[parfois transcrit Tajiri Aigi]
Diplômé en 1920 de l’École supérieure de commerce de Tokyo (Tōkyō kōtō shōgyō gakkō 東京高等商業学校), Tajiri Akiyoshi est engagé cette même année comme enseignant par l’École de commerce n°1 de Kyoto (Kyōto shiritsu daiichi shōgyō gakkō 京都市立第一商業学校). L’année suivante, il réussit le “grand concours” (gaikōkan oyobi ryōjikan shiken 外交官及領事官試験) du ministère des Affaires étrangères (gaimushō 外務省), sans être passé par la voie royale de la faculté de droit de l’Université impériale de Tokyo, contrairement à la grande majorité de sa promotion. Il part ensuite parfaire sa formation dans quatre universités britanniques entre 1922 et 1924. En dépit de ce séjour en Europe qui le destine à représenter son pays dans le monde anglophone – carrière jugée la plus prestigieuse, il décide de se spécialiser dans les affaires chinoises, convaincu que les relations avec la Chine seront déterminantes dans les années à venir. À l’issue de sa formation, Tajiri est nommé en septembre 1925 vice-consul (ryōjikanho 領事館補) de Hankou 漢口. De retour à Tokyo en mai 1928, il travaille au sein de la 2e section du Bureau Asie (Ajiakyoku dai ni ka 亜細亜局第二課) du ministère des Affaires étrangères, avant de repartir en Chine en mars 1930 comme consul de Tianjin. C’est à ce poste qu’il traverse la période mouvementée de l’invasion japonaise en Mandchourie à la fin de l’année 1931. Choisi par l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍) pour prendre la tête du futur État mandchou, le dernier empereur Puyi 溥儀 (1906-1967) est exfiltré le 8 novembre 1931 de Tianjin par Doihara Kenji, qui organise et réprime des manifestations chinoises contre la concession japonaise afin de faire diversion. Tajiri se plaint pour la forme auprès de Doihara, mais suit la ligne du Gaimushō qui ne s’oppose pas à l’Armée de terre, espérant encore tirer profit de la situation. Lorsqu’il est interrogé par la commission Lytton, chargée par la Société des Nations d’enquêter sur la situation en Mandchourie, Tajiri rejette la faute de cet épisode sur la partie chinoise.
En mai 1933, il est rappelé à Tokyo pour diriger la 2e section du Bureau Asie, puis, un an plus tard, la 2e section du Bureau Asie de l’Est (Tōakyoku dai ni ka 亜細亜局第二課). En juillet 1935, il devient consul de Qingdao, avant de retrouver, en mai 1936, son poste de consul à Tianjin. Nommé parallèlement Premier secrétaire d’ambassade (taishikan ittō shokikan 大使館一等書記官), il est à Shanghai lorsqu’éclate l’Incident du pont Marco-Polo, le 7 juillet 1937. Comme beaucoup de diplomates spécialistes de la Chine, il est dépité par la déclaration du 16 janvier 1938, par laquelle le premier ministre Konoe Fumimaro annonce rompre toute discussion avec le Gouvernement national chinois. En juillet, il revient au Japon pour prendre la direction de la 5e section de la Division recherche (chōsabu 調査部) du ministère des Affaires étrangères, créée en 1933 afin de doter la diplomatie japonaise d’une politique continentale à long terme, devant lui permettre de rattraper son retard sur l’Armée de terre en la matière. Il prend alors connaissance des tractations en cours, menée par Gao Zongwu, qui aboutissent à la défection de Wang Jingwei, le 18 décembre 1938. Le ministre des Affaires étrangères Arita Hachirō 有田八郎 (1884-1965) l’envoie auprès de Kagesa Sadaaki pour apprendre le détail de l’opération. Dans ses mémoires Tajiri écrit lui avoir demandé si “des négociations de paix sont envisagées avec Chongqing” ou bien s’il s’agissait “d’un stratagème destiné à gagner la guerre ?“. Ce à quoi, Kagesa aurait répondu qu’il s’agissait bien d’un “stratagème [bōryaku 謀略]”. À la demande de Gao, qui a noué un lien de confiance avec Tajiri depuis 1936, ce dernier est nommé consul-général (sōryōji 総領事) à Hong Kong le 2 décembre 1938, en vue des négociations qui doivent suivre la défection du numéro deux chinois. La voie terrestre depuis Canton, où fait escale Tajiri, étant coupée, le nouveau consul est contraint d’emprunter une canonnière pour atteindre la colonie britannique, à la grande satisfaction de la Marine japonaise qui n’a plus mouillé dans le “port parfumé” depuis le début de la guerre sino-japonaise. Outre qu’il apprécie peu d’être redevable à l’armée, Tajiri sait que cette entrée remarquée fait mauvaise impression chez ses interlocuteurs britanniques et chinois.
Arrivé le 10 décembre à Hong Kong, Tajiri se montre d’emblée pessimiste quant aux chances de succès de l’ « Opération Wang Jingwei ». Après la publication du yandian 艷電 – le télégramme dans lequel Wang Jingwei justifie son choix de quitter Chongqing, Tajiri rédige un rapport qui préconise que le Japon cherche à instiller le doute sur l’implication de Jiang Jieshi aux côtés de Wang, dans le but de fragiliser le Front uni et de diviser le GMD. La rumeur d’une entente secrète entre Jiang et Wang, explique-t-il, amènera les Communistes à redouter une répétition de la purge sanglante de 1927. Malgré son peu d’enthousiasme pour l’« Opération Wang Jingwei », Tajiri défend son maintien face à ceux qui demandent déjà qu’elle soit abandonnée au profit d’un canal plus prometteur, comme celui établi avec l’entourage de Kong Xiangxi. Il défend également une plus grande participation du Gaimushō dans l’opération, dominée par l’Armée de terre. Dans ses mémoires, Tajiri affirme qu’il souhaite, de cette manière, détourner le stratagème des militaires de sa « voie diabolique [jadō 邪道] » pour la réorienter vers la réalisation d’une paix véritable ; une justification donnée a posteriori qui est contredite par les nombreux rapports envoyés durant cette période par le diplomate, dans lesquels il insiste, au contraire, pour exploiter au mieux ce stratagème aux dépens de Chongqing. Tajiri rentre en catastrophe au Japon le 3 février 1939 pour se rendre au chevet de son épouse mourante, avant de repartir pour Hong Kong.
En septembre 1939, Tajiri est posté comme Premier secrétaire d’ambassade à Shanghai, où le groupe de Wang Jingwei négocie les termes de sa collaboration. S’il est le seul diplomate à s’être directement impliqué dans la phase initiale de l'”Opération Wang Jingwei“, il n’a cessé de mettre en garde son ministre Arita contre ce plan et a prévenu Kagesa qu’il ne voulait plus prendre part aux préparatifs du nouveau gouvernement central chinois. En raison de sa proximité avec Kagesa, ses supérieurs espèrent toutefois que Tajiri pourra surveiller les militaires pour le Gaimushō dans les discussions avec le groupe de Wang. Dès son arrivée en octobre, Tajiri comprend vite qu’il n’a aucune prise sur les activités de l’Agence de la prune (ume kikan 梅機関) établie par Kagesa à Shanghai fin août 1939 pour piloter la mise en place du nouveau régime. Si elle comprend quelques diplomates capables – Yano Seiki 矢野征記 (1900-1975) et Shimizu Tōzō, ces derniers ne lui sont d’aucune aide tant ils semblent faire passer les vues de l’armée avant celles de leur corps d’origine. Il parvient néanmoins à suivre les tractations en cours grâce à Inukai Ken, qui partage sa vision des relations sino-japonaise mais pèse lui-même peu dans l’agence de Kagesa. En janvier 1940, Tajiri est rappelé à Tokyo pour prendre la direction de la 1ère section du Bureau Asie de l’Est. Il y contribue notamment à mettre en forme le texte négocié à Shanghai à l’hiver 1939-1940, qui aboutit au “Traité sur les relations fondamentales sino-japonaises” (Zhong-Ri jiben guanxi tiaoyue 中日基本關係條約) signé entre Abe Nobuyuki et Wang Jingwei le 30 novembre 1940. Il décrit ces douze mois consacrés à l’élaboration de cet accord comme les plus pénibles et inutiles de sa carrière.
Cette période est marquée par la formation du second cabinet Konoe, en juillet 1940, et la nomination de Matsuoka Yōsuke 松岡洋右 (1880-1946) aux Affaires étrangères, qui entraîne un large remaniement au sein du ministère. Alors qu’il espérait être muté aux États-Unis, Tajiri est, à sa grande consternation, nommé conseiller (sanjikan 参事官) à l’ambassade de Nankin. Dans les mois qui séparent l’inauguration du gouvernement de Wang Jingwei, le 30 mars 1940, et la signature du “Traité sur les relations fondamentales sino-japonaises”, qui doit s’accompagner de sa reconnaissance officielle par Tokyo, les canaux de discussions avec Chongqing sont réactivés. Convaincu que la victoire éclair de l’Allemagne en Europe de l’Ouest va pousser Jiang Jieshi à revoir sa stratégie, Matsuoka demande qu’un nouvel accord avec Chongqing soit rédigé, qui renonce notamment à la démission du généralissime. De son côté, Jiang laisse planer le doute sur ses intentions, dans l’espoir d’empêcher la reconnaissance du gouvernement rival de Nankin. Cette convergence débouche sur l’ « Opération Sen » (Sen kōsaku 銭工作), du nom de Qian Yongming 錢永銘 (1885-1958), un banquier et homme politique proche de Jiang Jieshi. Après une rencontre liminaire entre Qian et Nishi Yoshiaki, qui transmet à Tokyo les conditions chinoises (fusion de Chongqing et Nankin, retrait complet de l’armée japonaise et traité de défense mutuel sino-japonais), Tajiri est envoyé en octobre 1940 à Hong Kong en compagnie de Funatsu Tatsuichirō. Le 20 novembre, Matsuoka reçoit de Chongqing la demande que la reconnaissance du régime de Wang Jingwei soit repoussée. Le canal Qian-Tajiri est toutefois rapidement mis en échec par une coalition d’intérêts contraires. Prévenue de l’avancée des discussions de Hong Kong par l’interception des télégrammes entre Tajiri et Matsuoka, l’Armée de Chine centrale fait tout pour empêcher qu’elles se concrétisent, consciente que son influence en zone occupée dépend désormais de celle de Wang Jingwei. Envoyés à Tokyo pour faire pression sur Matsuoka, Zhou Fohai et Abe Nobuyuki obtiennent que la reconnaissance diplomatique de Nankin ait finalement lieu le 30 novembre.
En novembre 1941, Tajiri retourne à Tokyo pour prendre la tête de la Division recherche du ministère des Affaires étrangères. Il dit s’être fermement opposé à l’entrée en guerre contre les États-Unis, un mois plus tard, et avoir soumis, en vain, sa démission. En novembre 1942, il est renvoyé en Chine comme ministre plénipotentiaire (tokumei zenken kōshi 特命全権公使), chargé de représenter l’ambassade du Japon à Shanghai. Prenant part aux négociations autour de la rétrocession des concessions étrangères, qui aboutit au cours de l’année 1943, il devient très proche du maire de la ville, Chen Gongbo, dont il loue la retenue et la franchise qu’il juge à l’opposé de Wang Jingwei, connu pour être tactile et beau parleur. En avril 1944, Tajiri est muté aux Philippines, ce qu’il vit comme un bannissement pour avoir tenu tête à ses supérieurs durant son séjour à Shanghai. Il rentre au Japon peu avant la capitulation d’août 1945, pour prendre ses fonctions comme vice-ministre de la Grande Asie orientale (daitōashō jikan 大東亜省次官) en mai 1945.
Il est amené à jouer un rôle important dans la période de transition qui s’ouvre alors. Connu pour être un fin lettré, Tajiri rédige le brouillon du Rescrit impérial sur la fin de la guerre de la Grande Asie orientale (daitōa sensō shūsen no shōsho 大東亜戦争終戦の詔書), qui sert de base à l’allocution radiodiffusée de l’empereur Shōwa le 15 août 1945. L’entourage de l’empereur s’efforce alors de redéfinir l’image publique de Hirohito pour faire de lui le garant de la paix, de crainte qu’il ne soit tenu responsable de la politique expansionniste nippone. Occupant brièvement le poste de vice-ministre des Affaires étrangères durant le mois d’octobre 1945, Tajiri est chargé de faire la liste des charges pouvant être retenues contre l’empereur, ainsi que des arguments permettant de les contrer. Il s’agit, plus largement, de s’entendre à la tête de l’État pour éviter que les querelles entre les différentes factions du gouvernement et de l’administration ne soient exploitées par l’occupant américain dans les procès d’après-guerre.
Ayant démissionné de la fonction publique en janvier 1946, Tajiri travaille par la suite comme conseiller dans des groupes industriels tels que Yodogawa Steel Works (Yodogawa seikōsho 淀川製鋼所) et Iwatani (Iwatani sangyō 岩谷産業). Pour autant, il ne délaisse pas tout à fait la Chine et les idéaux panasiasistes qui l’animaient durant sa carrière de diplomate. À la fin des années 1960, Tajiri est nommé président de la Kazankai 霞山会, une fondation créée au lendemain de la guerre afin de poursuivre l’œuvre de l’Association pour la culture commune d’Asie orientale (Tōadōbunkai 東亜同文会) née en 1898 de la fusion entre l’Association pour l’Asie orientale (Tōakai 東亜会) d’Inukai Tsuyoshi 犬養毅 (1855-1932), père de Inukai Ken, et l’Association pour culture commune (Dōbunkai 同文会), fondée par Konoe Atsumaro 近衛篤麿 (1863-1904), père de Konoe Fumimaro. Il participe ainsi, en février 1967, à l’établissement de l’Institut de recherche sur l’Asie de l’Est (Tōagakuin 東亜学院) destiné à favoriser la compréhension mutuelles entre le Japon et ses voisins, à commencer par la Chine, sur le modèle du Tōa dōbun shoin 東亜同文書院 (Institut de la culture commune est-asiatique) fondé en 1900 à Shanghai, par lequel sont passés un grand nombre de “spécialiste de la Chine” japonais avant-guerre. Tajiri participe également au débat public qui accompagne la normalisation des relations diplomatiques du Japon avec la République populaire de Chine en prenant la défense du Communiqué commun dans la presse (“Nit-Chū kankei no shōrai 日中関係の将来”, Keizai jidai 経済時代, vol. 38, n°1, janv. 1973, p. 68-76). Il consacre les dernières années de sa vie à la rédaction de ses mémoires qui sont publiées deux ans après sa mort : Tajiri Akiyoshi kaisōroku—hansei o kaketa Chūgoku gaikō no kiroku 田尻愛義回想録:半生を賭けた中国外交の記録 (Les Mémoires de Tajiri Akiyoshi : le pari d’une vie pour moitié consacrée aux relations diplomatiques avec la Chine), Hara shobō, 1977.
Sources : NKJRJ, p. 314-315 ; Wikipedia ; WXM, p. 255-268 ; Brooks 2000, p. 150, 229, 248 ; Lu 2003, p. 178, 180 ; Tobe 2005 ; JACAR B02031743300 ; Barrett, Shyu 2001b, p. 56-58 ; Kushner 2015, p. 47, 336 ; Hoppens 2015, p. 125 ; Hotta Yukihiro 2016.