetings suggests not so much a meeting of victor and vanquished as a meeting of friends cooperating against a common enemy, the Chinese Communists.” (Boyle 1972, p. 327). Okamura accepte mais demande à Leng d’envoyer ses meilleures troupes en Chine du Nord le plus rapidement possible, pour ne pas laisser les Japonais seuls face aux Communistes. Le 9 septembre 1945, Okamura représente son pays dans la cérémonie de reddition pour le Théâtre des opérations de Chine-Birmanie-Inde qui se tient à Nankin en présence de He Yingqin. Contrairement à l’image qu’en donne aujourd’hui le tableau de 6 mètres de large de Chen Jian 陳堅 accroché depuis 2003 dans le Musée de la Guerre de résistance du peuple chinois contre le Japon à Pékin, la cérémonie est plutôt cordiale. Les officiers japonais présents connaissent souvent personnellement leurs homologues chinois dont beaucoup ont été formés au Japon, à commencer par He Yingqin diplômé en 1916 de l’École d’officiers de l’armée de terre. La presse de l’époque ne manque d’ailleurs pas de dénoncer l’attitude jugée trop révérencieuse de He qui se lève et s’incline pour prendre à deux mains le document que lui tend Okamura (voir photo ci-dessus).
Ces bonnes manières augurent favorablement du sort qui attend Okamura et ses hommes. La remobilisation des troupes japonaises passe par l’invention d’une nouvelle terminologie. Les soldats japonais ne sont pas traités en “prisonniers de guerre” (fulu 俘虜), mais comme des “soldats aux mains nues” (tushou guanbing 徒手官兵). Ce statut ad hoc leur permet de demeurer libres et même de conserver des armes légères. Dans le même temps, leur commandement, qui prend ses quartiers à l’ambassade du Japon au cœur de Nankin, est rebaptisé “groupe de liaison” (lianluoban 聯絡班) avec Okamura à sa tête, tandis que l’appareil militaire japonais conserve ses différentes branches dans toute la Chine. Cette politique vaut aux autorités nationalistes d’être accusées dans la presse communiste de protéger les anciens collaborateurs et les “diables japonais”. Le 14 septembre 1945, le nom d’Okamura apparaît en tête de la liste des dirigeants japonais dont Yan’an réclame le jugement, devant ceux de Tōjō Hideki ou de Hirohito. Cette “notoriété” due à son rôle dans les campagnes de “nettoyage” en Chine du Nord, n’empêche pas Okamura de continuer à rencontrer régulièrement les principaux dirigeants nationalistes. Le 21 décembre 1945, il se concerte avec He Yingqin sur la marche à suivre, arrivant à un même constat : l’intervention occidentale complique les choses et le communisme constitue une menace commune pour le Japon et la Chine. Le 23 décembre, Okamura rencontre Jiang Jieshi en personne, qui sait combien les États-Unis voient alors d’un mauvais œil ce rapprochement sino-japonais. De fait, la presse américaine s’étonne des conditions de vie et de la liberté de mouvement dont jouit le “Prisonner Okamura“. Dans les mois qui suivent la fin de la guerre, les autorités américaines en Chine et au Japon s’opposent en vain au traitement privilégié dont bénéficie Okamura et réclament, tout aussi vainement, son rapatriement pour qu’il puisse témoigner devant le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient. À chaque fois, He Yingqin vole au secours de son senpai. Les arguments invoqués frisent souvent la provocation. Ainsi, à la veille de l’ouverture du Procès de Tokyo en avril 1946, Okamura refuse de rencontrer le général Albert Wedemeyer (1896-1989), chef d’état-major de Jiang Jieshi, au motif qu’il “souffre depuis trois mois d’une maladie de la langue“. Pour le faire paraître plus inoffensif encore, le “sexagénaire” est décrit dans ce même communiqué de presse comme “tuant le temps en jouant aux échecs japonais [le shōgi 将棋]”, dont il est un champion respecté, “et en composant des poèmes” (SCMP, 30/03/1946). En réalité, Okamura est fortement soupçonné de servir alors comme conseiller du régime de Nankin dans sa lutte armée contre les Communistes.
Bien qu’elles aient jugé et exécuté entre-temps quelques officiers japonais de moindre envergure, les autorités nationalistes restent sous la pression constante de la presse chinoise, mais aussi occidentale. Le sort réservé à Okamura est désormais expliqué à l’aune des Stilwell Papers publiés en 1948 par la veuve de l’ancien chef d’état-major de Jiang Jieshi. Accusé d’avoir économisé ses forces contre le Japon pendant la guerre pour mieux combattre les Communistes, Jiang l’est désormais pour sa clémence envers le “Number one criminal” Okamura, parce qu’il le juge utile à la poursuite de sa croisade anti-rouges, le tout aux frais du contribuable américain. Le Gouvernement national finit donc par se résoudre à juger Okamura, alors que la tâche principale de ce dernier – la gestion du rapatriement des contingents japonais présents en Chine au moment de la capitulation – est achevée en avril 1948. Le 7 juillet, Okamura se voit notifier sa convocation à comparaître devant le Tribunal militaire du ministère de la Défense pour le jugement des criminels de guerre (guofangbu shenpan zhanfan junshi fating 國防部審判戰犯軍事法庭). À en croire certaines sources de Chine populaire, citées par Barak Kushner dans son étude du procès, il aurait été alors prévenu par un émissaire de He Yingqin, le général de brigade Cao Shicheng 曹士澂, que le généralissime étant très satisfait du concours apporté par Okamura depuis août 1945, le procès à venir ne serait qu’une formalité. Ce n’est pourtant pas l’avis d’une grande partie de la classe dirigeante chinoise : lors d’une réunion préparatoire en vue du procès réunissant des représentants des ministères de la Justice et des Affaires étrangères ainsi que des militaires, tous sont d’accord pour qu’il soit condamné à la prison à perpétuité, à l’exception de Cao Shicheng, selon le témoignage laissé par ce dernier. Au moment de rendre leur verdict, le 26 janvier 1949, les juges aboutissent à la même conclusion : Okamura est bien coupable. Le président du tribunal, Shi Meiyu 石美瑜 (1908-1992), leur montre alors deux télégrammes envoyés respectivement par Li Zongren 李宗仁 (1891-1969), qui remplace Jiang depuis quelques jours comme président de la République de Chine, et par le général Tang Enbo 湯恩伯 (1899-1954). Tous deux soulignent la contribution d’Okamura aux objectifs du régime nationaliste et concluent pas cet ordre sans appel : “Le prisonnier Okamura Yasuji nous est utile. Merci de le déclarer non coupable“. Pour plus de précaution, le courrier est accompagné du verdict attendu, sur lequel le ministre de la Défense, Xu Yongchang 徐永昌 (1893-1959), a déjà apposé son sceau. Le verdict, lui-même, exonère Okamura au motif que les principaux crimes de guerre perpétrés par l’Armée expéditionnaire de Chine l’ont été avant sa prise de fonctions et que la justice chinoise a déjà condamné des officiers japonais pour lesdits crimes. Le 30 janvier, Okamura et 260 autres militaires japonais jugés en Chine embarquent discrètement à Shanghai pour le Japon à bord d’un navire américain. Souffrant de la tuberculose, Okamura est hospitalisé à son arrivée à Tokyo, tandis que ses compagnons vont finir leur peine à la prison de Sugamo. L’acquittement d’Okamura est loin de passer inaperçu. Le jour-même, des messages radiodiffusés par le PCC depuis le Nord-Shanxi demandent aux Gouvernement national d’arrêter à nouveau Okamura pour le livrer aux autorités communistes. Le verdict est dénoncé comme participant d’un stratagème visant à réemployer les “réactionnaires japonais” pour “lutter contre le peuple chinois” ; stratagème que cherche à camoufler Nankin par des “négociations de paix hypocrites“. Au même moment, Mao Zedong est en effet décidé à faire échouer les pourparlers de paix voulus par Li Zongren, qui, le lendemain du verdict, accepte les “Huit points” de Mao comme base pour de nouvelles négociations. Celles-ci accordent une place centrale au sort d’Okamura, puisque le premier de ces huit points concerne les criminels de guerre japonais. Le texte sur lequel achoppent les négociations, qui se tiennent à Pékin entre le 1er et le 20 avril, précise que “le cas du criminel de guerre Okamura Yasuji et des 260 autres criminels de guerre doit rester ouvert pour être traité en dernier lieu par le gouvernement de coalition de la Nouvelle démocratie“.
En juin 1949, Okamura reçoit à l’hôpital la visite d’une délégation de militaires chinois menée par Cao Shicheng qui lui remet une lettre signée par Jiang Jieshi lui demandant de l’aide contre les Communistes. Okamura fait appel à Sumita Raishirō 澄田睞四郎 (1890-1979) et Sogawa Jirō 十川次郎 (1890-1963), tous deux généraux de brigade ayant servi sous ses ordres à la fin de la guerre, ainsi qu’à Ogasawara Kiyoshi 小笠原清, qui a servi dans l’état-major de l’Armée expéditionnaire de Chine et continue d’assister Okamura après-guerre. Bien que simple lieutenant-colonel, Ogasawara est expert dans les stratégies contre-insurrectionnelles pour avoir contribué à la conception de la Campagne de pacification rurale aux côtés de Haruke Yoshitane en 1941. Alors que Jiang Jieshi prépare déjà son repli dans le bastion taïwanais, ils acceptent de former un groupe de conseillers japonais pour aider l’Armée nationale à reconquérir le continent. C’est ainsi que voit le jour, en octobre 1949, le « Groupe blanc » (baituan 白團) qui doit son nom à l’un de ses premiers responsables, le général Tomita Naosuke 富田直亮 (1899-1979), qui prend le pseudonyme chinois Bai Hongliang 白鴻亮, mais aussi, ajoute Barak Kushner, parce que le “blanc” s’oppose au “rouge” des communistes. Les officiers qui le composent voyagent en effet de manière clandestine pour ne pas attirer l’attention de l’occupant américain, dont les services secrets ne tardent cependant pas à remarquer ces mouvements suspects. En mars 1950, le général Mac Arthur aurait prévenu Okamura que si ses services devaient découvrir qu’il s’était rendu à Taiwan pour aider les Nationalistes à combattre les communistes, ils prendraient des mesures contre lui. Dans les faits, les États-Unis laissent faire, a fortiori après le déclenchement des hostilités en Corée, à l’été 1950, qui conduit à la réhabilitation des anciens dirigeants purgés pour leur implication dans la guerre. La principale motivation d’Okamura ne semble pas avoir été financière mais bien idéologique. Celui qu’on compare parfois à un moine militaire détaché des préoccupations matérielles est heureux de se sentir utile en poursuivant dans la Guerre froide sa lutte contre le communisme. Le 9 septembre 1945, jour de la cérémonie de reddition, il revient dans son journal personnel sur sa longue carrière au service de son pays, avant de s’interroger sur la suite : “Que devrais-je faire du reste de ma vie? Je n’ai pas d’autres compétences [que celles de militaire]?”. S’il est l’un des principaux architectes du Groupe blanc, Okamura est trop affaibli par la maladie pour se rendre en personne à Taiwan, à l’exception d’un voyage public en 1961. Dissout en février 1969, le Groupe blanc voit passer plus de 80 officiers japonais et forme entre 10 000 et 20 000 soldats nationalistes.
Jusqu’à la fin de sa vie, Okamura reste actif dans les associations de vétérans. En tant que dernier commandant en chef de l’Armée expéditionnaire de Chine, il est présent le 5 août 1952 devant les portes de la prison de Sugamo pour accueillir la libération de ses hommes qui ont fini d’y purger leur peine prononcée par les tribunaux chinois. À son initiative, ils vont tous présenter leurs remerciements à l’envoyé spécial de la République de Chine, le général Zhang Qun 張群 (1899-1990). Okamura se soucie également du sort des anciens collaborateurs chinois réfugiés dans l’archipel, lui qui au lendemain de la défaite avait planifié leur exfiltration, sans que ce projet ne se matérialise. En juillet 1953, il co-signe une pétition avec le colonel Yamagata Hatsuo 山縣初男 (1873-1871) – un Shinatsū impliqué dans l’opération de paix manquée de Miao Bin en janvier 1945 – au ministre des Affaires étrangères Okazaki Katsuo 岡崎勝男 (1897-1965). Leur texte dénonce les conditions de précarité légale et financière dans lesquelles vivent ceux qui sont “appelés des traîtres aux Han aussi bien par le PCC que par le régime de Jiang, dont tous les biens ont été confisqués et dont la vie même est en danger“. Il est du devoir du gouvernement japonais, concluent-ils, de leur venir en aide. Sa fréquentation des cercles issus de l’État d’occupation japonais en Chine conduit Okamura à prendre part à la création, en octobre 1953, de l’Association pour la renaissance des Chinois résidant au Japon (zainichi Chūgokujin kōseikai 在日中国人更生会) avec Wachi Takaji et un ancien commandant de la kenpeitai à Pékin d’origine chinoise, Huang Nanpeng 黃南鵬 (1902-?). Financée par des “amis de la Chine”, cette organisation visant à développer le commerce avec le continent en s’appuyant sur les “exilés chinois” est rapidement dissoute en raison d’une dispute entre ses fondateurs. Ces différentes initiatives aboutissent en juin 1959 à la formation de l’Association de bon voisinage (zenrin yūgi-kai 善隣友誼会), portée par deux spécialistes de la Chine du Gaimushō, Shimizu Tōzō et Iwai Eiichi. Okamura accepte de siéger dans son conseil d’administration aux côtés notamment de son ancien bras droit Imai Takeo. L’association apporte une aide financière à une vingtaine d’anciens collaborateurs réfugiés au Japon. Quatre ans après la mort d’Okamura en 1966, un recueil de ses archives personnelles est publié par le lieutenant colonel Inabata Masao 稲葉正夫 (1908-1973), dans le cadre d’une collection du Bureau d’histoire militaire de l’Agence de la Défense (bōeichō senshishitsu 防衛庁戦史室). Okamura explique dans la préface avoir décliné à plusieurs reprises les sollicitations des maisons d’édition espérant publier ses mémoires. Lui qui a travaillé au début de sa carrière dans les services de documentation de l’armée, accepte en revanche de fournir son journal personnel tenu en 1945-1946, ainsi qu’un témoignage sur son rôle durant la guerre rédigé entre 1963 et 1965 avec l’aide d’Imai Takeo ou encore d’Ogasawara Kiyoshi. Transmettre son expérience du champ de bataille constitue, écrit-il, un devoir envers son pays.
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