Wang Jingwei

汪精衛

18831944

Lieu d'origine

Sanshui 三水

Province d'origine

Guangdong 廣東

[ming, Zhaoming 兆銘]

Natif de Sanshui (Guangdong), Wang Jingwei est originaire du district de Shaoxing 紹興 (Zhejiang), réputé pour avoir donné à la Chine quelques-uns de ses talents les plus fameux. Comme plusieurs de ses ancêtres, son père, Wang Chu 汪琡 (1824-1897), occupe un emploi de secrétaire privé (muliao 幕僚) auprès d’un fonctionnaire, ce qui l’amène à quitter Shaoxing pour s’installer à Canton. Élevé dans un milieu très cultivé, Wang Jingwei reçoit une éducation classique solide dès son plus jeune âge. Orphelin de mère à douze ans puis de père deux ans plus tard, il gagne sa vie en donnant des leçons privées. Élève brillant, il est reçu premier à l’examen de son district avant de réussir, en 1904, l’examen provincial du Guangdong et d’obtenir du gouvernement une bourse pour le Japon.

Il se forme au droit constitutionnel et aux sciences politiques à l’Université Hōsei 法政大学 (Tokyo), dont il sort diplômé en 1906. Entre-temps, il a fait la connaissance de compatriotes de sa province, tels Hu Hanmin 胡漢民 (1879-1936), qui partagent sa révolte contre l’impérialisme et la dynastie mandchoue. Ce groupe de Cantonais devient le principal appui de Sun Yat-sen au sein de la Ligue jurée (tongmenghui 同盟會) fondée en 1905. Wang se fait rapidement remarquer grâce à ses articles dans le Minbao 民報 (Journal du peuple) qu’il signe du nom de plume Jingwei, en référence à la légende de la princesse Nüwa 女娃, symbole de persévérance. Engloutie par les flots, la fille de Yandi 炎帝 se serait réincarnée en un oiseau surnommé Jingwei 精衛 qui, chaque jour, rapportait de la montagne brindilles et cailloux afin de combler l’océan. Dans ses analyses, Wang définit les fondements théoriques du mouvement anti-mandchou en contribuant à adapter les concepts d’”État” et de “nation” à la Chine. Il se fait le héraut d’un renversement des Qing contre Liang Qichao 梁啟超 (1872-1929) qui défend la mise en place d’une monarchie constitutionnelle.

Wang accompagne Sun Yat-sen en Asie du Sud-Est où ses talents de tribun gagnent de nombreux soutiens à la Ligue jurée. Face aux divisions du mouvement révolutionnaire et sous l’influence des anarchistes russes, Wang opte cependant pour une action d’éclat contre l’avis de Sun. En compagnie d’un groupe de conjurés, parmi lesquels sa future épouse Chen Bijun, Wang projette d’assassiner, en avril 1910, le Prince régent et père de Puyi, Zaifeng 載灃 (1883-1951). Le complot est déjoué et Wang Jingwei condamné à mort. En cellule, il compose plusieurs textes et poèmes, dont ces vers qui resteront parmi les plus célèbres du siècle : « le couperet fait ma joie/Ô jeunesse, je ne t’ai point trahie [引刀成一快,不負少年頭] ». Son martyre n’a toutefois pas lieu : les révolutionnaires victorieux à l’hiver 1911 le libèrent. À 28 ans, Wang est une célébrité dans tout le pays autant pour son courage que pour sa beauté.

Désireux, explique-t-il alors à Sun Yat-sen, de poursuivre ses études, il part pour la France en août 1912. À la suite de Li Shizeng 李石曾 (1881-1973), il s’installe avec sa femme et des amis à Montargis où il cultive un libéralisme anarchisant. Wang hésite à l’époque entre l’éducation et la politique comme meilleur moyen de réaliser pleinement la révolution. Avec Li et Cai Yuanpei 蔡元培 (1868-1940), il crée l’Association travail-études (qingong jianxue 勤工儉學) qui organise la venue de jeunes Chinois censés travailler dans des usines françaises afin de financer leur séjour tout en étudiant. Si elle ne tient pas toutes ses promesses, cette entreprise voit passer près de deux mille étudiants, parmi lesquels Zhou Enlai 周恩來 (1898-1976) et Deng Xiaoping 鄧小平 (1904-1997). Le même groupe fonde l’Association pour la promotion de la vertu (jindehui 進德會) destinée à lutter contre les vices jugés responsables de l’affaiblissement de la Chine. Avec son parent Chu Minyi, également présent en France, Wang s’impose de ne pas boire ni fumer, en sus des autres interdictions prônées par l’Association (accepter un poste politique, se livrer à la débauche, au jeu, etc.). Si Wang garde toute sa vie un amour des vins français, il est en revanche connu pour être l’un des seuls hauts dirigeants de l’époque à ne pas être volage (du moins en amour).

Ses années en France sont aussi l’occasion pour lui d’approfondir sa connaissance des classiques chinois. Critiquant ses compatriotes qui en viennent à mépriser leur propre culture, il voit dans les études nationales (guoxue 國學) une clé pour moderniser le pays. Il est membre de la Société méridionale (nanshe 南社) qui défend une littérature classique au service du nationalisme. Jusque dans les années 1930, il publie régulièrement des poèmes dans le cadre de cette société sous le nom de plume de Manzhao 曼昭. Le goût de Wang pour la poésie n’est pas seulement esthétique. Arme de propagande pour gagner le cœur et les esprits, elle est également un instrument de sociabilité politique auquel Wang a recours jusque dans son gouvernement collaborateur des années 1940 pour lequel il recrute certains de ses « amis en poésie » (shiyou 詩友). Après la crise provoquée par l’assassinat de Song Jiaoren 宋教仁 (1882-1913) en 1913, Wang retourne quatre fois en Chine. Il hésite cependant à répondre aux appels répétés de Sun Yat-sen, et répugne à prêter un serment de fidélité personnel à Sun, comme le prévoient les statuts du Parti révolutionnaire chinois (Zhonghua geming dang 中華革命黨) fondé en 1914.

Après avoir pris part à la délégation chinoise lors de la Conférence de la paix de Paris en 1919, Wang rentre pour de bon en Chine afin d’assister Sun dans la mise en place d’un gouvernement nationaliste à Canton. Renonçant à l’anarchisme, Wang considère désormais que le salut de la Chine passe par l’engagement politique et la construction étatique. Lors du 1er congrès du GMD après sa réorganisation sur le modèle léniniste, en 1924, Wang est élu au Comité exécutif central (zhongyang zhixing weiyuanhui 中央執行委員會). À la fin de l’année, il accompagne Sun à Pékin pour négocier la réunification du pays. Au chevet du grand homme mourant, Wang rédige son testament, qui devient le credo du culte rendu par la suite au « père de la nation ». Parmi les dirigeants pouvant prétendre à son héritage, Wang Jingwei a pour lui le charisme qui manque à Hu Hanmin et la légitimité politique qui fait défaut à Jiang Jieshi. Il prend le pas sur le premier lors du 2e congrès, en janvier 1926, mais perd rapidement du terrain face au second malgré le soutien du conseiller soviétique Mikhail Borodin (1884-1951), qui favorise l’émergence d’une aile gauche menée par Wang.

Ce dernier entretient des relations complexes avec l’allié communiste. D’abord opposé au Front uni, il se rapproche du Komintern durant la période allant de sa nomination à la tête du Gouvernement nationaliste (guomin zhengfu 國民政府) en juillet 1925 à sa rupture définitive avec le PCC, en juillet 1927. Le 20 mars 1926, Jiang Jieshi utilise l’incident de la canonnière Zhongshan (Zhongshan jian shijian 中山艦事件) pour s’imposer face à l’aile gauche du GMD. Prétextant son état de santé fragile (il souffre, il est vrai, de diabète), Wang se retire en France. Suite à la rupture, début 1927, entre l’aile gauche installée à Wuhan et Jiang Jieshi à Nankin, Wang est rappelé. Il arrive en Chine le 1er avril, après une escale à Moscou, qui compte sur lui pour imposer la ligne soviétique en Chine, notamment après la purge sanglante des Communistes entamée le même mois par Jiang à Shanghai. La maladresse du représentant de l’Internationale communiste, Manabendra Roy (1887-1954), conduit pourtant Wang à se retourner contre celle-ci. Le 5 juin 1927, Roy fait lire à Wang un télégramme de Staline appelant le PCC à former sa propre armée. Se sentant trahi, Wang réprime à son tour les Communistes.

En octobre, il s’installe à Canton où il espère poursuivre la lutte contre Jiang avec l’appui du général Zhang Fakui 張發奎 (1896-1980). Affaibli au sein du GMD, Wang repart pour la France en décembre. L’année suivante, ses principaux lieutenants sont exclus du Parti. Entre 1928 et 1931, Wang s’allie avec les militaristes régionaux Li Zongren 李宗仁 (1890-1969) et Feng Yuxiang 馮玉祥 (1882-1948) dans une coalition anti-Jiang. Ils sont rejoints en 1930 par le puissant Yan Xishan 閻錫山 (1883-1960) avec qui Wang prévoit de former un gouvernement rival de celui de Nankin. Un sommet est organisée à Taiyuan en juillet 1930 où la coalition appelle au renversement de la dictature militaire de Jiang. Grâce au soutien du seigneur de la guerre de Mandchourie, Zhang Xueliang, ce dernier parvient néanmoins à battre la coalition en octobre 1930 lors de la Bataille des plaines centrales (zhongyuan dazhan 中原大戰).

En mai 1931, Wang rejoint le mouvement d’opposition qui se forme alors à Canton à la suite de l’arrestation de Hu Hanmin par Jiang le 28 février. Ce rapprochement ne va pas de soi car Hu incarne l’aile conservatrice du GMD que l’aile gauche dirigée par Wang tient pour responsable de la pente dictatoriale prise par Jiang. Si les Nationalistes de Canton comptent mettre à profit le prestige de Wang pour faire avancer leur cause, ils refusent que ses soutiens l’accompagnent, notamment l’ancien communiste Chen Gongbo. Le camp de Canton est lui-même divisé entre ceux qui reconnaissent ou non la légitimité du 3e congrès du GMD organisé à Nankin. Bien que très attaché à la question de la légitimité du parti (dangtong 黨統), Wang décide d’adopter une attitude conciliante afin de ne pas accroître les luttes intestines. Dans cet esprit, il dissout sa propre faction, l’Association pour la réorganisation du GMD (guomindang gaizu tongzhihui 國民黨改組同志會), contre l’avis de ses membres.

Le face-à-face entre Nankin et Canton prend fin avec l’Incident de Mukden, le 18 septembre 1931, qui oblige les différentes factions du GMD à s’entendre. Isolé à Canton, où les conservateurs multiplient les vexations à son encontre, Wang décide début octobre de s’allier avec Jiang Jieshi, alors même qu’il l’attaquait dans un discours quelques jours plus tôt. Le refus commun de Wang et Jiang de participer au gouvernement de Sun Ke 孫科 (Sun Fo, 1891-1973), inauguré le 1er janvier 1932, affaiblit ce dernier qui présente sa démission dès le 28 janvier. Wang prend ce même jour la tête du gouvernement comme président du Yuan exécutif (xingzhengyuan 行政院). S’ouvre alors une période de coopération entre Wang et Jiang qui prend définitivement fin en décembre 1938. Cette alliance de raison ne se fait pas sur un pied d’égalité. Président du Comité des affaires militaires (junshi weiyuanhui 軍事委員會), Jiang est, de fait, le numéro un du régime. Il consacre l’essentiel de son temps aux opérations militaires contre le PCC tandis que Wang Jingwei préside à la politique gouvernementale à Nankin.

Il doit composer avec les deux beaux-frères de Jiang, Kong Xiangxi 孔祥熙 (H.H. Kung, 1880-1967) et Song Ziwen 宋子文 (T.V. Soong, 1894-1971), qui ont la haute main sur la politique économique et les finances. Soucieux de capter l’héritage de Sun Yat-sen, Jiang se rapproche de Sun Ke à qui il commande un projet de Constitution en octobre 1932. Prenant une nouvelle fois prétexte de son état de santé, Wang part alors en Europe pour six mois en se faisant remplacer par Song Ziwen. À son retour, il passe par Hong Kong où il tente, en vain, de convaincre Hu Hanmin de relancer la coalition contre Jiang. À Nankin, il retrouve son poste de chef de gouvernement et hérite du portefeuille des Affaires étrangères (waijiaobu 外交部). Ces fonctions font de lui le visage de la politique de conciliation vis-à-vis du Japon. Complétant la stratégie de Jiang qui consiste à “pacifier l’intérieur avant de résister à l’extérieur” (xian annei, hou rangwai 先安內後攘外), cette politique visant à gagner du temps quitte à faire des concessions est résumée par la formule “résistance d’un côté, négociations de l’autre” (yimian dikang, yimian jiaoshe 一面抵抗一面交涉). Cet attentisme se traduit par la signature de plusieurs accords entérinant le grignotage de la souveraineté chinoise depuis le Nord.

Bien qu’il soit sur la même ligne que Jiang, Wang est tenu responsable de ces humiliations par l’opinion. Lors d’une réunion du Conseil exécutif, le 1er novembre 1935, un homme du nom de Sun Fengming 孫風鳴 se faisant passer pour un photographe tire trois balles sur Wang avant d’être roué de coups par Zhang Xueliang. Soupçonné par l’entourage de Wang d’être derrière cet attentat, Jiang ordonne immédiatement à Dai Li 戴笠 (1897-1946) de mener l’enquête. Après avoir remonté une piste conduisant à la Lixingshe 勵志社 – le groupe fascisant pro-Jiang dit des “chemises bleues” (lanyi 藍衣) – puis au PCC, Dai Li obtient finalement la réponse qu’il cherchait en torturant personnellement l’épouse de Sun Fengming. L’implication d’opposants à Jiang convainc Chen Bijun de l’innocence de ce dernier. Il s’avère même que Jiang était la cible prioritaire du complot. L’enquête remonte jusqu’au “roi des assassins”, Wang Yaqiao 王亞樵 (1887-1936), qui est tué l’année suivante par la police secrète de Dai Li.

Grièvement blessé, Wang abandonne tous ses postes et part en convalescence en Europe. Ce voyage vise, en outre, à négocier avec l’Allemagne une participation de la Chine au Pacte anti-Komintern devant mettre un terme à la menace japonaise. Des discussions en ce sens avaient été entamées au printemps 1935 et Wang s’était enthousiasmé de l’avis positif émis par Hitler à ce sujet. L’attentat de novembre et la nouvelle crispation des relations sino-japonaises autour de la réforme monétaire et du mouvement autonomiste en Chine du Nord avaient toutefois douché ses espoirs. Si Wang se rend effectivement en Allemagne, il reçoit en chemin un télégramme de Jiang lui demandant de ne plus négocier avec Berlin. Cette décision, qui bride une nouvelle fois Wang, est semble-t-il liée à la mission secrète que Chen Lifu 陳立夫 (1900-2001) doit mener au même moment en URSS mais que Jiang annule finalement.

Wang décide de rentrer en Chine en juillet 1936, mais Chen Bijun lui demande de retarder son voyage, craignant qu’il ne s’implique dans les nouvelles négociations en cours avec le Japon. Prévenu le 12 décembre que Jiang vient d’être arrêté par Zhang Xueliang, Wang précipite son retour. L’Incident de Xi’an lui offre une opportunité inespérée. Le sort de Jiang semble alors d’autant plus compromis que beaucoup de dirigeants de Nankin sont favorables à l’envoi de l’armée contre les mutins, mettant ainsi en danger la vie du Généralissime. Soucieux d’apparaître comme un recours pour diriger le pays, Wang convoque les trois principaux ambassadeurs chinois en Europe, Guo Taiqi 郭泰祺 (1888-1952) à Londres, Gu Weijun 顧維鈞 (Wellington Koo, 1888-1985) à Paris et Cheng Tianfang 程天放 (1899-1967) à Berlin. Lors d’une réunion à Gênes du 19 au 22 décembre 1936, Wang peaufine avec eux une déclaration envoyée aux chancelleries occidentales. Les trois hommes obtiennent qu’il supprime les passages dénonçant toute alliance avec le PCC, afin de ne pas fermer la porte à un soutien de l’Union soviétique. Wang réfléchit, par ailleurs, à la manière d’obtenir le soutien des proches de Jiang dans le cas où celui-ci serait hors-jeu. Tous ces plans deviennent caducs après la libération de Jiang, le 25 décembre. Lorsque Wang arrive à Nankin le 17 janvier 1937, il est doublement marginalisé. D’une part, la politique qu’il a prônée ces cinq dernières années est abandonnée au profit d’un front uni contre le Japon. D’autre part, Jiang a définitivement pris le pas sur lui grâce à l’immense popularité acquise à l’issue de l’Incident de Xi’an. S’il récupère son siège de président du Comité politique central (zhongyang zhengzhi weiyuanhui 中央政治委員會), Wang ne retrouve pas les autres postes qu’il occupait avant son départ.

Après l’éclatement du conflit, il prononce, le 29 juillet 1937, un discours intitulé « un moment critique » (zuihou guantou 最後關頭) dans lequel il revient, pour la justifier, sur la politique de son gouvernement après l’invasion de la Mandchourie. Tout en appelant ses compatriotes à lutter jusqu’à la mort contre l’envahisseur, ce discours refuse d’éluder l’infériorité de la Chine par rapport au Japon. Dans une autre déclaration radiophonique, le 3 août, Wang explique que « tout le monde doit dire la vérité et prendre ses responsabilités » plutôt que de lancer des appels inconsidérés à la guerre. Il va jusqu’à qualifier de hanjian 漢奸 (traîtres aux Han) les dirigeants chinois prônant la rupture définitive des relations diplomatiques avec le Japon. Convaincu que la « guerre de résistance jusqu’au bout » (kangzhan daodi 抗戰到底) conduira la nation chinoise à la destruction, il tente de faire aboutir la médiation de l’ambassadeur Oskar Trautmann (1877-1950) à l’hiver 1937.

Bien qu’il ne participe pas au salon des tenants du « ton bas » qui se tient chez Zhou Fohai, Wang partage leur pessimisme. Mêlé d’anticommunisme, ce sentiment cimente les liens qui s’établissent entre Wang et un groupe chargé de répondre à la propagande du PCC, tout en produisant un discours n’écartant pas la possibilité d’un compromis avec le Japon. Cette organisation, qui se développe entre Chongqing et Hong Kong, et à laquelle participent notamment Tao Xisheng et Gao Zongwu, est chapeautée par Wang. Ce dernier trouve là un moyen de s’impliquer dans les affaires gouvernementales sur lesquelles il a de moins en moins prise. En effet, la réorganisation du parti-État nationaliste pour faire face à l’invasion japonaise formalise le statut de leader de Jiang Jieshi en institutionnalisant la centralisation des pouvoirs entre ses mains. Le poste de zongcai 總裁 (président) est créé pour lui, lors d’un Congrès extraordinaire du GMD début avril 1938. Wang obtient le titre honorifique de vice-zongcai (fuzongcai 副總裁), ainsi que la présidence du Conseil politique du peuple (guomin canzhenghui 國民參政會). Cette instance dans laquelle sont représentés les différents partis politiques du front uni n’est pas une assemblée législative mais seulement consultative.

Au milieu de l’année 1938, les discussions secrètes entre Gao Zongwu et le Japon se précisent. Face au refus de Jiang de les poursuivre, Wang s’impose comme une alternative possible. Ce n’est cependant qu’à la fin de l’automne, semble-t-il, que Wang commence à envisager de rompre avec Jiang. La situation sur le front conforte son pessimisme. Il s’inquiète en particulier des conséquences de la politique de la terre brûlée (jiaotu zhengce 焦土政策). Il écrit régulièrement à Jiang pour lui faire part de son mécontentement à ce sujet. Le 21 octobre 1938, alors que les troupes japonaises font leur entrée dans Canton, Wang déclare à l’Agence Reuters qu’il n’est pas opposé à un accord de paix pour autant que ses termes ne menacent pas l’existence de la Chine. Quelques jours plus tard, le projet de défection de Wang fait l’objet de négociations au Chongguangtang 重光堂 de Shanghai. Après de longs jours d’hésitation et une dernière tentative de convaincre Jiang de négocier la paix, Wang quitte Chongqing le 18 décembre.

Peu après son arrivée à Hanoï, après une escale infructueuse à Kunming pour tenter d’obtenir le soutien de Long Yun 龍雲 (1884-1962), Wang fait publier son « télégramme du 29 » décembre (yandian 豔電) adressé au Conseil suprême de défense du GMD. Exclu du parti qu’il avait contribué à fonder, incapable d’obtenir le soutien espéré de seigneurs de la guerre et trahi par le premier ministre Konoe Fumimaro qui ne mentionne pas le retrait des troupes japonaises dans son discours du 22 décembre 1938, Wang Jingwei tourne en rond dans sa résidence indochinoise et pense à reprendre le chemin de l’exil. Cette option est encouragée par Jiang Jieshi qui envoie des émissaires à Hanoï avec des papiers et de l’argent afin de faciliter le départ de Wang vers l’Europe. Une solution plus radicale est finalement adoptée. À 2 heures du matin, le 21 mars 1939, trois agents du Juntong pénètrent dans la villa où résident Wang et vingt-cinq autres personnes et tuent par erreur Zeng Zhongming. Profondément affecté par la mort de son fidèle secrétaire, Wang exprime sa rancœur à l’égard de Chongqing en publiant, le 28 mars, l’article « Ju yige li 舉一個例 » (Un exemple), qui vise à démontrer l’hypocrisie des dirigeants nationalistes en dévoilant les minutes confidentielles d’une réunion tenue en plein milieu de la médiation Trautmann. Cet article n’a toutefois pas l’effet escompté par Wang : loin de retourner la situation en sa faveur, il est dénoncé comme étant une violation du secret défense et constitue une nouvelle pièce à charge contre le « traître » qu’il est devenu.

Le 24 avril, Kagesa Sadaaki et Inukai Ken organisent l’exfiltration de Wang avec l’aide des autorités françaises. À bord du Hokkōmaru 北光丸, le petit groupe rejoint Shanghai via Taiwan le 7 mai. Durant la période qui sépare son installation à Shanghai de l’inauguration du gouvernement de Nankin, le 30 mars 1940, Wang se rend à deux reprises au Japon. Une première fois en mai puis en octobre 1939. Après la fondation de son gouvernement, en mars 1940, il y retourne pour des visites officielles en juin 1941, décembre 1942 et pour participer, en novembre 1943, à la Conférence de la grande Asie orientale (dai tōa kaigi 大東亜会議), aux côtés des autres alliés asiatiques du Japon. Avant comme après l’inauguration de son gouvernement, Wang multiplie les discours et les lettres ouvertes afin de justifier son choix de traiter avec le Japon et tenter, sans grand succès, de susciter des soutiens en Chine comme à l’étranger.

Les témoignages sur l’exercice du pouvoir par Wang Jingwei durant la guerre convergent sur plusieurs points que l’on retrouve dans le portrait que livre de lui le baron de Boisseson, chargé de négocier la rétrocessions des concessions française en 1943 : « Par son passé révolutionnaire, ses relations avec le Dr Sun Yat-sen dont il se considère comme le seul héritier politique et spirituel, il exerce un incontestable ascendant sur les Chinois qui l’entourent. Ayant la passion du pouvoir il se comporte en véritable dictateur dans la sphère de compétence qui lui est accordé par le Protecteur japonais. […] Très autoritaire, doué d’une intelligence, d’une mémoire et d’une force de travail paraît-il fort supérieure à celles de ses collaborateurs, il terrifie souvent ceux-ci pas ses colères et il entend faire prévaloir son action directe dans toutes les affaires de l’Etat. On m’a souvent dit, que lorsque un haut fonctionnaire devait lui faire un rapport il se bornait souvent à laisser le Président monologuer en vue d’éviter de présenter une opinion qui risquerait de ne pas être la sienne. Ses collaborateurs s’efforcent d’ailleurs de lui voiler, dans la mesure du possible, ce qui pourrait porter atteinte à son prestige et au sentiment de son indépendance de Chef d’Etat. […] Il y a lieu enfin de noter que M. Wang Ching Wei n’échappe pas aux influences de sa famille et de son clan ».

Ce prestige personnel, sans équivalent au sein de l’État d’occupation, fait de Wang le seul homme indispensable du régime. Il joue de cette position en menaçant à plusieurs reprises de démissionner. Devant ses proches, il évoque la possibilité de se suicider en cas d’échec du “Mouvement pour la paix”. La légende court même qu’il aurait ordonné à l’un de ses gardes du corps de l’abattre si le Japon l’obligeait à signer un traité déshonorant pour la Chine. Dans les faits, Wang se montre souvent conciliant avec sa tutelle japonaise, à tel point que Zhou Fohai l’exhorte à plusieurs reprises de ne pas se montrer trop poli lors de ses rencontres avec les autorités d’occupation. S’il ne fait pas de doute que Wang est un nationaliste sincère et désintéressé, il n’est en revanche pas certain qu’il n’ait pas quelque peu cédé à l’illusion d’avoir enfin obtenu son dû. Après une décennie à jouer les seconds rôles derrière Jiang Jieshi, Wang s’arroge (théoriquement) les quasi-pleins pouvoirs et se plaît à parader en uniforme militaire.

Outre les nombreux discours qu’il prononce en toute occasion, il se plie de bonne grâce aux obligations de sa charge en multipliant les banquets en compagnie de dignitaires étrangers. Son entourage cantonais, mené d’une main de fer par Chen Bijun, filtre une partie des informations qui remontent jusqu’à lui. Cet isolement s’aggrave avec la détérioration de son état de santé, fin 1943 ; lointaine séquelle de l’attentat de 1935, dont il a gardé une balle logée dans sa colonne vertébrale. Après une première opération en décembre, il est transféré à l’hôpital de l’Université impériale de Nagoya en mars 1944, où il s’éteint le 10 novembre à 16 heures 20. Wang est enterré sur le Mont d’Or Pourpre (zijinshan 紫金山) au nord-est de Nankin, entre le tombeau du fondateur de la dynastie Ming, Zhu Yuanzhang 朱元璋 (1328-1398), et le mausolée de son mentor, Sun Yat-sen ; une demeure provisoire puisque, suivant ses dernières volontés, Wang aurait dû, à terme, être inhumé au pied de la Montagne des Nuages blanc (baiyunshan 白雲山), près de Canton, aux côtés de ses anciens camarades morts pour la révolution anti-mandchoue. Au soir de ses funérailles, le 23 novembre 1944, Zhou Fohai note : « En ce qui concerne Monsieur Wang, bien que son cercueil ait été aujourd’hui refermé, on ne peut encore porter un jugement définitif sur ses mérites et ses torts ».

Comme toujours, le dernier mot revient aux vainqueurs. Les Nationalistes de Jiang Jieshi, tout d’abord, qui détruisent ledit cercueil à l’explosif puis réduisent sa dépouille mortelle en cendre dans un four crématoire. Les Communistes, ensuite, qui désignent Wang Jingwei pour la postérité comme le plus grand traître à la patrie de l’Histoire chinoise.

Sources : Boorman 1964 (BDRC) ; MRZ, vol. 7, p. 284-304 ; Wang Jingwei Irrevocable Trust ; Li Zhiyu 2014 ; Cai Dejin 1988 ; Bergère 1994, p. 165 et passim ; Maitron, p. 623 ; Yang Lihui 2005, p. 154-155 ; Roux 2016, p. 208, 614 ; So Wai-Chor 1991, 2002 ; Hsu Yu-ming 1999 ; Wakeman 2003, p. 182-186 ; Wang Ke-wen 2001 ; Huang Meizhen 1984a, p. 172-181 ; Martin 2014, p. 161 ; Hwang 1998, p. 56 ; Chen Choong-cho ; ADF 327, 77 ; AH 118-010100-0038-023 ; Hu Lancheng, p. 187 et passim ; ZR, p. 948, 953.

Pour citer cette biographie : David Serfass, "Wang Jingwei  汪精衛 (1883-1944)", Dictionnaire biographique de la Chine occupée, URL : https://bdoc.enpchina.eu/bios/wang-jingwei/, dernière mise à jour le 4 octobre 2023. 

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