Bien qu’il soit mort trop tôt pour prendre part à l’État d’occupation, Zeng Zhongming joue, par sa disparition même, un rôle important dans la genèse du gouvernement collaborateur de son mentor Wang Jingwei. Natif de Minhou (Fujian), il est présenté à ce dernier, le 29 mars 1912 à Canton, par sa sœur aînée Zeng Xing 曾醒 (1882-1954). En 1907, celle-ci était partie étudier à Tokyo, où elle était devenue très proche de Wang et Chen Bijun. En 1910, elle avait pris part à la conjuration visant à tuer le prince régent. En 1913, Zeng Zhongming suit Wang Jingwei en France. Wang le forme personnellement à la poésie et à la calligraphie. Après avoir obtenu une licence de chimie à Bordeaux, Zeng se tourne vers la littérature et obtient un doctorat de l’Université de Lyon. Entre-temps, il prend la direction de l’Institut franco-chinois de Lyon en 1921 et épouse une amie d’enfance, la peintre Fang Junbi 方君璧 (1898-1986), l’année suivante. Durant son séjour dans la capitale des Gaules, Zeng publie notamment La Chine pacifique (1924), préfacée par le maire de la ville, Édouard Herriot (1872-1957). De retour en Chine en 1925, il enseigne la littérature française à l’Université Sun Yat-sen (Zhongshan daxue 中山大學) de Canton. Après l’élection de Wang Jingwei à la tête du Gouvernement nationaliste, en juillet, Zeng devient son principal secrétaire. Cette position privilégiée au côté du grand homme fait de lui le plus proche collaborateur de Wang jusqu’à la fin de sa vie, sur le plan à la fois professionnel et privé. Durant la « décennie de Nankin », il occupe des fonctions officielles dans l’administration telle que vice-ministre des Chemins de fer (tielu changwu cizhang 鐵路常務次長), qu’il quitte en novembre 1935 pour suivre Wang en Europe après l’attentat qui a failli lui coûter la vie. En décembre 1938, il fait défection à la suite de Wang.
Le 21 mars 1939, vers deux heures du matin, un commando des services secrets militaires de Chongqing, le Juntong 軍統, pénètre dans la villa de Wang, sise au 25-27 rue Gialong à Hanoï. Ce soir-là, vingt-six personnes sont présentes dans le bâtiment. En raison de la protection offerte par les autorités françaises et de l’interdiction du port d’armes en Indochine, les mesures de sécurité sont quelque peu relâchées. Après avoir escaladé la façade, les tueurs pénètrent dans ce qu’ils croient être la chambre de Wang Jingwei et ouvrent le feu, blessant Zeng et son épouse. Transporté en urgence à l’hôpital, Zeng décède peu après, sous les yeux de Wang. Bouleversé et furieux contre Jiang Jieshi, Wang décide, peu après, de rejoindre Shanghai pour y entamer les préparatifs du nouveau gouvernement. Il ne faut pas pour autant voir dans ce drame l’élément déclencheur à l’origine du choix d’établir un régime collaborateur à Nankin, déjà arrêté depuis au moins plusieurs semaines, contrairement à ce que devait affirmer après-guerre Gao Zongwu, sans doute pour atténuer son rôle dans la genèse du futur gouvernement. En revanche, il est certain qu’il accélère le départ de Wang, exfiltré en urgence par Kagesa Sadaaki qui, coïncidence des dates, venait d’obtenir, le 19 mars, que l'”Opération Wang Jingwei” devienne prioritaire aux dépens des autres opération visant, sous la houlette de Doihara Kenji, à recruter des collaborateurs de premier plan.
Premier martyr du Mouvement pour la paix, Zeng est l’objet de nombreux hommages tout au long de l’occupation. L’un de ses tueurs est arrêté par les autorités françaises. Le 7 février 1940, Wang Jingwei écrit, en français, au gouverneur général d’Indochine, Georges Catroux (1877-1969), pour l’avertir qu’il suivra attentivement le procès aux assises et qu’il est confiant dans la sévérité de la justice française. Le 19 mars 1940, quelques jours avant l’inauguration du gouvernement de Nankin, le consulat de Shanghai reçoit la nouvelle que « Huang Jou Kiao, 4e auteur de l’assassinat de Zeng Zhongming », a été condamné aux travaux forcés à perpétuité par la cour criminelle de Hanoï. Le 31 mai 1940, une nièce de Zeng est tuée par des agents de Chongqing dans la concession française de Shanghai. Pendant ce temps, Chen Gongshu 陳恭澍 (1907-1969), le chef du commando envoyé par Dai Li 戴笠 (1897-1946) pour assassiner Wang Jingwei, poursuit ses activités clandestines à Shanghai. Le 29 octobre 1941, il est arrêté par le “n°76” (la police politique pro-japonaise). Comme beaucoup d’autres agents de Chongqing, il fait alors défection au profit des services secrets de Nankin. Bien qu’il se soit repenti, Chen Bijun, dont Fang Junbi est la plus fidèle suivante, prend très mal la chose. Le n°76 fait donc en sorte que Chen Gongshu ne croise jamais le chemin des deux femmes. Après la guerre, Fang Junbi s’installe aux États-Unis.
Sources : Xu Youchun 2007, p. 2082 ; BDRC, vol. 3, p. 310-312 ; Chan Cheong-choo 1992, p. 108-113 ; AH 118-010100-0008-061 ; ADF 503 ; Tairiku shinpō 01/06/40 ; Wang Manyun 2010, p. 280.