Né dans une famille de bushi au service du clan Nanbu 南部氏, qui dirige avant la restauration Meiji le fief du même nom, également connu comme le domaine de Morioka 盛岡藩, au nord-est du Japon, Itagaki Seishirō sort diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1904, dans la même promotion que Doihara Kenji et Okamura Yasuji. Il participe à la Guerre russo-japonaise (1904-1905), au cours de laquelle il est blessé à la jambe lors de combats près de Fengtian 奉天 (Mukden, act. Shenyang 瀋陽). En 1906, il se familiarise avec la situation chinoise durant les deux années qu’il passe au sein de la Garnison de Chine (Shina chūtongun 支那駐屯軍), stationnée à Tianjin. Diplômé de l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校) en 1916, Itagaki intègre l’état-major général de l’Armée de terre (sanbōhonbu 参謀本部) comme directeur du Bureau Chine (Shina-han 支那班), qui chapeaute le renseignement militaire en Chine. L’année suivante, il est détaché à Kunming (Yunnan), où il met à profit ses liens avec le seigneur de la guerre Tang Jiyao 唐繼堯 (1883-1927), diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre en 1908, pour collecter des informations sur le Sud-Ouest. En 1919, il est muté à Hankou où il se lie avec son cadet Ishiwara Kanji.
De retour au Japon en 1921, Itagaki retrouve l’année suivante la Section Chine (Shina-ka 支那課), avant de repartir en 1924 sur le continent comme adjoint de l’attaché militaire de la légation de Pékin (chūzai bukan hosakan 駐在武官補佐官) Honjō Shigeru 本庄繁 (1876-1945), puis attaché militaire au consulat de Jinan 濟南 (Shandong) en 1927. L’année suivante, Itagaki prend le commandement de la 33e brigade d’infanterie (hoheidai 33 rentai 歩兵第33連隊) stationnée à Qingdao 青島 (Shandong), avant d’être muté en 1929 au sein de l’état-major de l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍). Il y prend la suite de Kōmoto Daisaku 河本大 (1883-1955) – connu pour son rôle dans l’assassinat de Zhang Zuolin en 1928 – comme chef de la 2e section chargée du renseignement. Itagaki y retrouve Ishiwara avec lequel il conçoit le stratagème qui aboutit à l'”Incident de Mukden“, le 18 septembre 1931. À l’insu du commandant en chef de l’Armée du Guandong, le général de division (chūshō 中将) Honjō Shigeru, Itagaki et Ishiwara, qui ne sont alors respectivement que colonel (taisa 大佐) et lieutenant-colonel (chūsa 中佐), ordonnent à des agents de faire exploser une bombe sur une voie ferrée de la Mantetsu 満鉄 (Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien). Attribué à des terroristes chinois, l’attentat sert de prétexte à l’occupation de la Mandchourie par l’Armée du Guandong et à la mise en place du Manzhouguo l’année suivante. Itagaki est également le principal instigateur de l’Incident de Shanghai en janvier 1932, destiné à détourner l’attention internationale de la Mandchourie. Il fournit 20 000 yens à Tanaka Ryūkichi 田中隆吉 (1893-1972), alors adjoint de l’attaché militaire de la légation de Shanghai, lequel organise un attentat contre des moines japonais afin de justifier une intervention militaire. Son insubordination n’empêche pas Itagaki de continuer à s’élever dans la hiérarchie militaire. Promu général de brigade (shōshō 少将) en août 1932, il devient “conseiller” du nouvel État mandchou, dont il a été l’un des principaux architectes. En 1934, il est nommé conseiller militaire suprême (Manshūkoku gunsei saikō komon 満州国軍政最高顧問), vice-chef d’état-major de l’Armée du Guandong et attaché militaire de l’ambassade du Japon au Manzhouguo. En 1936, il accède au rang de chef d’état-major de l’Armée du Guandong et au grade de général de division. Si la politique de morcellement de la Chine du Nord-Est que mènent les militaires japonais au milieu des années 1930 est le plus souvent attribuée au “Lawrence de Mandchourie” Doihara Kenji, il semble que ce dernier suive un plan conçu par Itagaki lui-même.
Durant les premiers mois de la guerre sino-japonaise, Itagaki commande la Cinquième division (dai 5 shidan 第5師団) qui participe aux principaux combats de Chine du Nord, depuis la Bataille de Pékin-Tianjin (Hei-Shin sakusen 平津作戦) à l’été 1937, jusqu’à la Campagne de Xuzhou (Joshū kaisen 徐州会戦) au printemps 1938, durant laquelle ses troupes sont défaites lors de la fameuse bataille de Tai’erzhuang (Taijisō no tatakai 台児荘の戦い). Il est alors rappelé à Tokyo pour intégrer, en juin, le cabinet de Konoe Fumimaro comme ministre de l’Armée (rikugun daijin 陸軍大臣), lors du remaniement qui accompagne la remise en cause de la politique jusqu’au-boutiste entérinée par le même Konoe dans son discours du 16 janvier 1938. En effet, de même que son ancien bras droit Ishiwara, Itagaki pense que le projet expansionniste du Japon sur le continent, dont il a été l’un des principaux artisans, ne peut que pâtir d’une guerre d’attrition contre la Chine. Aussi, Itagaki et le nouveau ministre des Affaires étrangères Ugaki Kazushige cherchent-ils à poursuivre des négociations secrètes avec Chongqing à travers les différents canaux établis depuis l’échec de la médiation allemande au début de l’année 1938. Les deux hommes mènent ainsi parallèlement des discussions par émissaires interposés avec le président du Yuan exécutif (premier ministre) Kong Xiangxi. Contrairement à Ugaki, démissionnaire dès septembre 1938, Itagaki continue à peser sur la politique chinoise du Japon en conservant son maroquin dans le cabinet d’Hiranuma Kiichirō 平沼騏一郎 (1867-1952) formé en janvier 1939. Actif à Tokyo dans le suivi des “opérations de paix”, il l’est tout autant en Chine où il retourne en septembre 1939 pour prendre la tête de l’état-major de l’Armée expéditionnaire de Chine (Shina hakengun sōsanbōchō 支那派遣軍総参謀長), sous le commandement de Nishio Toshizō 西尾 寿造 (1881-1960).
Il faut toutefois se garder de voir en Itagaki un avocat de la paix, par opposition notamment à son vice-ministre Tōjō Hideki 東條英機 (1884-1948), imposé par l’armée pour veiller au grain. S’il joue un rôle moteur dans les différentes “opérations” qui prennent place dans les mois qui encadrent la mise en place du gouvernement de Wang Jingwei en mars 1940, Itagaki cherche avant tout un moyen de déstabiliser Chongqing pour accélérer la fin des hostilités. De fait, il joue en permanence sur plusieurs tableaux, soutenant l’avancement de l'”Opération Wang Jingwei” portée par Kagesa Sadaaki, tout en patronnant l'”Opération Kiri” (Kiri kōsaku 桐工作) dirigée entre février et octobre 1940 par Imai Takeo. Centrée sur Song Ziliang 宋子良 (1899-1983), le plus jeune beau-frère de Jiang Jieshi (qui se révélera être en réalité un agent de Dai Li), cette dernière opération vise, côté chinois, à empêcher l’inauguration du gouvernement de Nankin puis sa reconnaissance par le Japon. Il est même question, en août 1940, d’une rencontre entre le généralissime et Itagaki qui ne se concrétise pas. Dans le même temps, Itagaki s’investit dans la mise en place du nouveau gouvernement central en Chine. Le 17 mai 1939, il relance le projet confédéral en défendant une co-présidence partagée entre l’ancien seigneur de la guerre Wu Peifu et Wang Jingwei qui n’aboutit pas. S’il doit finalement se résoudre à soutenir la formation d’un Gouvernement national réorganisé dirigé par le seul Wang Jingwei, Itagaki met des bâtons dans les roues de ce dernier. Le coeur du projet politique porté par le groupe de Wang consiste en effet à réinstaurer en zone occupée le régime nationaliste, à commencer par son idéologie et ses symboles. Le 11 juin 1939, lors de la première visite de Wang Jingwei à Tokyo après sa défection, Itagaki explique à l’ancien fidèle de Sun Yat-sen que le Japon voit dans la doctrine des Trois principes du peuple (sanmin zhuyi 三民主義) une idéologie dangereuse en raison de la proximité avec le communisme du troisième principe – le bien-être du peuple (minsheng 民生). De même, il s’oppose à ce que le nouveau gouvernement de Nankin utilise un drapeau identique à celui de Chongqing, quand bien même un fanion jaune lui serait adjoint, notamment sur le champ de bataille.
En juillet 1941, Itagaki est élevé au grade de général d’armée (taishō 大将) et nommé commandant en chef de l’Armée de Corée (Chōsen-gun shireikan 朝鮮軍司令官) ; mutation qui apparaît alors comme une mise au placard, alors qu’il était initialement prévu qu’il soit muté en Chine du Nord. Itagaki doit attendre avril 1945 pour être réaffecté à Singapour en remplacement du maréchal Terauchi Hisaichi 寺内寿一 (1879-1946) frappé par un infarctus. C’est là qu’il présente, le 12 septembre 1945, la reddition des troupes japonaises au commandant en chef des forces alliées en Asie du Sud-Est, Lord Mountbatten (1900-1979). Arrêté par les autorités du Commandement suprême des forces alliées en avril 1946, Itagaki est jugé par le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient comme criminel de guerre de classe A. Condamné à mort, il est pendu dans la prison de Sugamo le 23 décembre 1948.
Sources : KSDJ ; Dictionnaire historique du Japon, 1983, vol. 9, p. 96-97 ; MRZ, vol. 11, p. 499-504 ; Orbach 2017, p. 210-211 ; Iwai 1983, p. 69 ; Huang, Yang 2001, p. 66 ; Hsiao Li-chu 2009, p. 153, 157-158 ; ZR, p. 463 ; Wikipedia.
Born into a bushi family in service to the Nanbu clan 南部氏, which ruled the eponymous fief, also known as the Morioka domain 盛岡藩, in the northeast of Japan prior to the Meiji Restoration, Itagaki Seishirō graduated from the Imperial Japanese Army Academy (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) in 1904, in the same class as Doihara Kenji and Okamura Yasuji. He participated in the Russo-Japanese War (1904-1905), during which he was wounded in the leg in fighting near Fengtian (奉天, currently Shenyang 瀋陽). In 1906, he became acquainted with the Chinese situation during his two-year post in the China Garrison Army (Shina chūtongun 支那駐屯軍), stationed in Tianjin. A graduate of the Army War College (rikugun daigakkō 陸軍大学校) in 1916, Itagaki joined the army’s General Staff (sanbōhonbu 参謀本部) as the head of the China Section (Shina-han 支那班), overseeing military intelligence in China. The following year, he was detached to Kunming (Yunnan), where he leveraged his connections with warlord Tang Jiyao 唐繼堯 (1883-1927), a fellow graduate of the Army Academy in 1908, to gather information on the Southwest. In 1919, he was transferred to Hankou where he forged ties with his junior, Ishiwara Kanji.
Returning to Japan in 1921, Itagaki Seishirō rejoined the China Section (Shina-ka 支那課) the following year, and in 1924, he went back to the continent as an assistant to the military attaché at the Beijing legation (chūzai bukan hosakan 駐在武官補佐官), Honjō Shigeru 本庄繁 (1876-1945), followed by a position as military attaché at the Jinan consulate 濟南 (Shandong) in 1927. The next year, Itagaki took command of the 33rd Infantry Brigade (hoheidai 33 rentai 歩兵第33連隊) stationed in Qingdao 青島 (Shandong), before being transferred in 1929 to the staff of the Kwantung Army (Kantō-gun 関東軍). There, he succeeded Kōmoto Daisaku 河本大 (1883-1955) – known for his role in the assassination of Zhang Zuolin in 1928 – as the head of the 2nd Section in charge of intelligence. Itagaki reunited with Ishiwara, with whom he devised the scheme that led to the “Mukden Incident” on September 18, 1931. Without the knowledge of the commander-in-chief of the Kwantung Army, Lieutenant General (chūshō 中将) Honjō Shigeru, Itagaki and Ishiwara, who were at the time only a Colonel (taisa 大佐) and Lieutenant Colonel (chūsa 中佐) respectively, ordered agents to detonate a bomb on a South Manchurian Railway (Mantetsu 満鉄) track. The attack, attributed to Chinese terrorists, served as a pretext for the Kwantung Army’s occupation of Manchuria and the establishment of Manchukuo the following year. Itagaki was also the main instigator of the Shanghai Incident in January 1932, intended to divert international attention from Manchuria. He provided 20,000 yen to Tanaka Ryūkichi 田中隆吉 (1893-1972), then assistant to the military attaché at the Shanghai legation, who organized an attack against Japanese monks to justify a military intervention. His insubordination did not prevent Itagaki from continuing to rise through the military ranks. Promoted to Major General (shōshō 少将) in August 1932, he became an “advisor” to the new Manchurian state, of which he was one of the main architects. In 1934, he was appointed as the Supreme Military Advisor (Manshūkoku gunsei saikō komon 満州国軍政最高顧問), Deputy Chief of Staff of the Kwantung Army, and military attaché to the Japanese embassy in Manchukuo. In 1936, he reached the position of Chief of Staff of the Kwantung Army and the rank of Lieutenant General. While the policy of fragmenting Northeast China carried out by Japanese military officers in the mid-1930s is often attributed to the “Lawrence of Manchuria” Doihara Kenji, it seems that the latter was following a plan conceived by Itagaki himself.
During the early months of the Sino-Japanese War, Itagaki commanded the 5th Division (dai 5 shidan 第5師団), which was involved in the main battles of Northern China, from the Battle of Beiping-Tianjin (Hei-Shin sakusen 平津作戦) in the summer of 1937 to the Xuzhou Campaign (Joshū kaisen 徐州会戦) in the spring of 1938. During this campaign, his troops were defeated at the famous Battle of Taierzhuang (Taijisō no tatakai 台児荘の戦い). Subsequently, he was recalled to Tokyo to join, in June, the cabinet of Prime Minister Konoe Fumimaro 近衛文麿 (1891-1945) as Minister of the Army (rikugun daijin 陸軍大臣), during the reshuffle that followed the reassessment of the hard-line policy endorsed by the same Konoe in his speech of January 16, 1938. Indeed, like his former right-hand man Ishiwara, Itagaki believed that Japan’s expansionist project on the continent, of which he had been one of the main architects, could only suffer from a war of attrition against China. Therefore, Itagaki and the new Foreign Minister Ugaki Kazushige sought to pursue secret negotiations with Chongqing through various channels established since the failure of the German mediation at the beginning of 1938. The two men thus led parallel discussions through intermediaries with the President of the Executive Yuan (Premier) Kong Xiangxi 孔祥熙 (1881-1967). Unlike Ugaki, who resigned in September 1938, Itagaki continued to influence Japan’s China policy by retaining his portfolio in the cabinet of Hiranuma Kiichirō 平沼騏一郎 (1867-1952) formed in January 1939. Active in Tokyo in the monitoring of “peace operations,” he was just as involved in China, where he returned in September 1939 to take the helm of the General Staff of the China Expeditionary Army (Shina hakengun sōsanbōchō 支那派遣軍総参謀長), under the command of Nishio Toshizō 西尾寿造 (1881-1960).
However, Itagaki should not be seen as a proponent of peace, in contrast to his Vice Minister Tōjō Hideki 東條英機 (1884-1948), who was imposed by the army to keep an eye on things. While Itagaki played a pivotal role in the various “operations” surrounding the establishment of the Wang Jingwei government in March 1940, his primary aim was to destabilize Chongqing to expedite the end of hostilities. Indeed, he was constantly playing multiple angles, supporting the advancement of the “Wang Jingwei Operation” led by Kagesa Sadaaki, while sponsoring the “Kiri Operation” (Kiri kōsaku 桐工作) directed by Imai Takeo from February to October 1940. Focused on Song Ziliang 宋子良 (1899-1983), the youngest brother-in-law of Jiang Jieshi, who turned out to be an agent of Dai Li, this operation aimed, on the Chinese side, to prevent the inauguration of the Nanjing government and then its recognition by Japan. There was even talk of a meeting between the Generalissimo and Itagaki in August 1940, which did not materialize. Concurrently, Itagaki was invested in establishing the new central government in China. On May 17, 1939, he revived the confederal project by advocating a co-presidency shared between the former warlord Wu Peifu and Wang Jingwei, which did not come to fruition. While he eventually had to resolve to support the formation of a Reorganized National Government led by Wang Jingwei alone, Itagaki threw a wrench in the works. At the heart of the political project carried by the Wang group was the reinstatement of the Nationalist regime in the occupied zone, beginning with its ideology and symbols. On June 11, 1939, during Wang Jingwei‘s first visit to Tokyo after his defection, Itagaki explained to Sun Yat-sen’s former associate that Japan saw the doctrine of the Three Principles of the People (sanmin zhuyi 三民主義) as a dangerous ideology due to the proximity of the third principle – people’s livelihood (minsheng 民生) – to communism. Similarly, he opposed the new Nanjing government using a flag identical to that of Chongqing, even if a yellow pennant were added to it, especially on the battlefield.
In July 1941, Itagaki was promoted to the rank of General (taishō 大将) and appointed Commander-in-Chief of the Korean Army (Chōsen-gun shireikan 朝鮮軍司令官); a move that appeared to be a sidelining, as he was initially intended to be transferred to North China. Itagaki had to wait until April 1945 to be reassigned to Singapore to replace Field Marshal Terauchi Hisaichi 寺内寿一 (1879-1946), who had suffered a stroke. It was there that he presented, on September 12, 1945, the surrender of the Japanese troops to the Supreme Commander of the Allied Forces in Southeast Asia, Lord Mountbatten (1900-1979). Arrested by the authorities of the Supreme Command of the Allied Powers in April 1946, Itagaki was tried by the International Military Tribunal for the Far East as a Class A war criminal. Sentenced to death, he was hanged in Sugamo prison on December 23, 1948.