Tsuji Masanobu

辻政信

19021968

Lieu d'origine

Enuma 江沼

Province d'origine

Ishikawa 石川

Peu de destins épousent si parfaitement la trajectoire du Japon en Asie orientale, depuis la Chine des années 1930 jusqu’à la jungle laotienne de la Guerre froide. Sans commune mesure avec son rang dans la hiérarchie militaire – il ne dépasse jamais le grade de colonel (taisa 大佐), atteint en 1943, l’influence de Tsuji sur le cours de la guerre est symptomatique du gekokujō 下克上 (domination des subalternes sur leurs supérieurs). Sorti deuxième de l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校) en 1931, Tsuji combat à Shanghai en 1932. Il y reçoit la première de ses vingt-sept blessures sur le champ de bataille qui lui valent la réputation d’être immortel. Durant son séjour en Chine, il visite le Xinjiang en compagnie de Zhou Xuechang. De retour à Tokyo, il sert notamment comme instructeur à l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校). En novembre 1934, ce pilier de la faction de contrôle (tōseiha 統制派) déjoue un projet de coup d’État de la faction de la Voie impériale (kōdōha 皇道派), impliquant plusieurs de ses étudiants. Nommé dans l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍) en 1936, Tsuji devient un disciple du charismatique Ishiwara Kanji et participe à la conception de l’Association Concordia (xiehehui 協和會).

Au lendemain de l’incident du 7 juillet 1937, Tsuji prône pourtant la guerre contre la Chine aux côtés de Tōjō Hideki 東條英機 (1884-1948), dont il devient proche. Désireux d’être au plus près de l’action, Tsuji se fait nommer dans l’Armée régionale de Chine du Nord (kita Shina hōmengun 北支那方面軍), lors de sa création le mois suivant. Insolent envers ses supérieurs et autoritaire avec ses soldats, il est rapidement renvoyé dans l’Armée du Guandong. Il ne tarde pas à se faire de nouveau remarquer en jouant un rôle déterminant dans l’escalade qui conduit à la cinglante défaite japonaise contre les Russes à Nomonhan en 1939. Il est alors muté à Taiwan, avant de rentrer au bureau des opérations du Quartier général impérial (daihon.ei 大本営) à Tokyo. Il s’y impose comme l’un des principaux concepteurs de la réorientation méridionale de l’expansion japonaise. On lui prête même un projet d’assassinat du prince Konoe, afin de prévenir tout accord avec les États-Unis.

Envoyé à Nankin auprès de l’état-major de l’Armée expéditionnaire de Chine (Shina hakengun 支那派遣軍) en février 1940, Tsuji s’implique dans la mise en place du gouvernement de Wang Jingwei. Il participe notamment au développement du Mouvement de la Ligue d’Asie orientale (Dongya lianmeng yundong 東亞聯盟運動) voulu par Ishiwara. Si Wang Jingwei y voit un moyen de se débarrasser des organisations de masses rivales en les fusionnant dans la nouvelle organisation – un stratagème suggéré par Tsuji lui-même, Zhou Fohai se montre réticent, considérant que Tsuji ne cherche qu’à renforcer l’emprise japonaise sur la Chine centrale. Tsuji s’oppose également au conseiller économique Aoki Kazuo. En novembre 1940, il est muté au Bureau de recherche de l’Armée de Taiwan (Taiwan-gun kenkyū-bu 台湾軍研究部).

Lorsque la Guerre du Pacifique éclate en décembre 1941, il participe à l’invasion de la Malaisie. Son plan pour la prise réussie de Singapour lui vaut le surnom de « dieu de la stratégie ». Mais le passage de Tsuji dans l’ancienne colonie britannique est surtout marqué par son rôle dans le massacre des Chinois d’outre-mer (sook ching 肅清), entre février et mars 1942. Sa légende noire veut qu’il se soit même livré à des actes d’anthropophagie sur un pilote américain exécuté à Singapour. Muté aux Philippines en avril, il s’illustre dans un autre crime de guerre : la « marche de la mort de Bataan », entre avril et mai 1942, au cours de laquelle plusieurs milliers de prisonniers philippins et des centaines de soldats américains périssent. À cette occasion, il s’oppose à Imai Takeo, qui exige une preuve écrite après que Tsuji a prétendu avoir reçu de Tokyo l’ordre de tuer les prisonniers. Tsuji est ensuite nommé en Nouvelle Guinée puis à Guadalcanal, où son plan de contre-attaque en octobre est un fiasco.

En août 1943, il est muté à Nankin comme chef de la 3e section de l’Armée expéditionnaire de Chine. Selon Yu Yuquan, cette venue traduit la volonté chez Tōjō Hideki de renforcer la discipline en Chine centrale. Tsuji aurait ainsi insisté pour faire exécuter les protagonistes de l’affaire Hou Dachun, en mars 1944. Fidèle à sa réputation de casse-cou, il se dit prêt à se rendre à Chongqing au péril de sa vie si des négociations de paix sont possibles. Ses relations avec Zhou Fohai se dégradent durant ce second séjour à Nankin. Le 26 août 1943, Zhou le décrit encore dans son journal personnel comme « profondément respectueux de l’indépendance et de la liberté de la Chine » et considère que sa venue lui sera très profitable. Le 7 mars 1944, le conseiller en chef de la Banque centrale de réserve, Kimura Masutarō, lui révèle que l’action de Tsuji est extrêmement néfaste pour le régime de Nankin. De fait, Jin Xiongbai rapporte que Tsuji cherche à éliminer physiquement Zhou. Lorsqu’il rencontre le colonel Matsutani Makoto 松谷誠 (1903-1998), qui succède à Tsuji en juillet 1944, Zhou se félicite de son caractère « posé », bien différent du comportement « extravagant et brutal » de son prédécesseur.

Muté en Birmanie, Tsuji brille une nouvelle fois pour son sens tactique et son courage. Sa vie après la défaite japonaise est encore plus rocambolesque, à en croire le long rapport que lui consacrent les services secrets américains en mars 1958. Au lendemain de la capitulation, Tsuji s’enfuit en Thaïlande, avant de retourner en Chine déguisé en moine bouddhiste. Arrêté par les Nationalistes, il est libéré sans procès avec d’autres officiers japonais, formant le « groupe blanc » (baituan 白團), qui se met au service de Jiang Jieshi pour lutter contre les Communistes. Il rentre incognito au Japon en 1948 et, deux ans plus tard, bénéficie d’un abandon des poursuites pour crime de guerre à son encontre. Tsuji fait alors un retour en fanfare sur la scène publique, publiant de nombreux textes à propos de son expérience pendant la guerre.

Héros des cercles d’extrême-droite réhabilités à la faveur de la Guerre de Corée, Tsuji cherche à relancer la Ligue d’Asie orientale de son ancien mentor Ishiwara. Reprenant les thèses de ce dernier sur la « guerre finale », Tsuji multiplie les conférences dans lesquelles il prophétise une Troisième Guerre mondiale qui verra l’Union soviétique l’emporter contre les États-Unis. Dans cette perspective, il prône un réarmement du Japon. En 1952, Tsuji est élu député à la Chambre des Représentants (shūgi-in 衆議院) dans le camp conservateur. Les circonstances de sa mort, après sa disparition au Laos en 1961 alors qu’il couvre la guerre du Viêt Nam pour le Asahi shinbun 朝日新聞, n’ont jamais été élucidées. Selon des renseignements contradictoires, il aurait conseillé Võ Nguyên Giáp (1911-2013) dans le Nord-Vietnam jusqu’en 1968 ou, plus probablement, aurait été fait prisonnier par le PCC en janvier 1963 au Yunnan avant d’être exécuté. Il est officiellement déclaré mort en 1968.

Sources : KSDJ ; NRSJ, p. 103-104 ; CIA « Tsuji Masanobu, vol. 1 » ; Horii 2011, p. 128-132 ; Hayashi 2008 ; Drea et al. 2006, p. 211-215 ; Yuan Yuquan 2010, p. 152-153 ; ZR, p. 788, 806, 862, 899 ; Okada 1974, p. 221 sqq. ; Kushner 2015, p. 188 ; Boyle 1972, p. 331.

Pour citer cette biographie : David Serfass, "Tsuji Masanobu  辻政信 (1902-1968)", Dictionnaire biographique de la Chine occupée, URL : https://bdoc.enpchina.eu/bios/tsuji-masanobu/, dernière mise à jour le 4 octobre 2023. 

Biographical Dictionary of Occupied China

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