[autres dates : 1868-1939]

Originaire de Tianjin, haut fonctionnaire dans le Hubei à la fin des Qing, Gao Lingwei devient l’un des dirigeants du Parti républicain (gonghedang 共和黨) en 1912. En mars 1913, il est chargé par le gouvernement de Pékin de réorganiser les banques provinciales puis de prendre la tête du fisc (caizhengsi 財政司) dans la province du Zhili. À partir de 1921, il occupe plusieurs postes ministériels dans le gouvernement de Pékin, servant même brièvement comme premier ministre par intérim (daili guowu zongli 代理國務總理) en 1923.

En 1926, Gao s’installe dans la concession japonaise de Tianjin et devient actif dans la promotion des relations sino-japonaises au sein de l’Association pour l’entente sino-japonaise (Zhong-Ri tongdaohui 中日同道會) contrôlée par la Garnison de Chine (Shina chūtongun 支那駐屯軍), stationnée à Tianjin depuis 1901. Après l’invasion de la Mandchourie fin 1931, Gao prend également part aux activités de l’Association d’étude sino-japonaise sur le bouddhisme ésotérique (Zhong-Ri mijiao yanjiuhui 中日密教研究會) fondée par le moine nationaliste Yoshii Hōjun 吉井芳純 (1896-1985). Duan Qirui 段祺瑞 (1865-1936) devient président de l’association, tandis que Gao et Wang Yitang se partagent la vice-présidence. Sous couvert de religion, cette organisation poursuit un but politique bien précis : étendre l’influence japonaise en Chine du Nord. À l’époque, Gao fréquente Zhang Yanqing 張燕卿 (1898-1951), fils du célèbre homme d’État Zhang Zhidong 張之洞 (1837-1909), qui est alors ministre des Affaires étrangères du Manzhouguo.

En 1932, dans le cadre de la politique nationale de révision des monographies provinciales, Gao est nommé directeur du Bureau des monographies (tongzhiguan 通志館) pour la province du Hebei. Il n’en continue pas moins de favoriser les intérêts japonais en formant, avec d’autres notables de la région des organisations telles que le Comité de secours à l’économie de Chine du Nord (jiuji huabei jingji weiyuanhui 救濟華北經濟委員會), lancé en septembre 1935, suivie le mois suivant de l’Association économique d’Asie de l’Est (dongya jingji xiehui 東亞經濟協會). Dans le même temps, Gao participe au Conseil des affaires politiques du Hebei-Chahar (Ji-Cha zhengwu weiyuanhui 冀察政務委員會) créé par le Gouvernement nationaliste en 1935 pour freiner le projet séparatiste de Doihara Kenji en Chine du Nord.

Principal collaborateur de Tianjin au début de la guerre, Gao préside le Comité de maintien de l’ordre de la ville (Tianjinshi zhi’an weichihui 天津市治安維持會), créé le 1er août 1937, avant de prendre la tête de la Fédération des comités locaux de maintien de l’ordre de Beiping et Tianjin (Ping-Jin difang zhi’an weichihui lianhehui 平津地方治安維持會聯合會) établie le 22 septembre. Nommé gouverneur du Hebei en octobre 1937, Gao siège dans les instances dirigeantes du Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府), après sa fondation le 14 décembre 1937. Il occupe également brièvement le poste de maire de Tianjin, entre le 15 décembre 1937 et le 5 janvier 1938, avant d’être remplacé par Pan Yugui. Les circonstances et la date de sa mort varient selon les sources. Comme beaucoup de collaborateurs de la première heure, il est victime d’un attentat en mai 1939, dont il décède à Pékin cette même année ou bien, plus vraisemblablement, en février 1943.

Sources : MRDC, p. 743 ; MRZ, vol. 12, p. 732-737 ; Zhang Daxiang 1982 ; Guo Guiru 2007, p. 145 ; Li 1975, p. 50 ; MZN, p. 1019, 1040.

Né dans l’île de Chongming au nord de Shanghai, Gao Guanwu reçoit une formation militaire à l’Académie de Baoding (Baoding lujun junguan xuexiao 保定陸軍軍官學校). Après avoir travaillé comme journaliste pour le Minquanbao 民權報, opposé à Yuan Shikai, il retourne à la carrière militaire à Canton. Vice-commandant du 10e corps de l’Armée nationale révolutionnaire (guomin geming jun 國民革命軍), il devient chef de la garnison de Xuzhou pendant l’Expédition du Nord, mais voit sa carrière bloquée en raison de sa proximité avec Hu Hanmin.

À la fondation du Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府) en mars 1938, il est nommé maire de Nankin et vice-ministre de la Pacification (suijingbu 綏靖部). Il tient également son influence du fait qu’il dirige la branche nankinoise de la Ligue bouddhiste sino-japonaise, créée en avril 1939. Après avoir manqué de se faire assassiner, il intègre le gouvernement de Wang Jingwei avec les autres dirigeants déjà en place à Nankin. Progressivement marginalisé, il joue les bouche-trous en passant d’un poste à l’autre au gré des mutations, à tel point qu’il se serait un jour demandé tout haut, lors d’un banquet trop arrosé, quel mal il avait bien pu faire à Wang Jingwei pour être dégradé à chaque mutation.

Le déclin de son influence traduit celui de la faction des anciens dirigeants du Gouvernement réformé, que le groupe de Wang Jingwei écarte progressivement des lieux de pouvoir, en leur laissant des titres ronflants. Gouverneur du Jiangsu de juin 1940 à décembre 1941, Gao se heurte à Li Shiqun lorsque celui-ci prend la tête du Comité de pacification rurale (qingxiang weiyuanhui 清鄉委員會) à Suzhou. Face à son refus de coopérer, Li utilise sa police secrète pour réunir des preuves contre Gao. Ce dernier doit finalement sa perte à l’un de ses subalternes, Cai Hongtian 蔡洪田 (1901- ?). Chef du bureau des Affaires civiles du gouvernement du Jiangsu, Cai tente d’extorquer de l’argent au magistrat du district de Jiangdu en menaçant de le faire remplacer, sans savoir que le petit fonctionnaire est lié par sa femme à Chen Bijun. Li Shiqun et Haruke Yoshitane utilisent l’affaire pour faire pression sur Gao qui accepte de céder sa place.

En décembre 1941, Li Shiqun succède à Gao, qui est nommé gouverneur de l’Anhui, où il dirige la Campagne de pacification rurale. En décembre 1943, il prend la tête du Jiangxi où Nankin ne contrôle que quelques districts. Après la dissolution du gouvernement, il prend la fuite et n’est jamais arrêté. Il serait mort au Shandong en 1957.

Sources : MRDC, p. 742 ; Brook 2005, p. 155-156 ; Matsutani 2013, p. 63 ; Wang Manyun 2010, p. 260 sq. ; He Guotao 1963, p. 33.

[zi Jizhi 績之]

Originaire de Songjiang (Jiangsu), Geng Jiagi suit à l’âge de sept ans son père lorsque celui-ci est envoyé en Belgique pour y représenter le gouvernement Qing. À son retour en Chine, il travaille d’abord au ministère des Affaires étrangères puis comme secrétaire francophone du gouvernement municipal de Shanghai. Il se rend ainsi indispensable dans les relations entre les autorités chinoises et françaises, ce qui lui permet de s’enrichir grâce au trafic d’opium qui transite par la concession.

Les circonstances de son ralliement au Mouvement pour la paix Wang Jingwei diffèrent selon les sources. À en croire son ami Joseph Shieh (Xue Gengxin 薛耕莘, 1904-2008), ancien chef de la police dans la concession française, « C.C. Keng » reçoit l’ordre de rester à Shanghai après le départ des Nationalistes. Le dernier maire de Shanghai, Yu Hongjun 俞鴻鈞 (1898-1960) lui confie une forte somme d’argent destinée à salarier le personnel de la mairie, afin d’éviter qu’il ne collabore avec l’occupant. L’argent vient cependant à manquer et les banques se retournent contre Geng. Celui-ci est finalement sauvé par son ancien supérieur, Wang Jingwei, qui éponge la dette et recrute, malgré lui, le pauvre Geng Jiaji, « profondément hostile » au camp pro-japonais.

Selon la version de Jin Xiongbai, Geng se réfugie à Hong Kong au début de la guerre, avant de retourner à Shanghai. Zhou Fohai cherche alors à le recruter afin de profiter de ses relations avec les Français, mais découvre que Geng a déjà été approché par son compatriote Sun Shilin 孫時霖 pour le compte de Li Shiqun. Bien que Jin Xiongbai soit parvenu à le faire participer au « groupe des dix » (la faction de Zhou), Geng ne réussit à s’imposer ni aux côtés de Zhou ni auprès de Li, en raison des jalousies que suscite sa carrière d’avant-guerre. Il occupe des postes obscurs tels que membre suppléant du Comité central de contrôle du GMD (guomindang zhongyang jiancha weiyuanhui 國民黨中央監察委員會) ou encore comme membre du Comité spécial des affaires étrangères du Comité politique central (zhongyang zhengzhi weiyuanhui waijiao zhuanmen weiyuanhui 中央政治委員會外交專門委員會).

Les réceptions qu’il organise dans sa villa de la concession française sont réputées pour leur munificence et pour la protection offerte par la police française. Au moment de la rétrocession, en juillet 1943, il est naturellement pressenti pour prendre la tête de ce qui est désormais la 8e zone de Shanghai. Les accusations de corruption à son encontre conduisent cependant le maire, Chen Gongbo, à cumuler le poste lui-même, tandis que Geng doit se contenter de la direction du bureau des Affaires générales. Fin 1943, Zhou Fohai l’associe à ses projets en lien avec Chongqing. Geng est chargé d’entrer en contact avec un résistant français se faisant passer pour un agent de Vichy.

Au cours de l’année 1943, cependant, il se compromet dans le trafic de riz organisé par Hou Dachun. L’affaire le rattrape, fin janvier 1944, lorsque la kenpeitai de Suzhou le convoque. Après avoir pris ses dispositions, il se tire une balle dans la tête au début du mois suivant. Jin Xiongbai affirme que Geng avait placé un pistolet dans chacune des pièces de sa villa afin de pouvoir se suicider plutôt que de se voir déshonoré par l’occupant. Comme le note le consul français, Geng choisit de donner un caractère politique à son acte en léguant l’arme du suicide à Wang Jingwei et en protestant de son innocence auprès de son supérieur direct, Chen Gongbo.

Sources : MRDC, p. 645 ; Zhou Jiazhen 2000, p. 204 ; WKS, p. 368-372 ; Shieh 1995, p. 163-164 ; Ji Xilin 1989 ; ADF 77.

Après des études de droit à l’Université impériale de Kyūshū 九州帝国大学, ce natif de Yueqing (Zhejiang) est engagé en mai 1931 comme journaliste par le journal officiel du GMD, le Zhongyang ribao 中央日報 (Central Daily News), tout en enseignant à l’École centrale d’études politiques (zhongyang zhengzhi xuexiao 中央政治學校), dans laquelle sont formés les cadres du régime nationaliste. Le rédacteur en chef du Zhongyang ribao, Li Shengwu, recommande les articles de Gao sur les relations sino-japonaises à Wang Jingwei. Propulsé vice-chef du service Asie au ministère des Affaires étrangères que dirige alors Wang, le jeune Gao joue un rôle important, à la fin de l’année 1934, dans les négociations avec Tokyo pour le rétablissement des échanges postaux entre la Chine et les territoires perdus de Mandchourie. En récompense, il est promu à l’âge de 29 ans au rang de chef du service Asie (yazhousi 亞洲司).

Cette position explique que ce soit à travers lui que passent les premiers canaux de négociation au début de la guerre. Il est ainsi amené à jouer un rôle capital dans la défection de Wang Jingwei. Dans les premières semaines de la guerre, Gao échange des courriers avec l’ambassadeur japonais Kawagoe Shigeru 川越茂 (1881-1969). Les diplomates de part et d’autre espèrent une désescalade du conflit. Début août 1937, Gao rencontre Funatsu Tatsuichirō et Hidaka Shinrokurō, envoyé par Kawagoe qui prend ombrage de l'”Opération Funatsu” organisée depuis Tokyo par Ishii Itarō et Ishiwara Kanji. Le 9 août, Kawagoe fait le déplacement à Shanghai pour s’entretenir avec Gao, mais le déclenchement de la Bataille de Shanghai, trois jours plus tard, met fin aux discussions. Elles reprennent le 30 octobre par l’intermédiaire de l’ambassadeur allemand Oskar P. Trautmann (1877-1950), cette fois au plus au niveau du gouvernement chinois.

Début 1938, Gao est posté à Hong Kong dans le cadre de l’Association de recherche en art et littérature (yiwen yanjiuhui 藝文研究會) créée par Zhou Fohai avec l’aide de Tao Xisheng. Cette structure autorisée par Jiang Jieshi mais chapeautée par Wang Jingwei est destinée à lutter contre la diffusion des idées communistes, mais aussi à façonner l’opinion publique chinoise de manière à ce qu’elle laisse au gouvernement le choix entre la résistance et les négociations de paix. Gao a pour mission de collecter des informations sur le Japon et de prendre contact avec des représentants du camp adverse. Ses rapports alimentent un « cercle de conseil » (canyishi 參議室) au service du Comité des Affaires militaires (junshi weiyuanhui 軍事委員會) présidé par Jiang Jieshi.

Dans un contexte qui voit se multiplier les tentatives japonaises d’approcher les dirigeants nationalistes dans l’espoir sinon d’aboutir à un armistice, du moins de diviser le camp de la résistance, Gao apparaît comme un interlocuteur de choix. En dépit de l’échec de la médiation Trautmann, confirmé par le discours du 16 janvier 1938 dans lequel le premier ministre Konoe Fumimaro annonce qu’il ne traitera plus avec le GMD, Gao maintient le contact avec les émissaires informels Matsumoto Shigeharu et Nishi Yoshiaki. Du 26 février au 10 mars 1938, son adjoint Dong Daoning 董道寧 (1902-c.1940) séjourne à Tokyo, où il s’entretient notamment avec Kagesa Sadaaki. Si Gao a bien dépêché Dong à Shanghai en janvier pour obtenir des précisions sur les exigences mouvantes du Japon dans le cadre de la médiation Trautmann, les sources varient quant à savoir s’il lui a demandé de poursuivre les discussions au Japon, comme l’affirment les historiens chinois et taïwanais. À en croire Matsumoto, Gao aurait été placé devant le fait accompli par Dong. Pourtant, dans le rapport qu’il envoie à Zhang Qun 張群 (1889-1990), avec une lettre que lui a confié Kagesa pour son ancien camarade, Dong affirme qu’il est parti « sur ordre du chef de service Gao Zongwu ». Il se peut, bien sûr, que Gao, mis devant le fait accompli, ait demandé à Dong de prétendre avoir agi sous ses ordres pour ne pas perdre la face. Mais, dans ce cas, pourquoi alors ne pas en avoir fait mention, après-guerre, lors de ses entretiens avec l’historien Gerald Bunker ? L’une des conditions transmises à Dong pour que des négociations soient possibles concerne la démission préalable de Jiang Jieshi. À son retour en Chine, Dong fait son rapport à Gao qui le transmet à Zhou Fohai, Wang Jingwei et Jiang Jieshi.

À la suite de ce premier contact, Gao Zongwu se rend, à son tour, à Tokyo entre le 23 juin et le 9 juillet 1938, à la demande de Zhou Fohai. Il rencontre notamment le prince Konoe, ainsi que ses ministres des Affaires étrangères (Ugaki Kazushige) et de l’Armée (Itagaki Seishirō). Il prend soin de préciser d’emblée qu’il a démissionné de son poste au ministère des Affaires étrangères et qu’il ne représente donc pas officiellement le gouvernement chinois. Les termes d’un éventuel accord de paix lui sont transmis, parmi lesquels la démission des principaux dirigeants chinois ou encore la reconnaissance du Manzhouguo. De retour en Chine, Gao transmet les conditions japonaises à Zhou Longxiang pour qu’il les rapporte à Hankou. Après avoir pris connaissance du rapport, Jiang Jieshi, furieux, ordonne à son secrétaire Chen Bulei 陳布雷 (1890-1948) de couper tout contact avec Gao et de mettre fin à son traitement. Dès lors, le bureau de la propagande dirigé par Zhou Fohai verse 3000 yuans par mois à Gao pour qu’il continue à travailler à Hong Kong. Mais contraint de se reposer en raison d’une maladie respiratoire chronique, Gao se fait remplacer dans les négociations par Mei Siping.

Gao se rétablit à temps pour participer aux discussions secrètes qui prennent place du 12 au 20 novembre 1938 au Chongguangtang 重光堂, un bâtiment du quartier japonais de Shanghai, afin de mettre par écrit les tractations des mois précédents. Dans les entretiens qu’il accorde à Gerald Bunker à la fin des années 1960, Gao affirme que Wang Jingwei n’était pas au courant de cette rencontre. Si on ne voit pas très bien quel intérêt il aurait de mentir, sinon pour ne pas passer pour un agent de Wang, est-il plausible qu’il ait préparé la défection de ce dernier sans le mettre au courant ? Certes, Wang ne sait sans doute que ce que Zhou Fohai veut bien lui dire des activités de Gao. Au cours de son procès d’après-guerre, Zhou lui-même déclare qu’il s’agit d’une initiative de Gao, dont Wang n’a pas eu connaissance avant que la rencontre n’ait lieu. Durant les discussions du Chongguangtang, Gao représente la partie chinoise au côté de Mei Siping, tandis que la partie japonaise est représentée par Imai Takeo assisté d’Itō Yoshio 伊藤芳男 (1906-1950), qui sont rejoints par Kagesa Sadaaki le 15 novembre. Un accord en trois parties esquissant un éventuel accord de paix est signé le 20 novembre. Plus concrètement, les participants se mettent d’accord sur le déroulement de la défection de Wang Jingwei, alors prévue pour le 5 décembre au plus tard, qui doit être suivie d’une déclaration du premier ministre Konoe.

Durant les quatre et quelque mois qui séparent l’installation de Wang Jingwei à Hanoï en décembre 1938 de son arrivée à Shanghai en mai 1939, Gao Zongwu continue d’être le principal intermédiaire entre le groupe de Wang et le gouvernement japonais. Afin de faciliter les négociations, Gao demande que son vieil ami Tajiri Akiyoshi soit nommé consul à Hong Kong, ce qui est fait le 2 décembre 1938. À la mi-janvier 1939, Gao Zongwu écrit à Tajiri pour lui demander que l’effort militaire japonais s’intensifie, afin d’accélérer la défection des généraux chinois du Sud-Ouest. Le 1er février, Gao arrive à Hanoï où, jusqu’au 5 février, il rédige avec Wang Jingwei des propositions visant à obliger le gouvernement japonais à préciser sa position vis-à-vis de Wang. Ce texte est connu sous le nom de « moyens concrets pour mettre en ordre la situation actuelle » (shoushi shiju juti de banfa 收拾時局具體的辦法).

Pour la première fois, l’idée de refonder un Gouvernement nationaliste en zone occupée le jour de la fête nationale (10 octobre 1939) fait son apparition. Elle contredit l’accord du Chongguangtang qui prévoyait de développer le Mouvement pour la paix en « zone neutre » (chūritsu chitai 中立地帯), à une époque où les Japonais conçoivent encore le futur gouvernement central chinois comme une confédération dans laquelle le groupe de Wang Jingwei ne serait qu’un acteur parmi d’autres. Le fait que Gao ait directement participé à la rédaction de ce plan et qu’il ait été chargé de le défendre au Japon dans les semaines suivantes, conduit à questionner la thèse (avancée par Nishi dans ses mémoires et reprise par Bunker) d’une lutte au sein du groupe de Wang entre deux lignes : celle modérée de Gao préconisant de ne pas s’engager trop avant dans la collaboration, en se contentant de défendre la cause de la paix, contre la ligne volontariste de Zhou Fohai, favorable à la fondation d’un régime collaborateur en zone occupée.

On peut certes penser que Gao n’est alors que le porte-parole du groupe de Wang, dont Zhou est déjà une personnalité influente. À moins que l’année 1939 du journal de Zhou ne soit un jour retrouvée, il est difficile en effet de déterminer le rôle précis que joue ce dernier, à ce stade, dans l’élaboration du futur gouvernement de Nankin. Toutefois, il apparaît clairement que Gao a cherché à dissimuler son implication dans ce plan, preuve peut-être qu’il ne lui était pas si étranger. Ainsi, Bunker, dont Gao est l’une des principales sources, affirme qu’après l’attaque du 21 mars 1939 le visant et dans laquelle Zeng Zhongming laisse sa vie, Wang aurait envoyé un télégramme à Gao lui annonçant qu’il désirait rallier son “vieil ami” Wang Kemin à Pékin pour l’assister. À en croire Bunker, Gao serait parvenu à convaincre Wang de renoncer à ce projet. C’est alors seulement qu’aurait émergé le projet alternatif de refonder le Gouvernement nationaliste. Cette version est infirmée par l’existence du plan de février 1939 que Gao rédige avec Wang avant de le transmettre à la partie japonaise.   

Gao rencontre Imai et Kagesa à Hakone à partir du 26 février 1939. Son insistance pour qu’un nouveau gouvernement soit fondé rapidement à Nankin est accueillie avec d’autant moins d’enthousiasme que les négociateurs japonais se méfient de Gao. Son attitude flagorneuse le dessert et renforce les doutes d’Imai et Kagesa sur sa sincérité. Ils craignent notamment que les propos de Gao ne reflètent pas exactement la volonté de Wang Jingwei. Plus qu’une opposition de « lignes », cet aspect explique peut-être, en partie, la marginalisation de Gao en faveur de Zhou Fohai, à partir du printemps 1939. Alors que Gao Zongwu était la pièce-maîtresse de l’« Opération Watanabe » (Watanabe kōsaku 渡辺工作), nommée en référence au pseudonyme que lui donnent les Japonais en 1938, il joue un rôle de plus en plus secondaire au sein de l’« Opération Takeuchi » (Takeuchi kōsaku 竹内工作), nom de code pour Wang Jingwei. Cette marginalisation devient flagrante lors du séjour du groupe de Wang au Japon, du 31 mai au 18 juin 1939. Gao est logé seul, à plusieurs kilomètres du reste de la délégation chinoise. Si ce traitement spécial peut s’expliquer par sa condition de tuberculeux, elle est perçue par l’intéressé comme le signe qu’il a perdu la confiance des Japonais.

Les soupçons à l’endroit de Gao ne sont pas infondés. À son retour du Japon en février 1939, Gao confie ses sentiments à son compatriote du Zhejiang et mentor Huang Suchu 黃溯初 (1883-1945). Ce dernier fait passer l’information au chef de la pègre Du Yuesheng 杜月笙 (1888-1951) qui, mesurant son importance, prévient Jiang Jieshi lors de son arrivée à Chongqing en novembre. Jiang rédige immédiatement une lettre manuscrite très amicale à l’attention de Gao, tandis que Song Meiling 宋美齡 (1898-2003) dépêche quelqu’un pour faire pression sur son épouse. Gao décide alors de trahir le Mouvement pour la paix aux côtés de Tao Xisheng. Les raisons de ce choix aux conséquences dévastatrices pour la crédibilité du projet politique de Wang Jingwei sont sans doute multiples, entre désillusion face aux termes de la collaboration et difficulté à s’imposer dans les luttes de faction pour la répartition des postes. En gage de loyauté envers le camp de la résistance, Gao photographie en cachette un brouillon de l’accord en cours de négociation, sur la base duquel doit s’organiser le futur gouvernement. Wang Jingwei et Zhou Fohai commencent à nourrir des soupçons à l’égard de Gao et Tao.

Le 1er janvier 1940, ces derniers apprennent que la police secrète du n°76 est sur l’affaire. Aidés par les hommes de Du Yuesheng, ils quittent Shanghai le 3 janvier et arrivent deux jours plus tard à Hong Kong. Le 21 janvier, le projet de traité entre le futur gouvernement de collaboration et Tokyo est publié en Une du Dagongbao 大公報 (L’Impartial) de Hong Kong sous le titre « L’accord secret de Wang Jingwei pour vendre son pays ». Il est accompagné d’une lettre ouverte de Gao et Tao exhortant Wang de « retenir son cheval par la bride devant le précipice ».

Ne bénéficiant pas des relations de Tao Xisheng dans l’entourage de Jiang Jieshi, Gao préfère s’exiler aux États-Unis en mars 1940, avec l’aide de Hu Shi. Il change alors son nom en Gao Qichang 高其昌. Après la guerre, il recroise des acteurs de la collaboration tels Inukai Ken, dont les Mémoires débutent sur sa rencontre fortuite en 1950 à New York avec Gao, qu’il nomme Kang Shaowu 康紹武. Il a lui-même laissé, dans les années 1940, un témoignage en anglais sur son rôle dans le Mouvement pour la paix intitulé Into the Tiger’s Den et, à la fin des années 1960, lors d’entretiens avec les premiers historiens de la collaboration sino-japonaise, J.H. Boyle et G.E. Bunker.

Sources : Xu Youchun 2007, p. 1294 ; Boyle 1972, p. 170, 249, 381 ; Wang Ke-wen 2001, p. 263-303 ; ZR, p. 33 ; WZQS, p. 392-401 ; Shao Minghuang 1993, 1999 ; Matsumoto 1975, vol. 3, p. 269 ; Yang Kuisong 2000, p. 68 ; Bunker 1972, p. 97, 101, 132 ; SWHB, p. 117 ; Tobe 2005 ; Liu Jie 1995, p. 354 ; Nishi 1992, p. 146 sqq.

Originaire de Nantong (Jiangsu), Gu Baoheng étudie à l’Université Keiō (Keiō Gijuku daigaku 慶應義塾大学) de Tokyo. À son retour en Chine, il enseigne à l’École centrale d’études politiques (zhongyang zhengzhi xuexiao 中央政治學校) et travaille dans l’administration nationaliste au ministère de l’Industrie et du commerce et au Yuan d’examen.

Au moment de la formation du gouvernement de Wang Jingwei en 1940, Gu est nommé au Comité préparatoire de la Banque centrale de réserve (zhongyang chubei yinhang 中央儲備銀行) et secrétaire général du Comité de gestion des vivres (liangshi guanli weiyuanhui 糧食管理委員會), dont il prend la direction en 1942. Proche à l’origine de Mei Siping et de la clique CC de Nankin, il gagne les faveurs de l’entourage de Wang Jingwei, notamment de Chen Chunpu. Lorsque le comité est promu au rang de ministère des Vivres (liangshibu 糧食部), il en garde la tête malgré sa mise en cause par Tao Xisan et Lü Yifeng en décembre 1942. Il réchappe de cette première affaire grâce à Wang Jingwei qui déclare, lors d’une session du Comité politique central, le 17 décembre 1942, que Gu ne doit pas être puni.

Début 1944, il est rattrapé par le scandale de spéculation sur le riz impliquant Hou Dachun et Hu Zheng. Privé de la protection de Wang qui se meurt à Nagoya, Gu Baoheng est arrêté et condamné à mort. Selon Jiang Nanchun 江楠春 – un proche collaborateur qui lui rend visite en prison, Gu semble “souffrir le martyr d’être victime d’une injustice.” Grâce à Chen Bijun, il voit finalement sa condamnation commuée en une peine de dix ans de prison pour « services rendus à la cause de la paix ». Ses subalternes impliqués dans l’affaire n’ont pas cette chance et sont rapidement exécutés pour l’exemple.

Au moment de la reddition japonaise, son camarade de Keiō, Yuan Yuquan, plaide en sa faveur auprès de Chen Gongbo qui accepte de le libérer, mais s’enfuit au Japon avant que la procédure ne soit achevée. Arrêté par les Nationalistes, Gu est à nouveau condamné, cette fois pour haute trahison, à la prison à vie. En 1949, les Communistes le transfèrent de la prison de Nankin à celle de Shanghai. Libéré en 1976, il meurt vingt ans plus tard à Chengdu.

Sources : ZMSD, p. 1478 ; Yuan Yuquan 2010, p. 152-153 ; Jiang Nanchun 1981, p. 112 ; ZG, n°435, p. 3 ; ADF 327.

Né à Wuxi (Jiangsu), Gu Zhongchen est directeur de l’Académie militaire de l’Anhui (Anhui wubei xuetang 安慶武備學堂) lorsqu’il se trouve impliqué, un peu malgré lui, dans le mouvement nationaliste anti-mandchou. Plusieurs cadets de son académie, tels que Bai Wenwei 柏文蔚 (1876-1947) et Leng Yuqiu 冷禦秋 (1882-1959), ayant adhéré à la Ligue Jurée (tongmenghui 同盟會), Gu est soupçonné d’accointances révolutionnaires par les autorités Qing, qui le mutent à Nankin.

Gu prend part à la Révolution de 1911 aux côtés des insurgés, comme chef d’état-major de l’Armée unie du Jiangsu-Zhejiang (Jiang-Zhe lianjun 江浙聯軍). En juin 1921, il devient conseiller de Sun Yat-sen et siège, à partir de 1923, dans le Comité des affaires militaires du GMD. Apprécié de Sun, il prend, l’année suivante, le commandement du IVe corps de l’Armée de l’Expédition du Nord (beifa taozeijun disijun 北伐討賊軍第四軍). En 1931, il devient conseiller au Secrétariat général (wenguanchu 文官處) dans le Gouvernement nationaliste.

On perd ensuite sa trace jusqu’en 1940, lorsqu’il est nommé vice-président du Yuan de contrôle (jianchayuan 監察院) dans le gouvernement de Wang Jingwei, avant de succéder à Liang Hongzhi comme président en novembre 1944. Il décède en juillet 1945. Les sources à son sujet sont contradictoires, certaines le faisant naître en 1880.

Sources : Xu Youchun 2007, p. 2841 ; ZGBR, p. 1925 ; ZMSD, p. 1478.

Biographical Dictionary of Occupied China

A database from ENPChina Project