[Également transcrit Inukai Takeru]

Fils cadet d’Inukai Tsuyoshi 犬養毅 (1855-1932), après des études interrompues de philosophie à l’Université impériale de Tokyo, Inukai Ken se lance dans une carrière de romancier sous l’influence de l’école du Boulot blanc (shirakabaha 白樺派). Il publie notamment, en 1929, Nankin rokugatsusai 南京六月祭 (Festival de juin à Nankin), qui prend pour toile de fond les troubles en Chine durant la Grande guerre. La même année, il entre dans l’arène politique en se faisant élire député du Seiyūkai 政友会, dont son père prend alors la direction avant d’être choisi par le genrō Saionji Kinmochi 西園寺公望 (1849-1940) pour former un gouvernement en décembre 1931. Le 15 mai 1932, son père est assassiné lors d’un coup d’État fomenté par des cadets ultra-nationalistes de la Marine. Inukai Ken assiste, au même moment, à un combat de sumo en compagnie du prince Saionji et de la star britannique Charlie Chaplin (1889-1977), qui étaient également visés par le complot. Cet incident marque un tournant majeur dans la montée du militarisme au Japon.

Au début de la guerre, Inukai Ken conseille le premier ministre Konoe Fumimaro dans le cadre de la l’Association du petit-déjeuner (asameshi-kai 朝飯会) ; un cercle informel réunissant plusieurs membres de la Société de recherche Shōwa (Shōwa kenkyūkai 昭和研究会), qui joue un rôle crucial dans la genèse du Mouvement pour la paix de Wang Jingwei. Organisé par Kazami Akira 風見章 (1886-1961), secrétaire en chef du gouvernement et ministre de la Justice, et Ushiba Tomohiko 牛場智彦 (1901-1993), secrétaire privé de Konoe, ce groupe comprend notamment Rōyama Masamichi 蠟山政道 (1895-1980), professeur de droit à l’Université impériale de Tokyo, des membres du comité de rédaction du Asahi shinbun 朝日新聞 tels que Ryū Shintarō 笠信太郎 (1900-1967), Sassa Hiroo 佐々弘雄 (1897-1948) et le journaliste Ozaki Hotsumi 尾崎秀実 (1901-1944), ainsi que des rejetons de grandes familles comme Saionji Kinkazu 西園寺公一 (1906-1993), petit fils du Prince Saionji Kinmochi et le journaliste Matsumoto Shigeharu. Inukai est notamment chargé d’étudier le GMD, ce qui l’amène à publier, en 1939, une traduction de l’ouvrage de Zhou Fohai sur les Trois principes du peuple de Sun Yat-sen.

Lors de son voyage secret au Japon en juillet 1938, Gao Zongwu est recommandé à Inukai par Matsumoto afin qu’il l’introduise auprès des milieux politiques libéraux. Dès lors, Inukai devient un acteur incontournable de la mission visant à organiser la défection de Wang Jingwei. Il assiste ainsi aux discussions du Chongguangtang 重光堂 de Shanghai en novembre 1938. Bien qu’il n’ait pas de fonctions importantes au sein du gouvernement japonais, Inukai occupe une place à part du fait de sa proximité avec Konoe et du respect qu’inspire chez ses interlocuteurs chinois son défunt père qui avait abrité Sun Yat-sen lors de ses exils japonais. Disciple d’Ishiwara Kanji, il est également proche de Kagesa Sadaaki. En avril 1939, il est envoyé à Hanoï avec ce dernier pour exfiltrer Wang Jingwei qu’il côtoie durant les deux semaines que dure la traversée jusqu’à Shanghai via Taiwan. Débutent alors les longues négociations en vue de l’établissement du nouveau gouvernement central. Inukai est aux premières loges comme membre de l’Agence de la prune (ume kikan 梅機関) de Kagesa. Rattaché, pour des raisons administratives au Kōa-in 興亜院, Inukai n’est pas rémunéré, ou très peu. Il finance ses activités à Shanghai en vendant une partie de la collection familiale de rouleaux datant de la dynastie Yuan (1279-1368), pour laquelle Konoe se charge de trouver un acheteur.

Après l’inauguration du Gouvernement national réorganisé de Nankin en mars 1940, Inukai devient l’un de ses principaux conseillers civils. Lors des élections générales d’avril 1942, il est réélu sous l’étiquette de candidat indépendant, c’est-à-dire en dehors du parti unique de l’Association de soutien au Trône (taisei yokusankai 大政翼賛会). Il perd à la même époque son poste à Nankin en raison, notamment, de son implication indirecte dans le réseau de l’espion soviétique Richard Sorge (1895-1944) démantelé à partir d’octobre 1941. Début 1940, Inukai avait en effet divulgué le brouillon du futur “Traité sur les relations fondamentales sino-japonaises” avec Nankin à Saionji Kinkazu, qui l’avait communiqué à l’informateur de Sorge, Ozaki Hotsumi. Après la guerre, Inukai reste une figure politique importante. Il occupe notamment le poste de ministre de la Justice (hōmu daijin 法務大臣) de 1952 à 1954. Il publie à la fin de sa vie l’un des principaux témoignages sur le Mouvement pour la paix : Yōsukō wa ima mo nagarete iru 揚子江は今も流れている (Le Yangzi coule encore).

Sources : NKJRJ, p. 58-59 ; KSDJ ; Inukai 1984 ; Boyle 1972, p. 239 et passim ; Johnson 1964, p. 153.

Diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1910 et de l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校) en 1918, Ishiwara (parfois lu Ishihara) se distingue par son intelligence supérieure qui fera de lui le stratège japonais le plus original de son temps. Après un séjour en Allemagne, il développe le concept de « guerre finale » (saishū sensō-ron 最終戦争論) que devra livrer l’Asie, dirigée par le Japon, contre l’Occident et qu’il appuie, par la suite, sur l’eschatologie bouddhiste de Nichiren 日蓮 (1222-1282). Cette vision de l’avenir le conduit à se faire le promoteur de l’expansionnisme japonais en Mandchourie (il est l’un des cerveaux de l’”Incident de Mukden” avec Itagaki Seishirō) et, plus tard, à s’opposer à la guerre contre la Chine, dont il veut faire une alliée. Alors qu’il préconisait en 1931 l’installation d’un gouvernement favorable au Japon à Nankin, Ishiwara tente ainsi d’éviter, en 1937, que l’échauffourée du 7 juillet ne dégénère en conflit à grande échelle. Il dirige alors de fait l’Armée de terre en tant que chef du 1er Bureau de l’état-major général (sanbōhonbu dai ichi bu 参謀本部第1部), chargé des opérations car le vice-chef d’état-major Imai Kiyoshi 今井清 (1882-1938), dont c’est en principe le rôle, est souffrant. Au lendemain de l’Incident du Pont Marco-Polo, il obtient des principaux cadres de l’état-major et du chef d’état-major, le prince Kan’in-no-miya Kotohito 閑院宮載仁 (1865-1945), que le conflit soit circonscrit dans l’espace et dans le temps.

Il convient, explique-t-il, de se « concentrer sur la construction de l’État de Mandchourie et sur l’achèvement de nos préparatifs militaires vis-à-vis de l’Union soviétique […]. Il serait inconcevable que ce projet soit réduit en miettes à cause des ambitions de certains en Chine » (cité dans Kasahara 2024, p. 62). À rebours du discours dominant selon lequel la Chine serait incapable de se muer en un État-nation, il affirme que « La Chine d’aujourd’hui n’est plus la Chine d’hier. La révolution qu’a conduite le Parti nationaliste a mûri. Le pays est maintenant gouverné par un État unifié et la population chinoise possède une conscience nationale. Une guerre totale entre le Japon et la Chine prendrait la forme d’une guerre d’usure dispersée sur un immense territoire que le Japon ne pourrait jamais soumettre par sa seule force » (ibid.). Cette position est toutefois loin de faire l’unanimité au sein de l’Armée de terre, notamment parmi les officiers de rangs intermédiaires qui sont convaincus que la position du Japon contre l’ennemi soviétique sortirait renforcée d’une victoire-éclair contre la Chine. La fronde contre Ishiwara est notamment menée par son subalterne direct, le colonel Mutō Akira 武藤章 (1898-1948), qui se réclame de l’insubordination d’Ishiwara en 1931 pour justifier son refus d’obéir. Ainsi, Ishiwara ne peut empêcher l’envoi de renforts à Pékin, pas plus que l’expansion en août du conflit dans la vallée du Yangzi sous l’impulsion de la Marine. Ses efforts pour éviter une escalade en Chine l’amène, le 13 juillet 1937, à rencontrer en secret le diplomate Ishii Itarō avec lequel il tente de rétablir un canal de communication avec le gouvernement chinois en envoyant Funatsu Tatsuichirō rencontrer Gao Zongwu début août. En septembre 1937, alors que les partisans d’une intensification du conflit l’emportent avec l’envoi de troupes pour renforcer le Corps expéditionnaire de Shanghai, Ishiwara est muté le 28 septembre à l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍) comme vice-chef d’état-major.

À son retour au Manzhouguo, Ishiwara retrouve l’Association Concordia (xiehehui 協和會) phagocytée par l’appareil militaro-bureaucratique, qui en a fait un instrument de la politique de domination nippone incarnée par des hommes comme Tōjō Hideki 東條英機 (1884-1948). Ishiwara éprouve un profond mépris pour ce dernier, dont il devient l’adjoint. Il défend alors un abandon de cette politique de « guidage interne » (naimen shidō 内面指導), c’est-à-dire l’ingérence de l’armée japonaise, afin de faire du Manzhouguo un exemple d’égalité entre les peuples asiatiques censé convaincre la population chinoise des bonnes intentions du Japon. Ce discours provoque la consternation des officiers de l’Armée du Guandong et vaut à Ishiwara de rentrer prématurément au Japon à la fin de l’année 1938. Il développe alors l’idée d’une Ligue d’Asie orientale (tōa renmei 東亜連盟) devant succéder à l’Association Concordia. D’abord conçue comme un moyen de diffuser l'”Ordre nouveau” (shin chitsujo 新秩序) du premier ministre Konoe Fumimaro en novembre 1938, cette Ligue est, par la suite, conçue pour servir de matrice à l’union des peuples asiatiques en vue de la « guerre mondiale finale ». En octobre 1939, Ishiwara inspire la fondation à Tokyo de l’Association pour la Ligue d’Asie orientale (tōa renmei kyōkai). Au bout de quelques mois, celle-ci est déjà implantée dans une vingtaine de préfectures et revendique 100 000 membres à son apogée en 1941.

Dans le même temps, elle se développe en Chine sous l’impulsion de son vieil ami Itagaki Seishirō et de son disciple Tsuji Masanobu. En avril 1940, l’Association tente de renforcer la discipline morale dans les rangs de l’armée d’occupation, en invitant les soldats à favoriser la coopération sino-japonaise. Elle cherche également à impliquer les collaborateurs chinois en leur confiant la direction de succursales locales de la Ligue. Une branche est ouverte à Pékin par Miao Bin en mai 1940, puis à Canton en septembre. En février 1941, Wang Jingwei prend la direction de l’Association générale chinoise de la Ligue d’Asie orientale (Dongya lianmeng Zhongguo zonghui 東亞聯盟中國總會). S’il n’est pas dupe de l’utilisation que compte en faire les autorités japonaises, Wang entend profiter de cette organisation pour imposer son GMD « orthodoxe » comme la principale force politique de l’État d’occupation. Il y parvient en Chine centrale mais échoue en Chine du Nord. À Tokyo, cependant, Tōjō met tout en œuvre pour limiter le pouvoir de nuisance d’Ishiwara et de sa Ligue. D’abord favorable à cette dernière, le cabinet Konoe cède aux pressions du ministre de l’Armée. Il prend clairement position contre la Ligue, le 14 janvier 1941, en affirmant qu’elle représente une menace pour l’autorité impériale.

Déclarée illégale, l’organisation d’Ishiwara voit toutes ses activités dans l’archipel être absorbées par l’Association de soutien au Trône (Taisei yokusankai 大政翼賛会). Sur le continent, ses branches locales fusionnent au sein de l’Alliance pour l’essor de l’Asie (Kōa dōmei 興亜同盟) ; une organisation destinée à remplacer la Ligue. Cette décision constitue un camouflet pour les collaborateurs comme Wang Jingwei qui venaient juste de s’investir personnellement dans le lancement de la Ligue en Chine. Ishiwara répond à ces attaques par la surenchère. Dans un discours prononcé à l’Université impériale de Kyōto la même année, il va jusqu’à déclarer que « l’ennemi n’est pas le peuple chinois mais certains Japonais. C’est en particulier Tōjō Hideki et Umezu Yoshijirō [梅津美治郎 (1882-1949)] qui, armés et poursuivant leur propre ambition, sont les ennemis du Japon. En perturbant la paix, ils se font les ennemis du monde. Ils devraient être arrêtés et exécutés » (cité dans Peattie 1975, p. 330). En raison du poids qu’il continue à avoir dans l’armée, et qui fait craindre une réaction de ses nombreux disciples, Ishiwara ne fait pas l’objet de mesures disciplinaires. Il est tout de même mis à la retraite de force, le 1er mars 1941. Les craintes de Tōjō, qui fait placer Ishiwara sous la surveillance de la police militaire, ne se matérialisent pas. Ce dernier se fait discret jusqu’à la fin de la guerre.

Son opposition à Tōjō lui vaut d’échapper à toute inculpation lors du Procès de Tokyo (1946-1948), contrairement à Itagaki Seishirō. Prônant désormais un pacifisme intégral, Ishiwara déclare que le Japon « doit prendre l’attitude du Christ portant la croix jusqu’au lieu de son exécution » et renoncer à combattre la culture occidentale. Visionnaire et mégalomane jusqu’au bout, Ishiwara soumet, à la veille de sa mort, un vaste plan de réorganisation du Japon au général MacArthur.

Sources : Peattie 1975 ; Kasahara 2024, p. 61-62 ; Esmein 1983, p. 105, 331 ; Birolli 2012, p. 233-234.

Né dans une famille de bushi au service du clan Nanbu 南部氏, qui dirige avant la restauration Meiji le fief du même nom, également connu comme le domaine de Morioka 盛岡藩, au nord-est du Japon, Itagaki Seishirō sort diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1904, dans la même promotion que Doihara Kenji et Okamura Yasuji. Il participe à la Guerre russo-japonaise (1904-1905), au cours de laquelle il est blessé à la jambe lors de combats près de Fengtian 奉天 (Mukden, act. Shenyang 瀋陽). En 1906, il se familiarise avec la situation chinoise durant les deux années qu’il passe au sein de la Garnison de Chine (Shina chūtongun 支那駐屯軍), stationnée à Tianjin. Diplômé de l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校) en 1916, Itagaki intègre l’état-major général de l’Armée de terre (sanbōhonbu 参謀本部) comme directeur du Bureau Chine (Shina-han 支那班), qui chapeaute le renseignement militaire en Chine. L’année suivante, il est détaché à Kunming (Yunnan), où il met à profit ses liens avec le seigneur de la guerre Tang Jiyao 唐繼堯 (1883-1927), diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre en 1908, pour collecter des informations sur le Sud-Ouest. En 1919, il est muté à Hankou où il se lie avec son cadet Ishiwara Kanji.

De retour au Japon en 1921, Itagaki retrouve l’année suivante la Section Chine (Shina-ka 支那課), avant de repartir en 1924 sur le continent comme adjoint de l’attaché militaire de la légation de Pékin (chūzai bukan hosakan 駐在武官補佐官) Honjō Shigeru 本庄繁 (1876-1945), puis attaché militaire au consulat de Jinan 濟南 (Shandong) en 1927. L’année suivante, Itagaki prend le commandement de la 33e brigade d’infanterie (hoheidai 33 rentai 歩兵第33連隊) stationnée à Qingdao 青島 (Shandong), avant d’être muté en 1929 au sein de l’état-major de l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍). Il y prend la suite de Kōmoto Daisaku 河本大 (1883-1955) – connu pour son rôle dans l’assassinat de Zhang Zuolin en 1928 – comme chef de la 2e section chargée du renseignement. Itagaki y retrouve Ishiwara avec lequel il conçoit le stratagème qui aboutit à l'”Incident de Mukden“, le 18 septembre 1931. À l’insu du commandant en chef de l’Armée du Guandong, le général de division (chūshō 中将) Honjō Shigeru, Itagaki et Ishiwara, qui ne sont alors respectivement que colonel (taisa 大佐) et lieutenant-colonel (chūsa 中佐), ordonnent à des agents de faire exploser une bombe sur une voie ferrée de la Mantetsu 満鉄 (Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien). Attribué à des terroristes chinois, l’attentat sert de prétexte à l’occupation de la Mandchourie par l’Armée du Guandong et à la mise en place du Manzhouguo l’année suivante. Itagaki est également le principal instigateur de l’Incident de Shanghai en janvier 1932, destiné à détourner l’attention internationale de la Mandchourie. Il fournit 20 000 yens à Tanaka Ryūkichi 田中隆吉 (1893-1972), alors adjoint de l’attaché militaire de la légation de Shanghai, lequel organise un attentat contre des moines japonais afin de justifier une intervention militaire. Son insubordination n’empêche pas Itagaki de continuer à s’élever dans la hiérarchie militaire. Promu général de brigade (shōshō 少将) en août 1932, il devient “conseiller” du nouvel État mandchou, dont il a été l’un des principaux architectes. En 1934, il est nommé conseiller militaire suprême (Manshūkoku gunsei saikō komon 満州国軍政最高顧問), vice-chef d’état-major de l’Armée du Guandong et attaché militaire de l’ambassade du Japon au Manzhouguo. En 1936, il accède au rang de chef d’état-major de l’Armée du Guandong et au grade de général de division. Si la politique de morcellement de la Chine du Nord-Est que mènent les militaires japonais au milieu des années 1930 est le plus souvent attribuée au “Lawrence de Mandchourie” Doihara Kenji, il semble que ce dernier suive un plan conçu par Itagaki lui-même.

Durant les premiers mois de la guerre sino-japonaise, Itagaki commande la Cinquième division (dai 5 shidan 第5師団) qui participe aux principaux combats de Chine du Nord, depuis la Bataille de Pékin-Tianjin (Hei-Shin sakusen 平津作戦) à l’été 1937, jusqu’à la Campagne de Xuzhou (Joshū kaisen 徐州会戦) au printemps 1938, durant laquelle ses troupes sont défaites lors de la fameuse bataille de Tai’erzhuang (Taijisō no tatakai 台児荘の戦い). Il est alors rappelé à Tokyo pour intégrer, en juin, le cabinet de Konoe Fumimaro comme ministre de l’Armée (rikugun daijin 陸軍大臣), lors du remaniement qui accompagne la remise en cause de la politique jusqu’au-boutiste entérinée par le même Konoe dans son discours du 16 janvier 1938. En effet, de même que son ancien bras droit Ishiwara, Itagaki pense que le projet expansionniste du Japon sur le continent, dont il a été l’un des principaux artisans, ne peut que pâtir d’une guerre d’attrition contre la Chine. Aussi, Itagaki et le nouveau ministre des Affaires étrangères Ugaki Kazushige cherchent-ils à poursuivre des négociations secrètes avec Chongqing à travers les différents canaux établis depuis l’échec de la médiation allemande au début de l’année 1938. Les deux hommes mènent ainsi parallèlement des discussions par émissaires interposés avec le président du Yuan exécutif (premier ministre) Kong Xiangxi. Contrairement à Ugaki, démissionnaire dès septembre 1938, Itagaki continue à peser sur la politique chinoise du Japon en conservant son maroquin dans le cabinet d’Hiranuma Kiichirō 平沼騏一郎 (1867-1952) formé en janvier 1939. Actif à Tokyo dans le suivi des “opérations de paix”, il l’est tout autant en Chine où il retourne en septembre 1939 pour prendre la tête de l’état-major de l’Armée expéditionnaire de Chine (Shina hakengun sōsanbōchō 支那派遣軍総参謀長), sous le commandement de Nishio Toshizō 西尾 寿造 (1881-1960).

Il faut toutefois se garder de voir en Itagaki un avocat de la paix, par opposition notamment à son vice-ministre Tōjō Hideki 東條英機 (1884-1948), imposé par l’armée pour veiller au grain. S’il joue un rôle moteur dans les différentes “opérations” qui prennent place dans les mois qui encadrent la mise en place du gouvernement de Wang Jingwei en mars 1940, Itagaki cherche avant tout un moyen de déstabiliser Chongqing pour accélérer la fin des hostilités. De fait, il joue en permanence sur plusieurs tableaux, soutenant l’avancement de l'”Opération Wang Jingwei” portée par Kagesa Sadaaki, tout en patronnant l'”Opération Kiri” (Kiri kōsaku 桐工作) dirigée entre février et octobre 1940 par Imai Takeo. Centrée sur Song Ziliang 宋子良 (1899-1983), le plus jeune beau-frère de Jiang Jieshi (qui se révélera être en réalité un agent de Dai Li), cette dernière opération vise, côté chinois, à empêcher l’inauguration du gouvernement de Nankin puis sa reconnaissance par le Japon. Il est même question, en août 1940, d’une rencontre entre le généralissime et Itagaki qui ne se concrétise pas. Dans le même temps, Itagaki s’investit dans la mise en place du nouveau gouvernement central en Chine. Le 17 mai 1939, il relance le projet confédéral en défendant une co-présidence partagée entre l’ancien seigneur de la guerre Wu Peifu et Wang Jingwei qui n’aboutit pas. S’il doit finalement se résoudre à soutenir la formation d’un Gouvernement national réorganisé dirigé par le seul Wang Jingwei, Itagaki met des bâtons dans les roues de ce dernier. Le coeur du projet politique porté par le groupe de Wang consiste en effet à réinstaurer en zone occupée le régime nationaliste, à commencer par son idéologie et ses symboles. Le 11 juin 1939, lors de la première visite de Wang Jingwei à Tokyo après sa défection, Itagaki explique à l’ancien fidèle de Sun Yat-sen que le Japon voit dans la doctrine des Trois principes du peuple (sanmin zhuyi 三民主義) une idéologie dangereuse en raison de la proximité avec le communisme du troisième principe – le bien-être du peuple (minsheng 民生). De même, il s’oppose à ce que le nouveau gouvernement de Nankin utilise un drapeau identique à celui de Chongqing, quand bien même un fanion jaune lui serait adjoint, notamment sur le champ de bataille.

En juillet 1941, Itagaki est élevé au grade de général d’armée (taishō 大将) et nommé commandant en chef de l’Armée de Corée (Chōsen-gun shireikan 朝鮮軍司令官) ; mutation qui apparaît alors comme une mise au placard, alors qu’il était initialement prévu qu’il soit muté en Chine du Nord. Itagaki doit attendre avril 1945 pour être réaffecté à Singapour en remplacement du maréchal Terauchi Hisaichi 寺内寿一 (1879-1946) frappé par un infarctus. C’est là qu’il présente, le 12 septembre 1945, la reddition des troupes japonaises au commandant en chef des forces alliées en Asie du Sud-Est, Lord Mountbatten (1900-1979). Arrêté par les autorités du Commandement suprême des forces alliées en avril 1946, Itagaki est jugé par le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient comme criminel de guerre de classe A. Condamné à mort, il est pendu dans la prison de Sugamo le 23 décembre 1948.

Sources : KSDJ ; Dictionnaire historique du Japon, 1983, vol. 9, p. 96-97 ; MRZ, vol. 11, p. 499-504 ; Orbach 2017, p. 210-211 ; Iwai 1983, p. 69 ; Huang, Yang 2001, p. 66 ; Hsiao Li-chu 2009, p. 153, 157-158 ; ZR, p. 463 ; Wikipedia.

Principal représentant avec Kagesa Sadaaki de la troisième génération des spécialistes de la Chine de l’armée (Shinatsū 支那通), Imai suit un parcours classique. Diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1918, puis de l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校) en 1928, sa carrière l’amène à alterner les postes en Chine, notamment comme attaché militaire, et au Japon à la Section Chine (Shina-ka 支那課) du Second Bureau de l’État-major central (sanbō honbu 参謀本部), dont il prend la tête en décembre 1937.

Dès les premiers jours de la guerre sino-japonaise, Imai tente de trouver une issue au conflit en négociant à Pékin avec les dirigeants du Conseil des affaires politiques du Hebei-Chahar (Ji-Cha zhengwu weiyuanhui 冀察政務委員會). Très impliqué dans les différents canaux de négociation qui s’ouvrent dans les mois suivant, Imai joue un rôle majeur dans l’opération visant Wang Jingwei, notamment en planifiant avec Gao Zongwu la défection de Wang lors de la conférence du Chongguangtang, du 12 au 20 novembre 1938. Bien que l'”Opération Wang Jingwei” passe sous la direction de Kagesa, Imai continue à participer aux discussions qui aboutissent à la mise en place d’un nouveau gouvernement collaborateur à Nankin.

Parallèlement, Imai dirige l’« Opération Kiri » (Kiri kōsaku 桐工作) qui vise Song Ziliang 宋子良 (1899-1983), le cadet de la belle-famille de Jiang Jieshi. Ouvert peu avant l’inauguration du régime de Wang Jingwei, ce canal suscite un espoir suffisant chez les négociateurs japonais pour que la cérémonie d’inauguration à Nankin, prévue à l’origine le 26 mars 1940, soit reportée. Ils finissent par découvrir qu’en fait de Song Ziliang, leur interlocuteur est un agent de Dai Li. L’opération n’en est pas moins maintenue mais achoppe au sujet de la reconnaissance du Manzhouguo. Alors que les deux parties s’étaient entendues sur une rencontre à Shanghai en août entre Jiang Jieshi et Itagaki Seishirō – Chongqing ayant refusé d’inclure Wang Jingwei comme l’espérait Tokyo, Jiang annule au dernier moment. L’état-major décide de mettre un terme à l’ « Opération Kiri » le 8 octobre 1940.

Au début de la guerre du Pacifique, Imai est transféré aux Philippines. Il s’illustre lors du sinistre épisode de la « marche de la mort de Bataan » en s’opposant aux exactions perpétrées par Tsuji Masanobu. Imai retourne en Chine en août 1942 dans l’état-major de l’Armée expéditionnaire de Chine (Shina hakengun 支那派遣軍), puis comme inspecteur pour le ministère de la Grande Asie orientale (daitōashō 大東亜省) dirigé par son compatriote de Nagano, Aoki Kazuo. Promu général de brigade en 1943 (shōshō 少将), il devient vice-chef d’état-major de l’Armée expéditionnaire de Chine en août 1944.

C’est à ce titre qu’Imai participe à l’ultime épisode des innombrables tractations indirectes entre Chongqing et Tokyo. Le 9 juillet 1945, il rencontre au Henan le général He Zhuguo 何柱國 (1897-1985), vice-commandant en chef de la dixième zone de guerre. Imai se déclare prêt à négocier un accord de paix à condition que Chongqing s’engage à « ne pas contrevenir à la morale » dans son traitement du Manzhouguo et du gouvernement de Nankin. He Zhuguo lui répond que la Chine s’en tient à la déclaration du Caire (rétrocession de la Mandchourie, de Taiwan, etc.) mais ne désire pas la destruction du Japon. Il confie à Imai que Jiang Jieshi espère que le système impérial sera maintenu et que le Japon pourra jouer un rôle important en Asie orientale après la guerre. Faute, une nouvelle fois, de s’entendre sur les termes d’un accord de paix, la discussion en reste là. Le 21 août 1945, Imai fait partie des officiers dépêchés à Zhiiang (Hunan) par Okamura Yasuji pour négocier avec l’armée chinoise les termes de la reddition japonaise.

Imai est l’auteur de mémoires publiés en 1964, dans lesquels il revient sur son rôle pendant la guerre : Shina jihen no kaisō 支那事変の回想 (Souvenirs de l’Incident de Chine). Historien amateur, il a, par ailleurs, constitué un fonds d’archive privé comptant plus de cinq mille documents.

Sources : KSDJ ; Imai Takeo 1987 ; Imai Sadao 2009 ; Wikipedia.

Si le diplomate Ishii Itarō n’est pas physiquement présent en Chine occupée, son rôle à Tokyo au sein du ministère des Affaires étrangères (gaimushō 外務省) en fait un acteur incontournable de la politique chinoise du Japon au début de la guerre sino-japonaise. Diplômé du Tōa dōbun shoin 東亜同文書院 (Institut de la culture commune est-asiatique) en 1908, Ishii intègre cette même année la Mantetsu 満鉄 (Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien) fondée deux ans plus tôt. Il quitte ses fonctions en mai 1911 pour passer, en 1913, le concours de la haute fonction publique (bunkan kōtō shiken 文官高等試験), avant de réussir le « grand » concours du Gaimushō en 1915, devenant le premier ancien élève du Tōa Dōbun shoin à accomplir ce tour de force. Pour son premier poste à l’étranger, Ishii est affecté au consulat de Shanghai en novembre 1915, puis à Canton (janvier 1916) et Tianjin (décembre 1916). Il se fait remarquer dès cette époque pour son attitude peu conciliante envers les agents de l’impérialisme informel japonais. Ainsi, en 1918, lors de sa première expérience comme juge, en vertu du principe extraterritorial de la justice consulaire qui s’applique aux ressortissants japonais de Tianjin, Ishii condamne à six mois de prison un Coréen arrêté pour trafic de drogue, mais doit réduire la sentence à deux mois sous la pression des autorités militaires japonaises. Il part ensuite pour l’Amérique du Nord : San Francisco (juillet 1918), Washington (janvier 1920), au moment de la Conférence navale limitant l’armement des puissances au lendemain de la Grande guerre, puis Mexico (septembre 1922). Il rentre ensuite à Tokyo pour diriger la 3e section du Bureau du commerce (tsūshō-kyoku 通商局).

Après un passage à l’ambassade de Londres (1927-1929), Ishii retrouve la Chine en novembre 1929 comme consul-général (sōryōji 総領事) dans la province mandchoue du Jilin. Il fait ainsi l’expérience directe de l’expansionnisme japonais à la suite de l’Incident de Mukden, le 18 septembre 1931, qui sert de prétexte à l’invasion de la Mandchourie par l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍). Selon le témoignage qu’il en donne dans ses mémoires, Ishii s’efforce de calmer la situation en négociant auprès des autorités chinoises la protection des ressortissants japonais, tout en cherchant à éviter que ces derniers ne fassent appel à l’armée japonaise. Il joue, dans les jours suivants, un rôle d’intermédiaire entre les autorités chinoises et les officiers japonais, mais se trouve impuissant face aux exactions de ces derniers. Il dénonce auprès de l’Armée du Guandong et de ses supérieurs l’attitude du général de brigade Tamon Jirō 多門二郎 (1878-1934) qui obtient des dirigeants locaux qu’ils proclament l’indépendance de leur provinces une arme sur la tempe. Son attitude vaut à Ishii d’être menacé physiquement, ce qui l’amène à rapatrier sa famille. L’armée obtient finalement qu’il soit muté, mais Ishii a le temps de présenter sa version des faits à la Commission Lytton missionnée par la Société des nations pour enquêter sur la situation en Mandchourie, lors du passage de celle-ci au Jilin en mai.

En juillet 1932, Ishii est nommé consul-général de Shanghai, où il s’efforce de reprendre langue avec les autorités chinoises au lendemain du coup de force de l’armée japonaise. Ses mauvaises relations avec les militaires conduisent ces derniers à exiger son rappel à Tokyo, mais Ishii est rapidement rétabli dans ses fonctions à Shanghai. Des tensions se font également jour avec les résidents japonais. Considérant qu’ils sont insuffisamment représentés au sein du conseil municipal de la concession internationale, ceux-ci se lancent dans ce qu’Ishii appellera dans ses mémoires “une répétition de la Guerre du Pacifique” afin d’obtenir un siège supplémentaire, contre l’avis de leur consul-général. Finalement, ils perdent un siège et c’est à Ishii que revient de négocier une nouvelle élection. Alors que le Japon et la Chine connaissent une éphémère détente, Ishii affirme publiquement une position qui annonce la ligne qu’il défendra deux ans plus tard au plus fort du conflit sino-japonais. Lors d’une intervention devant l’Association diplomatique japonaise (Nihon gaikō kyōkai 日本外交協会) à l’été 1936, il dit croire dans la volonté sincère de Jiang Jieshi d’éviter la guerre et critique, à mots à peine couverts, la politique de morcellement menée par l’armée japonaise en Chine du Nord sous la houlette de Doihara Kenji. Si cette opinion est très impopulaire au Japon, elle est partagée par ses plus proches collègues en Chine, notamment l’ambassadeur Ariyoshi Akira 有吉明 (1876-1937) et Horiuchi Tateki 堀內幹城 (1889-1951), autre spécialiste de la Chine dont la carrière suit de près celle d’Ishii. En juillet 1936, Ishii est nommé ministre plénipotentiaire (tokumei zenken kōshi 特命全権公使) au Siam, avant de rentrer au ministère en mai 1937 pour prendre la tête du Bureau des affaires est-asiatiques (Tōa-kyoku 東亜局).

Cette nomination est soutenue au sein du Gaimushō par ceux qui voient en Ishii un véritable expert de la Chine capable de tenir tête aux militaires. Le principal intéressé accepte avec réticence, notant dans son journal personnel qu’il n’a “pas la moindre envie” de prendre ce poste, quoiqu’il soit rassuré par la présence de Satō Naotake 佐藤尚武 (1882-1971) à la tête du ministère. Ce dernier accepte en effet le portefeuille des Affaires étrangères à condition que le Cabinet de Konoe Fumimaro évite à tout prix la guerre avec la Chine et traite le Gouvernement national sur un pied d’égalité. Les violentes réactions suscitées par cette politique désespèrent Ishii qui écrit dans son journal “C’en est fini du Japon [日本は滅びる]”. Après le déclenchement de la guerre, la passivité de Hirota Kōki, qui a succédé à Satō en juin 1937, a le don d’exaspérer Ishii, qui le décrit dans son journal personnel comme “opportuniste [御都合主義]” et “inconsistant [無定見]”. Durant la première année de la guerre sino-japonaise, Ishii devient l’un des principaux tenants d’une solution négociée au conflit, aux côtés de militaires comme Ishiwara Kanji, qu’Ishii rencontre secrètement le 13 juillet 1937. Le 3 août, quelques jours après la prise de Pékin et de Tianjin, Ishii et Ishiwara demandent à Funatsu Tatsuichirō de rétablir le contact avec Gao Zongwu, dans le vain espoir que le gouvernement chinois prenne l’initiative de négociations de paix – l’inverse aurait fait perdre la face à l’armée impériale. En dépit d’instructions données par Ishii aux diplomates sur le terrain, cette « Opération Funatsu » est d’emblée court-circuitée par l’ambassadeur japonais en Chine, Kawagoe Shigeru 川越茂 (1881-1969), lequel, jaloux de ses prérogatives, a déjà envoyé son conseiller Hidaka Shinrokurō pour qu’il rencontre Gao Zongwu le 1er août 1937. Malgré l’échec de la médiation allemande, à l’hiver 1937-1938, et le choix fait par le premier ministre Konoe de soutenir publiquement l’arrêt de toute négociation avec le gouvernement chinois le 16 janvier 1938, la ligne défendue par Ishii reprend le dessus au milieu de l’année 1938, à la suite du remaniement qui voit Ugaki Kazushige devenir ministre des Affaires étrangères.

En juin 1938, alors que les troupes japonaises convergent pour s’emparer de Wuhan où se sont repliés les dirigeants chinois, Ishii rédige à l’attention d’Ugaki un mémorandum intitulé “Kongo no jihen taisaku ni tsuite no kōan 今後ノ事変対策ニ付テノ考案” (Réflexions sur les mesures à prendre dorénavant pour faire face à l’Incident), plus connu sous le nom d'”Ikensho 意見書” (Lettre d’opinion). Dans ce long texte, Ishii se plaint du fait que le tonnerre de louanges des « voix superficielles de l’opinion publique », qui a suivi le discours du 16 janvier mettant fin aux négociations, empêche toute critique de cette politique. La faute en revient, à ses yeux, aux journalistes japonais qui ont rendu impossible une solution pacifique du différend sino-japonais en donnant une image faussée de Jiang Jieshi. Selon Ishii, le Japon a désormais quatre options : (1) tenter de consolider sa position en cas de victoire dans la campagne de Wuhan, ce qui ne peut aboutir qu’à la reprise des combats contre Chongqing ; (2) fusionner le Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府) de Pékin et le Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府) de Nankin en un gouvernement central dirigé par une figure telle que Wu Peifu ou Tang Shaoyi – opération alors en cours dont Ishii souligne le manque de légitimité ; (3) fusionner ces deux mêmes gouvernements avec celui de Chongqing – projet qu’il juge irréalisable ; (4) reprendre les négociations directes avec Chongqing en offrant à Jiang Jieshi une « paix bismarckienne », autrement dit se montrer magnanime pour faire de la Chine une alliée contre le communisme soviétique, sur le modèle du l’accord passé par la Prusse avec l’Autriche en 1866 en prévision du conflit contre la France. C’est cette dernière option, dont la formulation est inspirée par Ishiwara, que recommande Ishii.

Si la nouvelle équipe gouvernementale, Ugaki en tête, semble décidée à rétablir le contact avec Chongqing, elle maintient la clause exigeant la démission de Jiang, malgré les exhortations d’Ishii qui a conscience que ce point constitue un obstacle rédhibitoire à la paix. Du reste, la vaste réforme institutionnelle qui accompagne l’entrée en guerre contre la Chine réduit encore le poids des diplomates dans la conduite des affaires gouvernementales. Le souhait des militaires de limiter l’activité du Gaimushō en Chine aux simples tâches consulaires et le projet centralisateur des technocrates “réformistes” (kakushin kanryō 革新官僚) aboutissent à la création du Taishi-in 対支院 (Bureau pour la Chine), le 1er octobre 1938, rebaptisé Kōa-in 興亜院 (Institut pour le développement de l’Asie) le 16 décembre. Vent debout contre ce projet, Ishii compare la future institution au Secrétariat pour la conquête de l’Est (zhengdong xingsheng 征東行省) établi par la dynastie mongole des Yuan dans la péninsule coréenne, en vue de l’invasion du Japon en 1281. Dès novembre 1937, Ishii notait dans son journal personnel : “Il semble que le fascisme apparaisse ici non pas par le biais du peuple mais par celui des institutions“.

Après la démission d’Ugaki en septembre 1938, Ishii est écarté des affaires chinoises. Il est successivement nommé ambassadeur aux Pays-Bas (novembre 1938) et au Brésil (septembre 1940), avant de reprendre des fonctions administratives au ministère en août 1942. Nommé ambassadeur en Birmanie, il prend ses fonctions en septembre 1944. Il est à Bangkok au moment de la reddition de son pays en août 1945. Il rentre un an plus tard au Japon, où il démissionne à la veille de son inscription sur les listes d’épuration du Commandement suprême des forces alliées en raison de ses fonctions en Birmanie. Ishii parvient toutefois à ne pas être poursuivi en justice et ne participe au Procès de Tokyo (1946-1948) qu’en qualité de témoin convoqué par la défense. C’est en partie pour défendre son honneur qu’il décide de publier en 1950 des mémoires sous le titre Gaikōkan no isshō 外交官の一生 (Une vie de diplomate). Ishii est également l’auteur d’un journal personnel, dont subsistent les passages portant sur les périodes 1936–1939 et 1942–1944 rendus publics dans les années 1980 avant d’être publiés en 1993. Ishii est aujourd’hui célébré comme le symbole d’une diplomatie japonaise prise en otage par les militaires, quand bien même il apparaît davantage comme l’exception que comme la règle d’une administration largement impliquée dans l’expansion japonaise en Asie.

Sources : NKJRJ, p. 38 ; Brooks 2000, p. 1, 58-59, 71, 87-88, 104, 144-146, 176-178, 180, 182, 183, 185-186, 212, 215 ; Etō Shinkichi 2001, p. 49 ; Liu Jie 1995, p. 85 ; Boyle 1972, p. 148-155 ; Hsiao Li-chu 2006, p. 128 ; JACAR B02030513200 ; Wikipedia.

Source : Iwai 1983

Fils cadet d’un marchand de Aichi adopté par une autre famille marchande, Iwai Eiichi part étudier en 1918 à Shanghai au Tōa dōbun shoin 東亜同文書院 (Institut de la culture commune est-asiatique), école fondée en 1900 pour former des spécialistes japonais de la Chine. Sorti diplômé en 1921 de la filière commerce (shōmuka 商務課) de l’établissement shanghaïen, il intègre la même année le ministère des Affaires étrangères (gaimushō 外務省) comme simple interprète. Iwai entame alors une carrière au cours de laquelle il séjourne en tout dix-neuf années en Chine, contre cinq années au Japon. D’abord posté à Chongqing avant d’être muté à Shantou 汕頭 (Guangdong) en 1922, Iwai rentre en 1924 dans l’archipel, où il se marrie et travaille pour la 1ère section du Bureau de l’information (jōhōbu dai ichi ka 情報部第一課) de son ministère. En 1926, il est envoyé au consulat de Changsha (Hunan) comme chancelier (shokisei 書記生) ; poste subalterne réservé au personnel consulaire, distinct du prestigieux corps diplomatique, dont la plupart des titulaires en Chine étaient, comme Iwai, issus du Tōa dōbun sho-in. Alors que l’Expédition du Nord s’accompagne d’une montée du patriotisme chinois, les résidents japonais sont pris à partie par la population locale, notamment à Wuhan où éclate, le 3 avril 1927, l’Incident de Hankou (Hankō jiken 漢口事件), mais aussi à Changsha. Entre avril et août, Iwai et sa famille se réfugient dans la concession japonaise de Hankou.

Iwai se fait remarquer à cette époque en publiant deux essais dans la revue Shina 支那 (Chine) éditée par l’Association pour la culture commune est-asiatique (Tōa dōbun-kai 東亜同文会), maison mère du Tōa dōbun shoin. Le premier, “Shina kokusai hogoron 支那国際共同保護論” (La protection commune internationale de la Chine), paru en juin 1928, propose de retourner le projet impérialiste de “gestion internationale de la Chine”, au profit d’une approche “amicale”. Selon Iwai, il en va de la responsabilité du Japon et des autres puissances de venir en aide à la population chinoise en organisant un sommet mondial guidé par des valeurs “humanistes” qui enverrait en Chine un contingent international chargé de rétablir l’ordre. Le second article, “Manshū mondai kaiketsu no kyakkan teki kōsatsu 満洲問題解決の客観的考察” (Réflexions objectives sur la résolution du problème mandchou), paraît en octobre 1929, à la veille du 3e sommet de l’Institute of Pacific Relations (Taiheiyō mondai chōsa-kai 太平洋問題調査会) organisé à Kyoto, qui voit la question de la Mandchourie être âprement débattue entre Matsuoka Yōsuke 松岡洋右 (1880-1946) et le chef de la délégation chinoise Xu Shuxi 徐淑希 (1892-1982). Iwai y défend une solution “diplomatique” censée éviter la montée des tensions provoquées par la politique de centralisation du Gouvernement national à la suite de l’assassinat de Zhang Zuolin, d’une part, et l’expansionnisme de l’Armée du Guandong stationnée en Mandchourie, d’autre part. Comme d’autres dirigeants japonais à l’époque, il propose que son pays acquière la Mandchourie, dont il considère qu’elle revient de droit au Japon qui a consenti un grand sacrifice pour l’emporter contre la Russie en 1905. Revenant sur cette position dans ses mémoires publiés en 1983, Iwai affirme même que, sans ce sacrifice, les province du Nord-Est n’auraient jamais fait partie du territoire national chinois tel qu’il est délimité en 1945. Cette voie diplomatique défendue en 1929 est balayée par l'”Incident de Mukden“, le 18 septembre 1931.

Après deux ans passés à Tokyo à la Section des télécommunications (denshin-ka 電信課) – période durant laquelle il prend la tête de la grève contre la baisse des salaires du Gaimushō, Iwai repart dans une Chine en plein tumulte. Il arrive à Shanghai en février 1932, quelques jours après le déclenchement des combats qui voient les troupes chinoises opposer une résistance farouche au coup de force nippon. Isolée sur la scène internationale et chinoise, la diplomatie japonaise ne dispose pas de moyens suffisants pour collecter des renseignements sur les pays ennemis. Avec le soutien de l’ambassadeur Shigemitsu Mamoru, Iwai soumet alors à la direction du ministère un plan visant à doter la légation de Shanghai d’un Bureau de l’information (jōhōbu 情報部). Sous la houlette de son chef, Suma Yakichirō 須磨弥吉郎 (1892-1970), Iwai obtient des renseignements révélant l’existence d’une organisation secrète formée en soutien à Jiang Jieshi par des officiers issus de l’Académie militaire de Huangpu, plus tard connue sous le nom de “Chemises bleues” (lanyishe 藍衣社). Il publiera en avril 1942 une traduction chinoise de ce rapport – Lanyishe neimu 藍衣社內幕 (Les coulisses de la Société des chemises bleues), qui rencontrera un grand succès en zone occupée. Autre fait d’arme : lors de l’incident diplomatique provoqué par la publication, le 4 mai 1935, d’un article tournant en dérision l’empereur Shōwa dans la revue shanghaienne Xinsheng 新生 (Vie nouvelle), Iwai est en mesure de prouver que l’article en question a été autorisé par le Comité de censure du Bureau central du GMD et décide de communiquer cette information à l’attaché militaire adjoint de la légation japonaise, Kagesa Sadaaki. Les deux hommes ont fait connaissance en août 1934 à l’instigation de Kawai Tatsuo 河相達夫 (1889-1965), qui remplace Suga en novembre 1933 à la tête du Bureau de l’Information. Convaincu qu’il tient là une occasion en or d’obliger le GMD à cesser sa propagande anti-japonaise, Iwai cherche à contourner ses propres supérieurs qui s’inquiètent que cet incident ne menace la détente sino-japonaise. Par l’intermédiaire de Kagesa, il obtient que l’armée fasse pression sur le régime nationaliste, conduisant le secrétaire général du Bureau central du GMD Ye Chucang 葉楚傖 à présenter des excuses écrites.

Outre ces activités de renseignement, Kawai Tatsuo, puis son remplaçant Ashino Hiroshi 蘆野弘 (1893-1985), confient également à Iwai le rôle de porte-parole de la légation auprès des journalistes chinois. Il devient ainsi l’un des principaux acteurs de la propagande internationale japonaise, relayée à Shanghai à la fois par des fonctionnaires comme Iwai et des journalistes tels que Matsumoto Shigeharu, dont il devient proche. C’est à cette époque qu’Iwai fait connaissance de Yuan Shu, un jeune journaliste qu’il sait être un agent du GMD. Bien qu’il lui connaisse des liens avec les Communistes, il ignore toutefois que Yuan est, en fait, un agent double du PCC recruté par Pan Hannian 潘漢年 (1906-1977). Lorsque Yuan Shu est arrêté en juin 1935 par les autorités de Shanghai en raison de ses liens avec les services secrets soviétiques, Iwai se démène pour le faire libérer. Il a l’idée d’utiliser un incident récent pour exercer un chantage sur le maire de Shanghai Wu Tiecheng 吳鐵城 (1888-1953), par l’intermédiaire d’un ancien soutien de Sun Yat-sen, Yamada Junsaburō 山田純三郎 (1876-1960). Le 3 mai 1935, les rédacteurs en chefs de deux journaux pro-japonais, Hu Enbo 胡恩薄 (?-1935) du Guoquanbao 國權報 et Bai Yuhuan 白逾桓 (1876-1935) du Zhenbao 振報, ont été assassinés dans la concession japonaise de Tianjin. Ce double attentat, attribué par les Japonais aux “chemises bleues” de Jiang Jieshi, sert de prétexte à l’Incident du Hebei (Hebei shijian 河北事件) qui aboutit, le 10 juin, à l’Accord He-Umezu (He-Mei xieding 何梅協定). En laissant entendre à Wu Tiecheng que l’arrestation de Yuan Shu sera perçu comme une nouvelle attaque contre un journaliste proche du Japon, Iwai obtient la libération immédiate de Yuan. Un lien de confiance indéfectible se noue alors entre les deux hommes, qui se prolongera sous l’occupation. Un dernier épisode, avant-guerre, marque durablement Iwai, au point qu’il lui consacrera une partie spécifique de ses mémoires. En août 1936, il se rend à Chengdu avec des agents de la police consulaire et des journalistes japonais pour rouvrir de force le consulat fermé suite à l’invasion de la Mandchourie. L'”Incident de Chengdu” (Rong’an 蓉案) donne lieu à des émeutes qui font deux morts parmi les journalistes japonais et plusieurs blessés, obligeant Iwai à renoncer à sa mission.

En août 1937, au lendemain de l’invasion japonaise, Iwai effectue à la demande de Kawai Tatsuo une mission d’observation de deux mois à Tianjin et Pékin, où il s’entretient notamment avec Doihara Kenji et Yazaki Kanjū. Il rencontre également Chen Zhongfu, dont il avait fait la connaissance avant-guerre grâce à Yamada Junzaburō. Chen lui présente l’ancien premier ministre Tang Shaoyi 唐紹儀 (1862-1938), alors courtisé par l’occupant pour prendre la tête d’un gouvernement collaborateur. En novembre 1937, Kagesa propose à Iwai de le recommander pour prendre la tête des affaires étrangères au sein du Conseil autonome anticommuniste du Hebei oriental (Jidong fangong zizhi weiyuanhui 冀東反共自治委員會) de Yin Rugeng, alors détenu par les troupes d’occupation après la mutinerie de Tongzhou. Iwai préfère retourner à Shanghai en décembre, cette fois comme vice-consul (fuku ryōji 副領事), poste prestigieux pour un homme issu comme lui du “petit concours” des Affaires étrangères qu’il a obtenu grâce à l’appui de Kawai. Il accompagne alors ce dernier pour une tournée dans la région du bas-Yangzi, où les forces d’occupation préparent la mise en place du Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府). À cette occasion, Iwai joue un rôle dans le choix du futur dirigeant du régime collaborateur. Deux officiers japonais, Chō Isamu 長勇 (1895-1945) et Usuda Kanzō 臼田寛三 (1891-1956), cherchent alors à faire nommer Wang Zihui 王子惠 (1892-?) président du Yuan exécutif (xingzheng yuanzhang 行政院長) du nouveau régime. Iwai reconnaît en lui l’homme qu’il connaissait sous le nom de Wang Huizhi 王晦知, du temps où il collectait des renseignements dans le Shanghai d’avant-guerre. Cette révélation vaut à Wang d’être remplacé par Liang Hongzhi et rétrogradé au rang de ministre de l’Industrie (shiye buzhang 事業部長) ; poste qu’il devait quitter dès août 1939 pour devenir l’un des émissaires de Kong Xiangxi dans les tentatives de négociations secrètes entre Chongqing et Tokyo.

Kawai Tatsuo ayant pris la tête des services de renseignement du Gaimushō en 1938, il confie à Iwai la Chine centrale, région clé en raison de la concentration d’agents chinois dans les concessions étrangères de Shanghai. Au-delà de la collecte d’informations, cette unité poursuit un objectif diplomatique : parvenir à une désescalade du conflit après l’échec de la médiation allemande et le discours anti-GMD du premier ministre Konoe Fumimaro le 16 janvier 1938. Depuis le début de la guerre, Kawai s’emploie en effet à défendre la désescalade aux côtés de son collègue Ishii Itarō, allant jusqu’à organiser à son domicile une rencontre secrète entre ce dernier et Ishiwara Kanji le 13 juillet 1937. L’action d’Iwai en Chine est également activement soutenue à Tokyo par la jeune garde du Gaimushō menée notamment par Takase Jirō 高瀬侍郎 (1906-1992). Simple employé de la 3e section du Bureau de l’information, Takase tire son influence de ses liens familiaux avec son beau-père Suzuki Kisaburō 鈴木喜三郎 (1867–1940), ancien ministre de la Justice et chef du Rikken seiyū-kai 立憲政友会. Takase est favorable à une politique expansionniste alignée sur l’Allemagne à la suite de Shiratori Toshio 白鳥敏夫 (1887-1949). Iwai obtient ainsi des fonds importants (et en partie secrets) du Gaimushō, puis, à partir de la seconde moitié de l’année 1940, du Bureau de liaison en Chine centrale du Kōa-in (Kōa-in Kachū renraku-bu 興亜院華中連絡部), pour collecter et analyser les informations sur la Chine libre dans le cadre d’une Unité d’enquête spéciale (tokubetsu chōsa-han 特別調査班) créée en avril 1938.

Communément appelée “Résidence d’Iwai” (Iwai kōkan 岩井公館), l’organisme installe ses bureaux dans un hôtel plutôt qu’au Consulat-général. Il relève en effet directement du Bureau de l’information à Tokyo, au grand dam des supérieurs directs d’Iwai en Chine. Outre des collègues comme Kimura Kakuzen 木村覚善, rencontré au moment de l’Incident de Hankou en avril 1927, Iwai s’entoure d’experts japonais de la Chine, tels que Kariya Kyūtarō 刈屋久太郎 (1910-?), auteur de travaux sur le secteur agricole en Chine central pour le compte du Bureau de recherche de la Mantetsu (Mantetsu chōsabu 満鉄調査部), ou encore Kajiwara Katsusaburō 梶原勝三郎, ancien journaliste au Shanhai mainichi shinbun 上海毎日新聞, passé par le Département de recherche économique sur l’Asie orientale (Tōa keizai chōsakyoku 東亜経済調査局), branche tokyoïte du Bureau de recherche de la Mantetsu dirigée par le célèbre Ōkawa Shūmei 大川周明 (1886-1957). Ils sont rejoints par une dizaine de jeunes fraîchement diplômés des meilleurs établissements de l’archipel, notamment du département de chinois de l’Université coloniale (takushoku daigaku 拓殖大学), ainsi que par plusieurs étudiants du Tōa dōbun shoin, tels que Koizumi Kiyukazu 小泉清一. Beaucoup de ces derniers accompagnent alors les troupes d’occupation comme interprètes (jūgun tsūyaku 従軍通訳), alors même que l’opposition au militarisme nippon en Chine est répandu parmi les élèves du “Shoin”. Resté proche de son alma mater, Iwai y trouve un large vivier de Japonais sinisants dans lequel il puise chaque année pour étoffer les rangs de son Unité d’enquête spéciale. Il aide ainsi son ancienne école à être élevée au statut d’université sur ordonnance impériale le 26 décembre 1939. Un de ses plus proches camarades de promotion, Chihara Kusuzō 千原楠蔵, recruté par le Asahi shinbun à sa sortie du Shoin, vient également prêter main forte. Cette bonne connaissance du chinois est indispensable pour la collecte d’informations qui passe notamment par la traduction de nombreux articles publiés dans la presse en Chine libre (Chongqing, Chengdu, Kunming, Gansu ou encore Xinjiang), ainsi que de documents confidentiels sur la situation politique, militaire et économique du camp adverse. Les renseignements tirés de ce travail de traduction sont ensuite transmis à l’ambassade et au consulat-général, ainsi qu’aux autorités locales de l’Armée de terre et de la Marine. Ils circulent sous le nom de code “101 jōhō 一〇一情報”, dont la prononciation est proche du nom d’Iwai ; raison pour laquelle, certaines sources parlent de la “101 Intelligence Organization”. La production de l’Unité est également diffusée sous forme de recueils imprimés : le Tsūjin 通訊 (Bulletin d’informations) publié tous les dix jours et le Tokuchōhan geppō 特調班月報 (Mensuel de l’Unité d’enquête spéciale). L’Unité publie, par ailleurs, un grand nombre de rapports fouillés sur toutes sortes de sujets (le système éducatif en zone libre, les syndicats ouvriers, le système du fermage au Sichuan, la situation locale au Shaanxi, etc.). En tout, près de 70 personnes, sans compter les dactylographes et le petit personnel, travaillent pour l’Unité d’enquête spéciale durant ses sept années d’existence.

Iwai et Yuan Shu (Source : Iwai 1983)

Côté chinois, le principal bras droit d’Iwai est Yuan Shu, qui a pris l’initiative de le contacter peu avant et dont la loyauté redouble après qu’Iwai l’a – une nouvelle fois – sauvé des griffes de la police secrète de Li Shiqun à l’été 1939. Yuan lui présente Pan Hannian, qui se fait alors appeler “Hu 胡” – un pseudonyme dont Iwai se demande dans ses mémoires s’il fait volontairement écho à celui de “Hu Fu 胡服” utilisé par Liu Shaoqi durant une mission en zone nationaliste dans le Nord de la Chine en 1934. Iwai accepte de financer le périodique Ershi shiji 二十世紀 (Vingtième siècle) lancé par Pan à Hong Kong, en échange de renseignements. Recueillis et sélectionnés par les agents communistes de la colonie britannique, ces renseignements portent sur la situation politique en Chine libre ou encore les relations entre le gouvernement chinois et diverses puissances occidentales. Certaines de ces informations se révèlent précieuses, comme lorsque Pan apprend à Iwai que la personne se faisant passer pour Song Ziliang 宋子良 (1899-1983), beau-frère de Jiang Jieshi, dans l’”Opération Kiri” (Kiri kōsaku 桐工作) menée par Imai Takeo, est en fait un agent de Dai Li. Iwai s’empresse de faire remonter l’information à Abe Nobuyuki, qui la transmet à Itagaki Seishirō. Le soutien d’Iwai permet à Pan Hannian de développer un vaste réseau d’espionnage à Hong Kong et Shanghai pour le compte de Yan’an. Lorsque Hong Kong tombe aux mains des Japonais en décembre 1941, Iwai aide Pan à exfiltrer ses agents vers la zone libre et Shanghai.

À l’été 1938, Iwai se rend à Hong Kong où il retrouve son vieil ami le journaliste Chen Binhe 陳彬龢 (1897-1970), dont il espère mettre à profit les liens dans les milieux politiques opposés à Jiang Jieshi. Jusqu’à sa venue à Shanghai pour diriger le Shenbao 申報 en 1942, Chen devient ainsi l’un des principaux relais d’Iwai dans la collecte d’informations sur le régime de Chongqing. Iwai fait, par la suite, des allers-retours réguliers entre Shanghai et Hong Kong où il cumule des fonctions au consulat-général. Il se trouve ainsi dans la colonie britannique au moment de la défection de Wang Jingwei en décembre 1938. En avril 1939, lorsque ce dernier est exfiltré de Hanoï à la suite de l’assassinat de Zeng Zhongming, il est prévu qu’il fasse escale à Hong Kong, où Iwai est chargé d’organiser sa sécurité. Pour ce faire, il se rend à Tokyo pour recruter Kodama Yoshio 児玉誉士夫 (1911-1984), mafieux notoire frayant avec les milieux ultranationalistes, qui lui a été recommandé par Kawai Tatsuo. Wang fait finalement route directement vers Shanghai. Kodama l’y rejoint avec des armes et une dizaine d’hommes fournis par le lieutenant-colonel Usui Shigeki 臼井茂樹 (1898-1941), nouveau chef de la “section des stratagèmes” (bōryaku-ka 謀略課) fondée en novembre 1937 par Kagesa Sadaaki. À défaut de servir pour le groupe de Wang Jingwei, qui préfère ne pas dépendre des Japonais pour assurer sa sécurité, ces armes sont remises à l’Unité d’enquête spéciale d’Iwai, dont le service de sécurité est dès lors dirigé par le bras droit de Kodama, Iwada Yukio 岩田幸雄.

Alors que débutent les préparatifs en vue de la formation du Gouvernement national réorganisé, Iwai met sur pied un « Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale » (xingya jianguo yundong 興亞建國運動) à la demande de son ami Kagesa Sadaaki. Celui-ci cherche alors à faciliter la transition vers le nouveau gouvernement central en créant un front uni des collaborateurs et, plus largement, à gagner le soutien de la population. Son objectif est de former un véritable parti politique rassemblant l’ensemble des forces favorables à la paix (comprendre : pro-japonaises) au-delà du seul GMD “orthodoxe” de Wang Jingwei fondé en août 1939. Grâce à l’entregent de Yuan Shu et au soutien financier du Bureau de l’information – Kawai Tatsuo est soucieux de garder le contrôle face aux militaires, Iwai lance une vaste opération de séduction dans les milieux de la presse et de la culture. La direction du Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale est confiée à Yuan Shu, placé à la tête d’un comité directeur pour le moins bigarré. Il compte plusieurs agents secrets du PCC : Weng Yongqing 翁永清 (pseudonyme de Weng Congliu 翁從六), qui prend la direction de l’un des journaux du mouvement, le Xin Zhongguo bao 新中國報 (Journal de la Chine nouvelle) ; Liu Muqing 劉慕清 (également connu sous son nom de plume Lu Feng 魯風), qui devient le rédacteur en chef du même quotidien, et Chen Fumu. Ils y côtoient Tang Xun 唐巽, membre de la Clique C.C, Wang Haoran 汪浩然 de la Bande rouge (hongbang 洪幫), le professeur d’université Wang Fuquan 汪馥泉, et  Zhou Bogan 周伯甘, ancien commandant dans l’Armée du Yunnan. On y trouve, enfin, des personnalités plus connues telles que le romancier à succès Zhang Ziping 張資平 (1893-1959) et Peng Ximing 彭羲明, ancien vice-ministre de la Justice (sifabu cizhang 司法部次長) sous le Gouvernement Beiyang. L’organisation se présente comme une initiative chinoise, dans laquelle Iwai et ses hommes ne participent qu’en tant que “conseillers” (guwen 顧問).

Afin de gérer l’afflux de membres issus des milieux étudiants, ouvriers ou encore de la pègre (Bande rouge et Bande verte), le mouvement se structure en plusieurs branches : Comité des jeunes (qingnian weiyuanhui 青年委員會), Comité des travailleurs (laodong weiyuanhui 勞動委員會), Comité de la culture (wenhua weiyuanhui 文化委員會), etc. En novembre 1939, Yuan Shu évalue ses effectifs à plus de 400 000 personnes, soit bien plus que la principale organisation de masse de Chine centrale, la Daminhui 大民會 (Association du grand peuple) mise en place par le Gouvernement réformé, qui compte jusqu’à 150 000 membres, sans parler du GMD “orthodoxe” de Wang Jingwei qui peine  à recruter des délégués lors de sa fondation trois mois plus tôt. Entre le 26 novembre et le 12 décembre 1939, Iwai se rend à Tokyo avec huit dirigeants du Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale, afin de recevoir la bénédiction du gouvernement japonais. À son retour à Shanghai, il est cueilli à froid par Kagesa, qui lui demande d’annuler le lancement du Mouvement au motif qu’il fait de la concurrence au « Mouvement pour la paix et la reconstruction nationale » (heping jianguo yundong 和平建國運動) de Wang Jingwei. Craignant qu’il ne fasse de l’ombre à son propre Parti nationaliste, ce dernier exige que l’organisation d’Iwai se limite à des activités culturelles. Zhou Fohai, en particulier, fait courir le bruit qu’Iwai est un ancien membre du Parti communiste japonais. Malgré cette pression croissante, Iwai fait la sourde oreille. Dans ses mémoires, il affirme que son obstination excède à tel point les autorités militaire de Chine centrale que le colonel Yahagi Nakao 谷萩那雄 (1895-1949) aurait demandé à Kagesa l’autorisation de pouvoir l’éliminer.

Face à la menace de voir son organisation purement et simplement dissoute, Iwai se résout en février 1940 à recentrer son activité sur le domaine intellectuel. Il est prévu qu’elle se mette au service du futur gouvernement de Wang Jingwei dans la guerre culturelle que livre ce dernier contre Chongqing et Yan’an. Le Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale diffuse ses idées grâce à plusieurs périodiques en chinois. Il dispose déjà à l’époque d’un mensuel, le Xingjian 興建 (Essor et construction), auquel vient alors s’ajouter le quotidien Xin Zhongguo bao 新中國報 (Journal de la Chine nouvelle). Iwai équipe son journal de rotatives achetées au Asahi shinbun, grâce notamment à ses liens avec le vice-rédacteur en chef du quotidien, Ōnishi Itsuki 大西斎 (1887-1947), lui aussi un ancien du Tōa dōbun shoin. Échaudé par la volte face de Kagesa, Iwai cherche à s’assurer que l’armée ne lui mettra plus de bâtons dans les roues en se rapprochant de l’influent commandant Tsuji Masanobu, alors très impliqué dans la mobilisation des esprits en zone occupée. Trop occupé à Shanghai pour se rendre au quartier-général de l’Armée expéditionnaire de Chine (Shina hakengun 支那派遣軍) à Nankin, Iwai se fait représenter par Kodama Yoshio. Tsuji lui apporte un soutien enthousiaste et veut même confier à Iwai le poste de conseiller suprême (saikō komon 最高顧問) de la Daminhui 大民會 (Association du grand peuple), à la place du général de brigade Matsumuro Takayoshi 松室孝良 (1886-1969) qu’il juge inefficace. Iwai accepte pour des raisons financières notamment, comme il le reconnaît dans ses mémoires. Toutefois, Matsumuro refuse de céder sa place, obligeant Iwai à cohabiter avec lui à partir de sa prise de fonction en avril 1940 jusqu’à la dissolution de la Daminhui à l’hiver suivant.

Il s’efforce, par ailleurs, d’améliorer ses relations avec le principal adversaire de son mouvement au sein du nouveau gouvernement : Zhou Fohai. Ce dernier a, lui aussi, conscience qu’il devra composer avec Iwai. Le 3 juin 1940, à l’issue de ce qui semble être leur première rencontre, Zhou écrit dans son journal : “Mieux vaut s’en faire un ami, qu’un ennemi“. De son côté, Iwai envisage, sur les conseils de Yuan Shu, d’offrir à Zhou un poste de directeur général honoraire des publications du Mouvement. Cette bonne entente se traduit par une aide financière que Zhou, ministre des Finances, accorde au Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale. Le 18 juillet 1940, après avoir promis un versement mensuel de 30 000 yuans à l’organisation d’Iwai, Zhou note : “Au moins, ce groupe ne risque pas, dorénavant, de s’opposer à nous“. Si cette méthode consistant à acheter la loyauté des forces extérieures au groupe de Wang Jingwei a fait ses preuves, elle ne semble pas porter ses fruits dans le cas d’Iwai et de Yuan Shu. À la suite d’une visite de ce dernier, le 11 août 1940, Zhou laisse éclater sa colère : “ils prétendent vouloir être dirigés par le gouvernement, mais se tiennent en marge du GMD. Ils affirment, qui plus est, vouloir se placer sous mon patronage. Je crains toutefois qu’ils ne cherchent qu’à profiter de moi pour un temps, car cette organisation est utilisée par les Japonais pour entraver le GMD“. Zhou n’en continue pas moins à vouloir les “enrôler [wangluo 網羅]”, comme il l’écrit après une rencontre avec Iwai le 22 septembre 1940. Il arrive à ses fins le 17 décembre 1940, lorsque le Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale annonce sa dissolution.

Cette dissolution se fait dans le cadre de la création de la branche chinoise du Mouvement de la Ligue d’Asie orientale (Dongya lianmeng yundong 東亞聯盟運動) lancé par Ishiwara Kanji. En effet, pour mieux promouvoir le mouvement d’Ishiwara en Chine, son disciple Tsuji Masanobu propose comme contrepartie à Wang Jingwei d’obtenir des organisations de masse mises en place précédemment à Pékin (Xinminhui 新民會), Nankin (Daminhui), Wuhan (Parti républicain de He Peirong) et Shanghai (le Mouvement d’Iwai) qu’elles fusionnent dans l’Association générale chinoise de la Ligue d’Asie orientale (Dongya lianmeng Zhongguo zonghui 東亞聯盟中國總會) dirigée par Wang Jingwei. Alors que la Xinminhui parvient à contourner l’ordre de dissolution grâce à l’intervention du ministre de l’Armée Tōjō Hideki, l’organisation d’Iwai n’y échappe pas. Depuis le milieu de l’année 1940, en effet, elle dépend financièrement non plus du Gaimushō mais du Kōa-in, lui-même largement contrôlé par l’Armée de terre. Impuissant face aux militaires, Iwai est partagé entre la colère et la honte de ne pas avoir pu empêcher que ne partent en fumée les efforts des collaborateurs chinois qu’il a recrutés. Il en conçoit sans doute également un certain ressentiment contre le groupe de Wang Jingwei qu’il n’épargne pas de ses critiques par la suite. Si le Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale disparaît à la fin de l’année 1940, l’influence d’Iwai et des cadres de son organisation survit à cette disparition, à commencer par celle de son bras droit Yuan Shu, qui intègre les instances centrales du gouvernement de Nankin et, quelques mois plus tard, l’administration de la Campagne de pacification rurale (qingxiang gongzuo 清鄉工作) dirigée depuis Suzhou par Li Shiqun.

De fait, Iwai demeure une épine dans le pied du Gouvernement national réorganisé, grâce notamment au pouvoir de nuisance que lui confère son groupe de presse. Outre les titres déjà mentionnés, Iwai et Yuan Shu publient la revue Xianzheng yuekan 憲政月刊 (Mensuel du gouvernement constitutionnel), rebaptisée Zhengzhi yuekan 政治月刊 (Mensuel politique) en janvier 1941, lorsque le projet constitutionnel de Nankin est abandonné. Cette trahison de la promesse faite en mars 1940 alimente les articles critiques de collaborateurs proches d’Iwai, parmi lesquels plusieurs agents doubles communistes comme Yuan Shu et Chen Fumu. Un long article d’Iwai en particulier déclenche un tollé. Publié en mars 1942 dans Zhengzhi yuekan, il est intitulé “Guomin zhengfu de qianghua yu xin guomin yundong 國民政府的強化與新國民運動” (Le renforcement du gouvernement national et le Mouvement des nouveaux citoyens). Iwai n’y ménage pas ses coups contre le régime de Nankin et son GMD “orthodoxe”, allant même jusqu’à attaquer Wang Jingwei en personne : “Au moment du retour à la capitale, le Gouvernement national a pris l’apparence d’une coopération comprenant les différents partis et mouvances ainsi que les personnalités hors-partis. Par la suite, toutefois, ce gouvernement a malheureusement mis en œuvre une politique consistant à exercer un contrôle centralisé. […] Le centralisme du GMD s’est progressivement affirmé, connaissant un tournant avec la mise en place du Mouvement de la Ligue d’Asie orientale, et aboutissant, de fait, à une quasi dictature du GMD. […] Après la dissolution des différents partis et mouvances, le GMD a fait exactement la même chose que l’ancien GMD. Des luttes intestines l’ont divisé, des partis dans le Parti se sont formés et les malversations se sont multipliées […] La position du président Wang se détache progressivement et fait l’objet d’un culte croissant“. Iwai s’en prend plus largement à l’”opportunisme égoïste” des fonctionnaires chinois, ainsi qu’à la “coutume consistant à s’élever dans la fonction publique pour s’enrichir” qui constituent, selon lui, un obstacle empêchant le gouvernement de Wang Jingwei d’obtenir un plein soutien du Japon et de “gagner le cœur du peuple“. Reprenant la thèse essentialiste sur le manque de cohésion des Chinois, Iwai affirme que l’”égoïsme est l’un des grands défauts de la nation chinoise“. Ces propos provoquent la fureur des dirigeants de Nankin, Zhou Fohai le premier, qui exigent et obtiennent des excuses de Kagesa et de l’ambassadeur Hidaka Shinrokurō, lequel convoque Iwai pour l’admonester. Loin de s’amender, Iwai se vante de cette remontrance dans un rapport envoyé à Tokyo en août, auquel il joint la version japonaise de l’article, dans le souci, écrit-il, d’améliorer une situation qu’il juge catastrophique.

Kagesa et Iwai (Source : Iwai 1983)

Cet interventionnisme d’Iwai dans le champ politique de la zone occupée passe également par le Tairiku shinpō 大陸新報 (le Continental), principal quotidien en langue japonaise de la zone occupée qui publie régulièrement des articles critiques à l’égard de Nankin. Iwai connaît bien son directeur, Fuke Toshiichi 福家俊一 (1912-1987), qu’il a aidé au moment de la création du journal en janvier 1939, aux côtés des représentants de l’Armée de terre et de la Marine, Kagesa et le capitaine de frégate Higo 肥後. À la suite de l’occupation par les troupes japonaises des concessions étrangères à partir du 8 décembre 1941, Iwai s’active pour relancer deux des principaux titres de la presse shanghaienne : le Shenbao et le Xinwenbao 新聞報. Pour diriger la rédaction du premier, Iwai fait venir de Hong Kong son ami Chen Binhe, un journaliste chevronné ayant déjà effectué un passage au Shenbao en 1931. Avec l’appui de Kagesa, il obtient pour cela le feu vert du Bureau de la presse (hōdōbu 報道部) des autorités militaires de Shanghai. Faute de disposer de fonds suffisants, il finance le lancement du journal grâce à l’apport de Satomi Hajime 里見甫 (1893-1965), diplômé deux ans avant lui du Tōa dōbun shoin, dont il fait la connaissance grâce à Inoue Isoji 井上磯次, un “aventurier du continent” (tairiku rōnin 大陸浪人) proche des milieux d’extrême-droite. Iwai jure dans ses mémoires qu’il n’avait aucune idée que Satomi, protégé par Harada Kumakichi, était l’un des principaux maîtres d’oeuvre du trafic d’opium utilisé par l’armée japonaise pour financer l’occupation de la Chine. Satomi remet également un chèque d’un million de yen à Yuan Shu pour soutenir ses activités. Dans le même temps, Iwai aide le nouveau rédacteur en chef du Xinwenbao, l’ancien vice-ministre des finances Li Sihao 李思浩 (1882-1968), à relancer le quotidien après la fuite de ses journalistes en dépêchant Liu Muqing.

L’influence d’Iwai passe également par l’éducation, domaine dans lequel il s’était impliqué dès 1940 en finançant un séjour d’étude au Japon pour des jeunes sélectionnés parmi les enfants et frères des membres du Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale. À l’issue d’une année d’apprentissage du japonais, les meilleurs d’entre eux passent les concours d’entrée des universités japonaises. Cette ambition, chez Iwai, de préparer l’amitié sino-japonaise d’après-guerre en formant la jeunesse chinoise trouve un cadre institutionnel avec la création, en juin 1941, de l’Institut d’auto-renforcement (ziqiang xueyuan 自強學院), sorte de Tōa dōbun shoin destiné aux étudiants chinois, qui installe ses locaux dans l’arrondissement de Zhabei 閘北區, au nord de Shanghai. Dirigé par Yuan Shu, l’établissement est présenté par Iwai, dans son discours d’inauguration, comme devant perpétuer l’esprit du Mouvement pour l’essor de l’Asie et la reconstruction nationale en jouant à cet égard un rôle comparable à celui tenu par l’Académie militaire de Huangpu pour la révolution nationale chinoise. Dans les faits, il sert surtout à produire des supplétifs chinois de l’impérialisme nippon, quoiqu’un certain nombre d’entre eux aient rallié le PCC à la fin de la guerre.

Les étudiants vivent en permanence au sein de l’Institut qui prend en charge l’ensemble de leurs frais. Outre des cours de japonais, de “technique militaire” (junshi shuke 軍事術科) et des séances de gymnastique, le cursus comprend des enseignements sur l’Asie du Sud-Est et ses communautés de Chinois d’outre-mer. Dans le contexte de tensions croissantes avec les États-Unis qui débouche sur l’entrée en guerre en décembre 1941, l’Institut d’auto-renforcement prévoit en effet de former des agents chinois capables d’accompagner l'”avancée vers le Sud”, notamment grâce à leur maîtrises des langues régionales de Chine méridionale (cantonais et minnan). Des intervenants extérieurs donnent régulièrement des conférences, tels que le libraire Uchiyama Kanzō 内山完造 (1885-1959), figure centrale des cercles intellectuels sino-japonais d’avant-guerre à Shanghai. Enfin, sur le modèle du Tōa dōbun shoin, des voyages d’études sont organisés dans le Jiangsu, notamment à partir de 1944, lorsque Yuan Shu est nommé à la tête du Bureau de l’éducation (jiaoyuting 教育廳) du gouvernement provincial.

Les 31 étudiants de la première promotion font leur rentrée en août 1941 et sortent diplômés en juin 1942. Un certain nombre d’entre eux sont immédiatement embauchés par l’Unité d’enquête spéciale d’Iwai ou intègrent la rédaction du Xin Zhongguo bao. C’est, par exemple, le cas de Ding Wenzhi 丁文治 (1921-1997), qui devient après-guerre un journaliste en vue à Taiwan, notamment au sein du Lianhebao 聯合報 (United Daily News). D’autres rejoignent les équipes de travail (gongzuotuan 工作團) de la Campagne de pacification rurale dont Yuan Shu est l’un des principaux cadres. Enfin, plusieurs étudiants originaires de Canton, de Shantou ou de Xiamen participent à l’expansion de l’empire japonais dans le Sud, en diffusant la propagande panasiatiste auprès de la diaspora chinoise, notamment en Indochine comme dans le cas de Yang Zhaokun 楊兆錕, qui dirige après-guerre une agence de voyage hongkongaise à destination des touristes japonais. Une seconde promotion, comptant également 31 étudiants, sort diplômée en juin 1944 à l’issue d’un cursus de deux ans.

Iwai cherche également à peser dans le domaine économique. Suite à l’invasion de Hong Kong en décembre 1941, plusieurs grands patrons shanghaiens qui avaient trouvé refuge dans la colonie britannique au début de la guerre sont placés en résidence surveillée, avant d’être renvoyés à Shanghai. Iwai voit là l’occasion de les fédérer pour qu’ils contribuent à l’effort de guerre et au renforcement du régime de Wang Jingwei. Il consulte Chen Binhe qui est très bien introduit dans les milieux d’affaires et désireux de développer la philanthropie pour venir en aide à la population shanghaienne. Sous la menace des autorités japonaises et chinoises, plusieurs grands noms des milieux d’affaires shanghaiens acceptent de collaborer, notamment au sein de la structure organisée par Iwai, baptisée l’Association sino-japonaise de commerce et d’industrie de Shanghai (Shanhai nikka kōshō rengikai 上海日華工商聯誼会) : les “trois anciens” Wen Lanting 聞蘭亭 (1870-1948), Yuan Lüdeng 袁履登 (1878-1954) et Lin Kanghou 林康侯 (1875-1965), ainsi que le banquier Tang Shoumin 唐壽民 (1892-1974), Ye Fuxiao 葉扶霄 (1879- ?), Zhu Boquan 朱博泉 (1898-2001), Feng Bingnan 馮炳南, Shen Siliang 沈嗣良 (1896-1967), Xu Jianping 許建屏 (1889-?), Zhao Jinqing 趙晉卿, Fei Fuheng 斐復恆, le directeur du groupe pharmaceutique Xinyayao 新亞藥, Xu Guanqun 許冠群, le roi de la conserve Xiang Kangyuan 項康原 (1895-1968), ou encore le magnat du textile Guo Shun 郭順. Côté japonais, Iwai rallie à son projet les représentants en Chine des principaux conglomérats tels que les directeur des branches locales de Mitsui 三井, Komuro Takeo 小室健夫 (1891-1967), Mitsubishi 三菱, Takagaki Katsujirō 高垣勝次郎 (1893-1967), Sumitomo 住友, Tōji Shun’ya 田路舜哉 (1893-1961), ainsi que le patron des filatures du groupe Toyota (Toyoda bōshoku-sha 豊田紡織社), Nishikawa Akiji 西川秋次 (1881-1963). Il obtient également la participation des principaux organismes économiques et financiers impliqués dans l’État d’occupation tels que la Compagnie pour le développement de la Chine centrale (Naka Shina shinkō kabushiki gaisha 中支那振興株式会社), représentée par son directeur Takajima Kikujirō 高島菊次郎 (1875-1969) et son vice-directeur Ueba Tetsuzō 植場鉄三 (1894-1964), ainsi que la Yokohama Specie Bank (Yokohama shōkin ginkō 横浜正金銀行) représentée par Kawamura Nishirō 河村二四郎 et Kiuchi Nobutane 木内信胤 (1899-1993).

Parallèlement, Iwai continue à diriger l’Unité d’enquête spéciale dont l’activité redouble après le déclenchement de la Guerre du Pacifique en décembre 1941. Ses effectifs sont renforcés pour répondre à la demande de renseignements sur la zone libre, notamment à propos de la situation économique à Chongqing. Cependant, le manque de personnels compétents et les difficultés croissantes rencontrées dans la collecte d’informations transitant par Hong Kong après la venue de Chen Binhe à Shanghai empêchent l’Unité de jouer le rôle qu’ambitionne de lui donner Iwai. En novembre 1942, l’Unité passe sous l’autorité du ministère de la Grande Asie orientale (daitōashō 大東亜省). Nommé consul de Shanghai en janvier 1943, Iwai apprend en juillet sa mutation prochaine à Canton. Il est alors invité à Nankin pour rencontrer Wang Jingwei au cours d’un entretien d’une heure. En janvier 1944, il prend ses fonctions à Canton, où s’efforce d’emblée d’établir de bonnes relations avec le gouverneur Chen Chunpu. Un an plus tard, en janvier 1945, il accède au rang de consul de Canton.

Son mandat à Canton est toutefois interrompu par une mission prolongée à Macao. Le 3 février 1945, le consul japonais de la colonie portugaise, Fukui Yasumitsu 福井保光 (1902-1945) – lui aussi un ancien du Tōa dōbun shoin – est assassiné lors de sa séance matinale de gymnastique radiophonique. Iwai reçoit l’ordre d’assurer l’intérim tout en enquêtant sur la mort de son collègue. Rechignant à partir, il écrit à Tokyo pour être remplacé, arguant du fait que ses activités d’espionnage contre Chongqing font de lui une cible. Iwai arrive finalement le 19 mars 1945, entouré d’une garde rapprochée de dix hommes dirigés par un certain Sun Jiahua 孫嘉華, dont le nombre est multiplié par cinq dans les semaines qui suivent. Il porte en permanence une arme sur lui, ce dont s’étonne le gouverneur Gabriel Maurício Teixeira (1897-1973). Le contexte est d’autant plus tendu que le Japon vient de mener un violent coup de force contre les autorités coloniales françaises en Indochine. Si l’enclave portugaise s’efforce de rester neutre dans le conflit sino-japonais, l’armée japonaise fait peser sur elle une menace permanente depuis l’ultimatum transmis le 27 août 1941 par Fukui au moment de sa prise de fonction. L’attentat exacerbe également les tensions entre diplomates et militaires japonais. Le chef de la diplomatie, Shigemitsu Mamoru, parvient à éviter que l’attentat, que d’aucuns attribuent au chef de l’agence des services spéciaux locale, le colonel Sawa Eisaku 沢栄作 (-1947), ne serve de prétexte à une occupation japonaise de Macao, alors qu’un blocus économique est déjà imposé. Dans ce contexte, Iwai adopte une ligne dure consistant à exiger des autorités portugaises qu’elles présentent des excuses, arrêtent des suspects, payent une indemnité et promettent d’assurer la sécurité des ressortissants japonais. Ces conditions sont critiquées par l’ambassadeur du Japon à Lisbonne, Morishima Morito 森島守人 (1896-1975), qui considère qu’une indemnité n’a aucun sens et que le Japon devrait mettre un terme au blocus, démanteler les activités de renseignement de Sawa et nommer un consul parlant le portugais. Le 29 avril 1945, Iwai convie les principaux représentants de la communauté chinoise de Macao à un banquet pour l’anniversaire de l’empereur Shōwa au cours duquel il leur extorque une forte somme d’argent qui sert à compléter une trésorerie asséchée par l’inflation galopante. En effet, comme il le reconnaît dans ses mémoires, Iwai ne laisse guère le choix aux notables chinois qui sont prévenus que faute d’argent pour rémunérer sa garde de cinquante hommes de main chinois, il sera contraint de laisser ces derniers reprendre leurs activités de gangsters. En mai, il est remplacé par Yodagawa Masaki 淀川正樹, lusophone ayant occupé le poste de consul au Timor.

Fin juillet 1945, Iwai se rend à Tokyo pour remettre son rapport sur la situation à Macao. Lors de son escale à Nankin, il fait un détour par Shanghai pour s’entretenir avec Yuan Shu, lors de ce qui devait être la dernière rencontre entre les deux hommes. À Tokyo, Iwai retrouve sa femme et leurs trois filles qui ont vu leur logement entièrement détruit lors du dernier grand bombardement américain de la capitale, le 23 mai 1945. Peu après la défaite, Iwai est visé par un mandat d’arrêt du gouvernement chinois. En septembre 1945, il présente sa démission qui est acceptée en décembre après qu’il a été promu au rang de consul-général (sōryōji 総領事). Au lendemain de la guerre, Iwai est convaincu que la reconstruction de l’économie japonaise passera par le commerce avec la Chine. Aidé par deux anciens cadres de l’Unité d’enquête spéciale, Takei Tatsuo 武井竜男 et Takahashi Chūsaku 高橋忠作, il lance en 1949 une revue en chinois intitulée Xin Riben jingji maoyi yuebao 新日本經濟貿易月報 (Mensuel de l’économie et du commerce du nouveau Japon) qu’il finance difficilement en sollicitant ses relations. La traduction vers le chinois est assurée par d’anciens étudiants chinois partis en échange au Japon pendant la guerre à l’initiative d’Iwai, tels que Chen Dihua 陳棣華, diplômé en économie à l’Université Keiō 慶應大学, assisté par le fils de Zhang Ziping, passé par l’Université de médecine de Kanazawa 金沢医科大学. En dépit de la victoire communiste en Chine, le périodique continue à être acheté par des organismes économiques à Tianjin et Shanghai. L’essentiel de ses ventes se fait néanmoins à Hong Kong, où Iwai peut compter sur le soutien de son ancien secrétaire Sun Jiahua 孫嘉華, ainsi que dans les communautés de Chinois d’outre-mer en Asie du Sud-Est et même en Afrique. L’aventure éditoriale ne tarde toutefois pas à se heurter à la propagande communiste auprès de la communauté chinoise de l’archipel, privant Iwai de ses traducteurs qui décident de contribuer à la construction de la Nouvelle Chine. Zhang s’installe ainsi à Pékin, tandis que Chen Dihua part pour Wuhan.

Iwai est, par ailleurs, très impliqué dans les cercles issus de l’État d’occupation japonais en Chine. À la suite de la victoire communiste en 1949, une poignée d’anciens collaborateurs chinois, tels que Hu Lancheng, se sont installés au Japon où ils vivent dans des conditions souvent précaires. Leur situation devient plus inconfortable encore en 1952, après la fin de l’occupation américaine et la signature du Traité de San Francisco, lorsque le gouvernement de Yoshida Shigeru est mis sur la sellette par la gauche qui l’accuse de protéger les anciens collaborateurs de l’impérialisme nippon. Iwai cherche à leur venir en aide en remobilisant ses contacts au Gaimushō et dans les milieux d’affaires, notamment Takajima Kikujirō. Sous la houlette de Shimizu Tōzō, Iwai participe ainsi, en juin 1959, à l’organisation de l’Association de bon voisinage (zenrin yūgi-kai 善隣友誼会), baptisée en référence sans doute au premier des trois principes énoncés le 22 décembre 1938 par Konoe Fumimaro qui servent de base à la politique de collaboration. Cet organisme offrant une aide financière aux anciens collaborateurs chinois réfugiés dans l’archipel est présidé successivement par l’ancien ministre des Affaires étrangères Tani Masayuki 谷正之 (1889-1962), Hidaka Shinrokurō et, à la mort de ce dernier en 1976, par l’ancien vice-consul à Nankin et Shanghai au tournant des années 1930, Ōta Ichirō 太田一郎 (1902-1996). Son conseil d’administration est composé d’anciens dirigeants japonais impliqués dans l’État d’occupation issus de l’Armée de terre (Imai Takeo, Okamura Yasuji et Yazaki Kanjū), de la Marine (Tsuda Shizue 津田静枝, Teraoka Kinpei 寺岡謹平 et Kobettō Sōzō 小別当惣三 ) et du Gaimushō (Shimizu Tōzō et Iwai).

À partir du milieu des années 1970, Iwai met par écrit ses souvenirs qui paraissent en plusieurs parties, d’abord dans la revue Koyū 滬友 (Amis de Shanghai) publiée par des anciens du Tōa dōbun shoin, avant d’être réunis en 1983 sous le titre Kaisō no Shanghai 回想の上海 (Souvenirs de Shanghai). Il y revient principalement sur ses deux séjours prolongés à Shanghai avant et pendant la guerre. L’un de ses objectifs avoués est de rétablir la vérité sur ses activités en Chine occupée dont l’image a été faussée, selon lui, par la presse de gauche et, surtout, par les mémoires de Kodama Yoshio, connu après-guerre pour son rôle dans le vaste scandale de corruption lié à l’entreprise aérospatiale Lockheed. En août 1982, Iwai retourne en Chine pour la première fois dans le cadre d’un voyage organisé auquel participent des anciens du Tōa dōbun shoin. En mai 1983, il passe quelques jours à Hong Kong, puis à Taipei, où il retrouve d’ancien élèves de son Institut d’auto-renforcement.

Sources : NKJRJ, p. 71 ; Iwai 1983 ; Koizumi 2003 ; Yuan Shu 1984 ; Liu Jie 1996, p. 145 sqq. ; Seki 2012 ; Brooks 2000, p. 57, 76, 99, 183 ; NRSJ, p. 150, 161 ; Reynolds 1989, p. 267-268 ; Yang Tianshi 1997, p. 37-43 ; Xiao-Planes 2010, p. 129-130 ; MZN, p. 1028 ;  JACAR B02030601400 ; AH 118-010100-0032-027 ; Horii 2011, p. 265 ; ZR, p. 304, 323, 334, 354 ; Gunn 2016, p. 33, 49-51, 156 ; Lo 2022, p. 159 ; Seki 2019, p. 453-475 ; Baidu.

Biographical Dictionary of Occupied China

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