Originaire de Tai’an (Shandong), au pied du Mont Tai, Li Shengwu est le fils d’un homme de loi sorti de la pauvreté grâce à sa maîtrise des arts martiaux. Doté d’une grande intelligence et d’une ambition rapidement à l’étroit dans l’avenir que lui réserve sa famille, il abandonne pour toujours l’épouse que lui ont imposé ses parents et leurs deux filles pour tenter et réussir le concours d’entrée de l’Université de Pékin en 1918. Il rencontre sa nouvelle femme lors d’une réunion du GMD, dont il devient membre en 1920. Sous l’influence du Mouvement du 4-mai, il décide de poursuivre ses études à l’étranger pour contribuer à la modernisation du pays. Après deux années passées à l’Université impériale de Tokyo, Li part étudier le droit international à Oxford.
Plaçant ses espoirs dans Wang Jingwei face à la militarisation du GMD, Li Shengwu rentre précipitamment en Chine à la fin des années 1920 sans achever son doctorat, afin de participer à la lutte politique. Comptant parmi les hommes les plus brillants de sa génération, il se fait rapidement remarquer. Enseignant à l’Université Fudan 復旦大學 (Shanghai), vice-éditeur en chef des Presses commerciales de Shanghai (Shanghai shangwu yinshuguan 上海商務印書館) et rédacteur en chef de l’organe de presse du GMD, le Zhongyang ribao 中央日報 (Central Daily News), il publie de nombreux livres et articles. Wang Jingwei le prend sous son aile et l’invite à participer au gouvernement. Il occupe ainsi plusieurs postes comme conseiller au Yuan exécutif (xingzhengyuan 行政院), à partir de juillet 1932, et au ministère des Affaires étrangères (waijiaobu 外交部), à partir de décembre 1933, dont il démissionne après l’attentat manqué contre Wang en décembre 1935. Il continue parallèlement à travailler dans la presse, comme rédacteur en chef de la prestigieuse revue des Presses commerciales, le Dongfang zazhi 東方雜誌 (The Eastern Miscellany).
Selon son témoignage, lors de son procès en 1946, Li refuse dans un premier temps de suivre Wang Jingwei dans la collaboration et lui conseille, rapporte Hu Lancheng, de s’exiler à l’étranger. Il accepte finalement le poste qu’on lui offre avec insistance, de crainte, explique-t-il, d’être victime des agents de Li Shiqun. Toujours est-il qu’il s’implique fortement dans la préparation du nouveau régime. Député lors du « 6e congrès » du GMD « orthodoxe » en 1939, il enrôle femme, cousins et neveux pour remplir les sièges désespérément vides de l’assemblée. Il occupe dans le nouveau régime des postes importants : ministre de la Justice (sifaxingzhengbu 司法行政部) entre 1940 et 1941, de l’Éducation (jiaoyubu 教育部) entre 1941 et 1945, et des Affaires étrangères (waijiaobu 外交部) en 1945. Il ne brille pas par son zèle, au point que Zhou Fohai écrit de lui, le 24 juin 1942, qu’il « ne fait absolument rien, mettant en danger le royaume [太不做事,實誤國也] ». Après la reconnaissance du Gouvernement national réorganisé par Berlin, en juillet 1941, Li est nommé ambassadeur en Allemagne en septembre, mais demeure à Nankin, signe du caractère largement fictif des relations extérieures du gouvernement de Wang Jingwei.
Arrêté par les services secrets militaires du Juntong 軍統 le 26 septembre 1945, il est jugé en juin 1946. Déployant ses talents de juriste, il tente de convaincre le tribunal qu’il n’est légalement pas un traître puisqu’il n’a jamais été en contact avec des conseillers japonais et justifie son refus de fuir pour la zone libre par son sens du devoir paternel, alors que l’inflation impose des privations à sa famille (on verra plus bas ce qu’il en est réellement). Il reçoit également une lettre de soutien de Tao Xisheng qui témoigne de ses réticences à rallier le Mouvement pour la paix de Wang Jingwei et il parvient à démontrer qu’il est venu en aide à des résistants à une occasion. Li Shengwu est finalement condamné à 15 ans de prison et voit ses biens confisqués. Libéré peu avant la prise de pouvoir des Communistes, il s’installe à Hong Kong où il végète en travaillant comme éditeur et enseignant. En 1989, il effectue un dernier voyage pour rendre visite aux deux filles de son premier mariage, qui travaillent dans une ferme collective sur les rives du fleuve Amour. Pris de délires, il meurt dans un asile local.
Linguiste réputé formé à l’Université de Berkeley, son fils Li Na (Charles N. Li) livre dans ses mémoires un récit passionnant de l’ambition frustrée de Li Shengwu. Né à Nankin en 1940, Li Na grandit dans le faste des résidences luxueuses réservées aux collaborateurs, avant de connaître, après l’arrestation de son père, la misère des bidonvilles des faubourgs de la capitale. Il découvrira plus tard que ce dernier avait caché une forte somme d’argent censée financer son retour en politique. Convaincu toute sa vie que la Chine a besoin de ses talents d’homme d’État, Li Shengwu ne se remet jamais de son choix de la collaboration. Dans les années 1950, il encourage son fils à poursuivre ses études en Chine communiste. Après des mois dans une école de « reformatage », Li Na se voit refuser l’entrée à l’université au prétexte qu’il est le fils d’un “traître”. Devant la réaction de son père, il comprend que ce dernier n’avait montré de l’intérêt pour ses études que dans le but de sonder l’attitude des autorités communistes à son égard. Réalisant que tout retour en Chine est impossible, Li Shengwu voit ses rêves de grandeur définitivement brisés.
Sources : Xu Youchun 2007, p. 539 ; SWHB, p. 565-646 ; Li 2008 ; Hu Lancheng 2009, p. 188 ; ZR, p. 619 ; The China Weekly Review, 20/09/1941 ; South China Morning Post, 06/06/1946.
Born in Tai’an (Shandong) at the foot of Mount Tai, Li Shengwu was the son of a man of law who had risen from poverty through his mastery of martial arts. Endowed with great intelligence and ambition that quickly outgrew the future his family had in store for him, he forever abandoned the wife his parents had imposed on him and their two daughters to attempt and pass the entrance examination for Peking University in 1918. He met his new wife at a GMD meeting, which he joined in 1920. Under the influence of the May Fourth Movement, he decided to pursue his studies abroad to contribute to the country’s modernization. After two years at the Imperial University of Tokyo, Li left to study international law at Oxford.
Placing his hopes in Wang Jingwei in the face of the militarization of the GMD, Li Shengwu hurriedly returned to China in the late 1920s without completing his doctorate in order to participate in the political struggle. Counted among the most brilliant men of his generation, he quickly made a name for himself. Teaching at Fudan University 復旦大學 (Shanghai), serving as deputy editor-in-chief of the Commercial Press of Shanghai (Shanghai shangwu yinshuguan 上海商務印書館), and editor-in-chief of the GMD’s press organ, the Zhongyang ribao 中央日報 (Central Daily News), he published numerous books and articles. Wang Jingwei took him under his wing and invited him to participate in the government. He thus held several positions as an advisor to the Executive Yuan (Xingzhengyuan 行政院) starting in July 1932, and to the Ministry of Foreign Affairs (Waijiaobu 外交部) starting in December 1933, from which he resigned after the failed assassination attempt on Wang in December 1935. He continued to work in the press in parallel, as editor-in-chief of the prestigious Commercial Press magazine, the Dongfang zazhi 東方雜誌 (The Eastern Miscellany).
According to his testimony during his trial in 1946, Li initially refused to follow Wang Jingwei into collaboration and advised him, as reported by Hu Lancheng, to go into exile abroad. He finally accepted the position he was insistently offered, fearing, he explained, that he would fall victim to Li Shiqun‘s agents. In any case, he became heavily involved in the preparation of the new regime. As a deputy at the “6th Congress” of the “orthodox” KMT in 1939, he enlisted his wife, cousins, and nephews to fill the desperately empty seats of the assembly. He held important positions in the new regime: Minister of Justice (Sifaxingzhengbu 司法行政部) between 1940 and 1941, of Education (Jiaoyubu 教育部) between 1941 and 1945, and of Foreign Affairs (Waijiaobu 外交部) in 1945. He did not shine through his zeal, to the point that Zhou Fohai wrote of him on June 24, 1942, that he “does absolutely nothing, endangering the realm [太不做事,實誤國也].” After Berlin’s recognition of the Reorganized National Government in July 1941, Li was appointed ambassador to Germany in September but remained in Nanjing, a sign of the largely fictitious nature of the Wang Jingwei government’s foreign relations.
Arrested by the military secret services of the Juntong 軍統 on September 26, 1945, he was tried in June 1946. Deploying his talents as a jurist, he attempted to convince the court that he was not legally a traitor since he had never been in contact with Japanese advisors and justified his refusal to flee to the free zone by his sense of paternal duty, while inflation imposed privations on his family (we will see below what the reality was). He also received a letter of support from Tao Xisheng, who testified to his reluctance to join Wang Jingwei‘s Peace Movement, and he was able to demonstrate that, on one occasion, he had assisted underground agents of the resistance. Li Shengwu was eventually sentenced to 15 years in prison and had his property confiscated. Released shortly before the Communist takeover, he settled in Hong Kong, where he struggled by working as an editor and teacher. In 1989, he made a final trip to visit his two daughters from his first marriage, who worked on a collective farm on the banks of the Amur River. Stricken with delirium, he died in a local asylum.
A renowned linguist trained at the University of Berkeley, his son Li Na (Charles N. Li) delivers a fascinating account of Li Shengwu’s frustrated ambition in his memoirs. Born in Nanjing in 1940, Li Na grew up in the splendor of luxurious residences reserved for collaborators before experiencing, after his father’s arrest, the misery of the slums in the capital’s suburbs. He later discovered that his father had hidden a large sum of money intended to finance his return to politics. Convinced all his life that China needed his talents as a statesman, Li Shengwu never recovered from his choice of collaboration. In the 1950s, he encouraged his son to pursue his studies in Communist China. After months in a “reformatting” school, Li Na was denied entry to university on the grounds that he was the son of a “traitor”. Seeing his father’s reaction, he realized that the latter had only shown interest in his studies in order to gauge the attitude of the Communist authorities towards him. Realizing that any return to China was impossible, Li Shengwu saw his dreams of grandeur definitively shattered.