Judas du “Mouvement pour la paix” de Wang Jingwei aux côtés de Gao Zongwu, Tao Xisheng joue un rôle crucial dans la genèse du gouvernement collaborateur de Nankin. Né à Wuhan, il est le fils d’un magistrat de district sans poste. Doué pour les études, il suit des cours d’anglais à l’École spéciale des langues étrangères de Wuchang (Wuchang waiguoyu zhuanmen xuexiao 武昌外國語專門學校), avant d’intégrer la faculté de droit de l’Université de Pékin (Beijing daxue 北京大學) en 1918. Son diplôme en poche, il enseigne d’abord dans l’Anhui, puis travaille pour les Presses commerciales de Shanghai (shangwu yinshuguan 商務印書館), tout en donnant des cours de sciences politiques dans plusieurs universités de la région.
À l’automne 1924, Tao adhère au Parti communiste chinois (PCC). Au moment du Mouvement du 30 mai 1925, il devient conseiller juridique de l’Association des étudiants de Shanghai (Shanghai xuesheng lianhehui 上海學生聯合會). En janvier 1927, il est engagé comme instructeur politique par la branche wuhanaise de l’Académie militaire centrale (zhongyang junshi zhengzhi xuexiao Wuhan fenxiao 中央軍事政治學校武漢分校). Il forge son anticommunisme dans le conflit qui l’oppose à des cadres du PCC dans le district du Hubei où il est nommé en mai 1927 pour y organiser un gouvernement local. Dans un contexte de tensions croissantes au sein du front uni à la suite du massacre de Shanghai en avril, Tao quitte le PCC.
En août, il rejoint Chen Gongbo et Gu Mengyu 顧孟餘 (1888-1972) au département de la propagande du GMD. En février 1928, il retrouve un poste dans les instances centrales du parti grâce à son ami Zhou Fohai, mais doit quitter ses fonctions à la fin de l’année en raison de ses liens avec la faction réorganisationniste (gaizupai 改組派) associée à Wang Jingwei. Les deux années suivantes, Tao enseigne l’histoire dans plusieurs établissements et rédige l’essentiel de ses travaux sur l’histoire sociale de la Chine. Il contribue notamment à la revue Xin shengming 新生命 (La Nouvelle vie) éditée par Zhou Fohai. Prenant la défense de l’aile gauche du GMD, il développe une théorie de la Révolution critiquant à la fois la lutte des classes communiste et la pente réactionnaire de l’aile droite du GMD. À partir d’une analyse imprégnée de matérialisme historique, il réfute la nécessité d’une révolution sociale en Chine, à laquelle il oppose les Trois Principes du peuple (sanmin zhuyi 三民主義). À ses yeux, la Révolution chinoise doit viser à éliminer les militaristes et les bureaucrates, assurer l’indépendance économique du pays et unifier la Chine sous un parti représentant l’ensemble du peuple.
En 1931, Tao quitte Shanghai pour enseigner à l’Université de Pékin. Il participe à un « corps spécial » créé par la clique CC pour surveiller l’orientation politique des universitaires pékinois. En décembre 1934, il lance la revue bimensuelle Shihuo 食貨 qui tire son nom de la rubrique des classiques historiques consacrée aux « biens économiques », en référence à l’approche matérialiste défendue par Tao. Ce journal devient l’organe d’un groupe d’intellectuels impliqués dans le débat sur l’histoire sociale, tels que He Ziquan 何兹全 (1911-2011) ou encore Lian Shisheng 連士升 (1907-1973).
Fin juillet 1937, Tao participe avec une centaine d’intellectuels à la conférence de Lushan convoquée par Jiang Jieshi pour définir la position de la Chine dans la guerre et mettre en scène l’union sacrée derrière sa personne. Entre les réunions, il s’entretient avec Zhou Fohai, Wang Jingwei, Chen Gongbo et Mei Siping. Le 22 juillet, Tao remet à Chen Bulei 陳布雷 (1890-1948) une lettre à l’attention de Jiang co-écrite avec Hu Shi. Il connaît bien ce dernier pour avoir travaillé à la revue Duli pinglun 獨立評論 (La critique indépendante). Comme d’autres intellectuels pékinois, directement concernés par la menace japonaise tout au long des années 1930, les deux hommes cherchent à laisser ouverte la voie diplomatique. En août, Tao s’installe chez son ami Zhou Fohai à Nankin et participe à ce que les historiens chinois nomment, à la suite de Hu Shi, le « club du ton bas » (didiao julebu 低調俱樂部), salon informel qui réunit chez Zhou les tenants d’une ligne réaliste face au Japon.
C’est par l’intermédiaire de Tao que s’effectue le rapprochement entre Zhou et Wang Jingwei. Tout au long de l’été 1937, Tao continue à rédiger des notes pour Jiang, sans parvenir à le convaincre de se montrer plus conciliant avec le Japon. L’activisme de Tao en faveur des négociations se structure dans le cadre de l’Association de recherche en art et littérature (yiwen yanjiuhui 藝文研究會) qu’il dirige à Wuhan avec Zhou Fohai et dont Gao Zongwu est le représentant à Hong Kong. Financée par Jiang Jieshi à hauteur de 40 000 yuans par mois, cette organisation est supervisée par Wang Jingwei. Tao s’installe à Chongqing en octobre 1938, alors que les discussions secrètes entre les conjurés du futur Mouvement pour la paix et les émissaires japonais sont déjà bien entamées. À l’en croire, Zhou Fohai, Mei Siping et Chen Bijun déconseillent à Wang de mettre Tao au courant. Wang décide finalement de tout révéler à Tao qui accepte de le suivre en décembre.
Après le départ pour Hanoï de Wang, Tao fait partie du noyau dur du Mouvement pour la paix. Révolté par l’intransigeance des Japonais, déçu par la faiblesse de Wang et marginalisé par les luttes de factions qui s’exacerbent à mesure qu’approche la formation du nouveau gouvernement, Tao s’entend avec Gao Zongwu pour tourner casaque en faveur de Chongqing le 3 janvier 1940. Afin de ne pas renforcer les soupçons qui pèsent déjà sur lui, Tao laisse sa femme et ses cinq enfants à Shanghai. Dès que la nouvelle de son départ est confirmée, sa maison est placée sous surveillance par la police secrète du n°76 Jessfield Road dirigée par Ding Mocun et Li Shiqun. Tao écrit à Wang pour lui demander de ne pas s’en prendre à sa famille. Finalement, sa femme et deux enfants sont autorisés à se rendre à Hong Kong pour convaincre Tao de rentrer à Shanghai, tandis que trois enfants restent en otages. Dès son arrivée, l’épouse de Tao envoie un télégramme à Chen Bijun prétendant que les deux transfuges sont revenus sur leur décision. Le groupe de Wang Jingwei est alors occupé par la Conférence de Qingdao. Profitant d’un relâchement de la surveillance, les hommes de Du Yuesheng 杜月笙 (1888-1951) exfiltrent les trois enfants de Tao, qui arrivent le 20 janvier dans la colonie britannique.
Le lendemain, le projet de traité entre Nankin et Tokyo, subtilisé par Gao, est publié dans la presse de Hong Kong, portant à la légitimité du Mouvement pour la paix un coup dont il ne se remettra jamais. Profondément affecté par cette trahison, Wang Jingwei écrit à Chen Bijun, le 2 février, que la famille de Tao n’est qu’un ramassis de voleurs et de prostituées. Zhou Fohai quant à lui, traite Gao et Tao d’ « animaux » dans son journal personnel, et jure de les tuer. Si le départ de Gao ne surprend guère Kagesa Sadaaki, ce dernier est en revanche choqué par celui de Tao, quand bien même les deux hommes s’étaient affrontés violemment, en novembre 1939, durant les négociations entre l’Agence de la prune (ume kikan 梅機関) et le groupe de Wang.
Contrairement à Tao, plusieurs de ses disciples du groupe Shihuo, qui l’avaient suivi dans la collaboration, participent au nouveau gouvernement. C’est notamment le cas de Tao Qingyuan 鞠清遠, Shen Juchen 沈巨塵 et Wu Xianqing 武仙卿. Après le déclenchement de la Guerre du Pacifique, en décembre 1941, Tao s’installe à Chongqing où, avec l’appui de Chen Bulei, il devient l’un des secrétaires privés de Jiang Jieshi. C’est lui qui rédige l’ouvrage majeur de ce dernier Zhongguo zhi mingyun 中國之命運 (1943, China’s Destiny, 1947), tout en travaillant comme rédacteur en chef du principal quotidien du GMD, le Zhongyang ribao 中央日報 (Central Daily News). Tao siège à l’Assemblée nationale constituante (zhixian guomin dahui 制憲國民大會) en novembre 1946, puis au Yuan législatif (lifayuan 立法院), tout en assurant, à partir de juillet 1947, la vice-direction du département de la Propagande du bureau central du GMD.
Après son installation à Taipei en octobre 1949, Tao continue à conseiller Jiang Jieshi et à occuper des fonctions dans l’appareil central du GMD. En octobre 1952, il intègre le Bureau permanent du Comité central du GMD (guomindang zhongyang changwu weiyuanhui 國民黨中央常務委員會), dans lequel il siège jusqu’en 1968. Tao publie ses Mémoires en 1964 sous le titre Chaoliu yu diandi 潮流與點滴 (La Marée et les gouttes). Il est également l’auteur d’un journal personnel, dont les carnets antérieurs à 1947 ont disparu pendant la guerre. Seule la période 1947-1956 a été publiée par son fils en 2014.
Sources : MRDC, p. 1081 ; Roux 2016, p. 354 ; Dirlik 1976 ; Chen Yuanyuan 2011 ; He Yuan 2014 ; SWHB, p. 117 ; Wakeman 2003, p. 108 ; AH 118-010100-0008-066 ; ZR, p. 235 ; Kagesa 1966, p. 379.