Diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1897, Abe Nobuyuki intègre en 1902 l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校). Sa formation dans l’établissement d’élite est interrompue par la Guerre russo-japonaise à laquelle il prend part, avant d’achever ses études en 1907. Devenu membre de l’état-major général de l’Armée de terre (sanbōhonbu 参謀本部), il part en novembre 1910 pour l’Allemagne, avant de servir comme attaché militaire adjoint (chūzai bukan hosakan 駐在武官補佐官) à Vienne en 1913. À son retour au Japon au début de la Grande guerre, Abe retrouve son poste d’enseignant à l’École supérieure de guerre. Ayant pris le commandement du 3e régiment d’infanterie (yahō daisan rentai 野砲第三聯隊) en 1918, il participe à l’Expédition de Sibérie qui, sous prétexte de protéger les ressortissants japonais dans la région des troubles provoqués par la guerre civile russe, vise à étendre l’influence nippone en Mandchourie du Nord. Affecté à l’état-major général en 1920, Abe accède au grade de général de brigade (shōshō 少将) en 1922. Durant cette période, il dirige notamment l’application de la loi martiale dans les mois qui suivent le Grand tremblement de terre du Kantō le 1er septembre 1923. En juillet 1926, il est nommé à la tête du Bureau des affaires militaires du ministère de l’Armée (rikugun-shō gunmu-kyoku 陸軍省軍務局), l’un des postes les plus convoités par les militaires. Promu général de division (chūshō 中将) en 1927, Abe sert comme vice-ministre de l’Armée en 1928, avant d’occuper par intérim le poste de ministre de juin à décembre 1930 à la place d’Ugaki Kazushige. En janvier 1932, Abe prend le commandement de l’Armée de Taiwan (Taiwan-gun 台湾軍) jusqu’en août 1933. Approchant de l’âge de la retraite, il obtient à son retour au Japon ses galons de général d’armée (taishō 大将), un siège au Conseil suprême de guerre (gunji sanji giin 軍事参事議院), avant d’être versé, en 1936, dans l’armée de réserve (yobiyaku 予備役).
Après la dissolution du Cabinet de Hiranuma Kiichirō le 28 août 1939, provoquée par le fiasco en cours à Nomonhan, les vives tensions suscitées par la négociation du Pacte tripartite et, surtout, le choc du pacte de non-agression germano-soviétique, l’ancien premier ministre Hirota Kōki est pressenti pour former un nouveau gouvernement. Le ministre de l’Armée sortant, Itagaki Sheishirō, ayant mis son veto à la nomination d’Hirota comme à celle, également évoquée, d’Ugaki Kazushige, cette lourde tâche incombe finalement à Abe Nobuyuki ; l’un des deux noms suggérés par l’Armée. Bien que relativement inexpérimenté pour un tel poste, Abe présente l’avantage de n’être issu d’aucune des grandes factions politiques et militaires. S’il est donc soutenu par l’Armée, Abe voit son autorité d’emblée limitée. Fait inédit, Hirohito impose comme ministre de l’Armée son fidèle aide de camp Hata Shunroku. L’empereur ordonne également à Abe d’adopter une diplomatie conciliante vis-à-vis des États-Unis et de la Grande-Bretagne, peu après s’être offusqué des manifestations anti-britanniques organisées impunément par des groupes d’extrême-droite auxquelles participe notamment Honda Kumatarō. Aux pressions du Palais s’ajoute l’ingérence des militaires. Conseillé par le colonel Arisue Seizō 有末精三 (1895-1992), Abe suit les recommandations de l’Armée en formant un gouvernement aux effectifs réduits, avant que cette organisation ne se révèle impraticable. Jusqu’à la mi-novembre 1939, Abe cumule ainsi le poste de premier ministre avec le portefeuille des Affaires étrangères, avant d’être remplacé au Gaimushō par Nomura Kichisaburō 野村吉三郎 (1877-1964). Durant les cinq mois de sa courte existence, le Cabinet Abe est marqué par le début de la guerre en Europe et la réorganisation de l’État d’occupation japonais en Chine.
En effet, c’est sous son mandat que le projet de gouvernement confédéral chinois laisse place à celui défendu par le groupe de Wang Jingwei visant à restaurer à Nankin un Gouvernement national réorganisé. Ce soutien d’Abe à Wang Jingwei passe par un affaiblissement des principaux adversaires de ce dernier en Chine. Tenus responsables de l’initiative désastreuse de Nomonhan, les états-majors en Chine du Nord voient leur autonomie rognée. Le commandant en chef de l’Armée du Guandong, Ueda Kenkichi 植田謙吉 (1875-1962), farouche partisan d’une Chine divisée, est rappelé à Tokyo début septembre 1939. Plus encore, la fusion le 20 septembre des armées régionales de Chine du Nord et de Chine centrale en une Armée expéditionnaire de Chine (Shina hakengun 支那派遣軍) commandée depuis Nankin marque, sinon l’affaiblissement de Pékin, du moins un renforcement de Nankin dans un processus centralisé de construction étatique en zone occupée. En outre, la nomination d’Itagaki Sheishirō comme chef d’état-major de cette armée unifiée favorise l'”Opération Wang Jingwei” portée par l’un de ses proches, Kagesa Sadaaki, contre les collaborateurs de la première heures comme Wang Kemin et Liang Hongzhi, ainsi que leurs patrons japonais, qui cherchent à freiner la mise en place du nouveau régime. La volonté chez Abe et son entourage de trouver une issue rapide au conflit chinois, grâce à Wang Jingwei, mais aussi par la reprise de négociations avec Chongqing, est d’autant plus grande que le gouvernement japonais est confronté à une explosion des dépenses militaires. Pour y remédier, Abe lance des réformes financières, qui aboutiront sous le mandat de son successeur à une augmentation des impôts venant aggraver la grogne générale contre l’incapacité du gouvernement à régler l'”Incident de Chine”. Cette grogne est renforcée par l’augmentation, en novembre, du prix fixe du riz en raison d’un épisode de sécheresse et, plus généralement, par les problèmes d’approvisionnement causés par les restrictions liées à la guerre. Le projet, défendu par l’Armée, de créer un ministère du Commerce est mis en échec par la vive résistance du ministère des Affaires étrangères qui obtient gain de cause après qu’une centaine de ses hauts-fonctionnaires ont menacé de démissionner. Abe échoue également à améliorer les relations avec les États-Unis, ne parvenant pas à rétablir le traité de commerce contracté en 1911 et abrogé par Washington en juillet 1939, en représailles de l’ingérence japonaise dans la mise en place de gouvernements en Chine occupée. Pour ne rien arranger, Abe doit faire avec le réveil des partis politiques. Le 4 décembre 1939, il se donne pourtant la peine de recevoir les chefs de quatre principales formations afin de les consulter sur les réformes en cours et la mise en place du nouveau gouvernement chinois. Ces marques d’égard n’empêchent pas une fronde des parlementaires au nom d’une “restauration des partis politiques” (seitō fukkatsu ron 政党復活論) visant à rétablir leur rôle dans la conduite des affaires du gouvernement qu’ils jugent confisquée par les technocrates actifs au sommet de l’appareil bureaucratique civil comme militaire. Dès l’ouverture de la session parlementaire, le 26 décembre, un vote de défiance (non contraignant) obtient la majorité, suivi d’une pétition appelant à la dissolution du Cabinet Abe signée par 276 des 466 députés le 7 janvier 1940. Abe emploie la manière forte en préparant une dissolution, mais, lâché par l’Armée, il est contraint de démissionner le 14 janvier.
Entre avril et décembre 1940, Abe séjourne à Nankin en tant qu’ambassadeur extraordinaire auprès du Gouvernement national réorganisé de Wang Jingwei (Chūka minkoku tokuha taishi 中華民国特派大使) inauguré le 30 mars. Cette nomination est interprétée par la presse chinoise comme le signe de l’enthousiasme mitigé de Tokyo pour le “retour à la capitale” du parti-État nationaliste “orthodoxe” : Abe n’a pas la carrure politique d’un Konoe Fumimaro et son statut d'”envoyé spécial”, et non pas d’ambassadeur plénipotentiaire, apparaît comme le signe d’une hésitation à reconnaître officiellement le nouveau régime à la place de son homonyme de Chongqing. Cette hésitation traduit l’espoir de voir aboutir des négociations avec Jiang Jieshi qui, après avoir tenté d’empêcher l’inauguration du régime de Nankin en laissant miroiter un cessez-le-feu, cherche à faire de même pour empêcher sa reconnaissance. S’il ne s’oppose pas à ces négociations, Zhou Fohai tente, dans les semaines qui précèdent l’arrivée d’Abe, d’obtenir une reconnaissance immédiate, faute de quoi il menace de ne pas former le nouveau gouvernement. La mission d’Abe consiste à mener des négociations à Nankin pour définir la politique de collaboration sino-japonaise. Celles-ci débutent formellement à l’été 1940. Dans un discours devant les principaux dirigeants chinois et japonais le 3 juillet, Abe annonce la teneur du texte auquel doivent aboutir ces discussions. Celui-ci devra (1) prendre pour base les déclarations de l’ancien premier ministre Konoe en novembre et décembre 1938 ; (2) suivre les critères retenus (ou plutôt imposés) dans l'”accord préparatoire” (caoyue 草約) négocié à Shanghai en novembre 1939 et signé par Wang Jingwei le 30 décembre (voir Kagesa) ; et (3) inclure des clauses propres au contexte de guerre. Autrement dit, l’espoir qu’entretiennent encore Wang Jingwei et ses lieutenants de revenir sur certaines des exigences les plus dures actées fin 1939 n’est pas à l’ordre du jour. La première session de négociation s’ouvre le 5 juillet 1940 à Nankin. Outre Abe, le gouvernement japonais est représenté par Kagesa Sadaaki, Hidaka Shinrokurō, Inukai Ken, le diplomate Matsumoto Shun’ichi 松本俊一 (1897-1987), le contre-amiral Suga Hikojirō 須賀彥次郎 (1889-1941), ainsi que par Andō Meidō 安藤明道 (1895-1985) issu du Kōa-in. Côté chinois, Wang Jingwei est entouré de Zhou Fohai, Chu Minyi, Mei Siping, Lin Baisheng, Xu Liang et Zhou Longxiang.
Ainsi, la promesse faite par Konoe en décembre 1938 de rétrocéder à la Chine les concessions étrangères et d’abolir l’extraterritorialité est-elle enterrée par Abe au motif que cela désavantagerait les hommes d’affaires japonais en Chine. De même, Abe oppose une fin de non recevoir à la demande des négociateurs chinois que certaines clauses secrètes de l'”accord préparatoire”, aussi connu sous le nom d'”accord interne” (naiyaku 內約), soient inscrites dans le futur traité pour engager publiquement le Japon à les respecter, notamment celle concernant la mise en circulation du yen militaire (gunpyō 軍票) en Chine occupée (voir Aoki). Abe revient même sur certaines clauses incluses dans l’accord du 30 décembre, comme celle prévoyant la nationalisation des chemins de fer. Wang mobilise ses contacts à Tokyo pour obtenir que le prince Konoe, redevenu premier ministre le 22 juillet, intercède en faveur du nouveau gouvernement sur ce point, mais le tout-puissant Kōa-in (voir Ishii) refuse catégoriquement que la gestion des voies ferrées soit rendue à Nankin au prétexte que celles-ci constituent des axes stratégiques pour l’armée impériale. Si la promesse faite à la veille de la défection de Wang, mais absente du discours de Konoe en décembre, d’un retrait des troupes nippones dans les deux ans apparaît bien dans le texte de l’accord, elle est assortie d’une clause qui l’annule de fait : ce retrait est conditionné par la capacité du gouvernement de Wang à restaurer une “paix complète [quanmian heping 全面和平]” et à “rétablir l’ordre [zhi’an queli 治安確立]”. Au final, Abe ne transige que sur la forme, acceptant, par exemple, à la demande de Zhou, que le stationnement de navires de guerre japonais sur le Yangzi ne soit pas présenté comme visant à “préserver l’intérêt commun des deux pays“, mais comme l’application d’une décision prise avant que n’éclate l'”Incident de Chine” pour en faire porter la responsabilité à Chongqing. Bien que ces négociations aboutissent dès le 31 août 1941, la signature du traité est retardée par de nouvelles tentatives japonaises de s’entendre avec Chongqing (voir Nishi). Convaincu que Jiang Jieshi ne cherche qu’à retarder la reconnaissance du régime de Nankin pour mieux le décrédibiliser, Abe part le 18 novembre à Tokyo avec Zhou Fohai et Kagesa pour faire pression afin que la signature du traité ait lieu à la date entérinée le 13 novembre en conférence impériale (gozen kaigi 御前会議). L’Accord à propos des relations fondamentales entre le Japon et la République de Chine (Nipponkoku Chūka minkoku kan kihon kankei niseki suru jōyaku 日本国中華民国間基本関係ニ関スル条約, version chinoise) est finalement signé le 30 novembre 1940 par Abe et Wang Jingwei. Il s’accompagne d’une reconnaissance diplomatique de Nankin par Tokyo – une première pour un gouvernement collaborateur en Chine “propre” – et d’une Déclaration commune Japon-Manzhouguo-Chine (Nichi-Man-Ka kyōdō sengen 日満華共同宣言) également signée par l’ambassadeur du Manzhouguo à Nankin, Zang Shiyi 臧式毅 (1884-1956). En dépit de l’âpreté des négociations, Abe continue par la suite d’apparaître aux yeux des dirigeants de Nankin comme un allié, qu’ils ne manquent pas de rencontrer lors de chacune de leurs visites dans l’archipel. En juin 1942, Zhou Fohai envisage même de demander à Abe de prendre la tête d’une “Association de soutien à Nankin [Nanjing tongzhihui 南京同志會]” composée de dirigeants civils et militaires japonais chargés de défendre les intérêts du régime de Wang Jingwei à Tokyo.
Le 23 février 1942, Abe est désigné pour diriger le Conseil pour l’organisation politique du soutien du Trône (yokusan-seiji-taisei kyōgi-kai 翼賛政治体制協議会). Cette organisation ad hoc vise à contourner l’interdit constitutionnel empêchant le gouvernement de recommander des candidats afin d’assurer une large victoire à l’Association de soutien au Trône lors des élections législatives du 30 avril 1942. Abe n’est que le second choix du premier ministre Tōjō Hideki qui envisageait de confier cette tâche à un autre général d’armée et ancien premier ministre, Hayashi Senjurō 林銑十郎 (1876-1943), finalement disqualifié en raison de ses mauvaises relations avec le Parlement durant son court mandat entre février et juin 1937. S’il fait donc, une fois encore, office de choix par défaut, Abe peut se prévaloir de son expérience comme administrateur, mais aussi de ses relations à la Cour grâce au mariage de son fils aîné avec la fille du plus proche conseiller de l’empereur, le gardien du sceau privé Kido Kōichi 木戸幸一 (1889-1977). Pour reprendre le portrait que tire de lui Edward J. Drea dans son ouvrage de référence sur les élections de 1942, “Abe was a political mediocrity, but he had fortuitous qualities that made him acceptable to diverse political factions” (Drea 1979, p. 27). En mai 1942, il est nommé président de l’Association de soutien au Trône (yokusan-seiji-kai sōsai 翼賛政治会総裁) et obtient de siéger à la Chambre des Pairs jusqu’en février 1946.
Entre-temps, Abe est le dernier à occuper le poste de gouverneur général de Corée (Chōsen sōtoku 朝鮮總督), entre juillet 1944 et septembre 1945. Peu après son installation, il apprend la mort de son fils cadet, tué le 19 octobre par la flotte britannique au large des îles Nicobar. À la veille de la capitulation japonaise, Abe met sur pied un organe de transition composé de personnalités coréennes chargé de maintenir l’ordre et d’éviter les violences anti-japonaises avant l’arrivée des troupes alliées. Après avoir proposé en vain à Song Jin-woo 송진우 宋鎭禹 (1889-1945) d’en prendre la tête, il obtient l’accord de Yeo Un-hyeong 여운형 呂運亨 (1886-1947), qui accepte de servir comme premier ministre en échange de la libération des prisonniers politiques coréens. Après le débarquement des troupes américaines sur les côtes coréennes le 8 septembre 1945, le général John R. Hodge (1893-1963) annonce le maintien en place d’Abe, provoquant des manifestations au cours desquelles deux Coréens sont tués par des soldats japonais. Devant l’impopularité de cette politique, Hodge révoque Abe le 12 septembre. Arrêté à son retour dans l’archipel, Abe fait partie des dirigeants japonais inculpés comme criminels de guerre de classe A. Peu avant que ne débutent, en avril 1946, les travaux du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, Abe est retiré de la liste des prévenus devant être jugés immédiatement, en même temps que le général Masaki Jinzaburō 真崎甚三郎 (1876-1956). Il semble que ce revirement soit destiné à faire de la place pour l’inculpation de Shigemitsu Mamoru et Umezu Yoshijirō 梅津美治郎 (1882-1949), exigées par les Soviétiques. Libéré peu après, Abe décède en 1953, quelques mois après avoir été réhabilité.
Sources : KSDJ ; NRSJ, p. 4 ; Yagami 2006, p. 78-80 ; Sims 2001, p. 211-214, 233 ; HSN, p. 239 ; Boyle 1972, p. 257-258, 294-295, 297-299 ; ZR, p. 230, 262, 316, 317, 341, 380, 382, 616, 627, 630, 682, 817, 914 ; Drea 1979, p. 25-27 ; Seth 2010, p. 86, 89 ; Wikipedia ; Dower 1999, p. 482, 634.
Parfait exemple de ces « bureaucrates réformistes » (kakushin kanryō 革新官僚) qui devaient plus tard être décrits comme « anti-libéraux, anti-partis, nationalistes, pro-militaires, pro-fascistes et, par-dessus tout, favorables à un renforcement du contrôle de l’État » (Johnson 1982, p. 124), Aoki n’en garde pas moins une certaine distance par rapport aux autorités militaires japonaises au point de s’opposer à celles-ci pendant la guerre en soutien au gouvernement de Wang Jingwei.
Né dans une famille de paysans pauvres, Aoki parvient à sortir parmi les premiers de sa promotion à la faculté de droit de l’Université impériale de Tokyo, ce qui lui permet d’intégrer le ministère des Finances (ookurashō 大蔵省) en 1916 et d’accéder rapidement à des fonctions importantes. Après l’invasion de la Mandchourie en septembre 1931, il est envoyé sur place en tant que chef de la section du Trésor (kokko-ka 国庫課) afin d’évaluer la situation. Il y retourne en 1933, alors que les autorités japonaises tergiversent quant à la relation à établir entre le système monétaire du Manzhouguo et le yen. Aoki conseille de mettre en place une monnaie locale autonome. Comme d’autres technocrates spécialisés dans l’économie qui trouvent grâce aux yeux des « officiers d’état-major réformistes » (kakushin bakuryō 革新幕僚), il se voit offrir une place au Bureau des affaires de Mandchourie (taiman jimu-kyoku 対満事務局) créé en 1935 pour coordonner la politique de l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍) avec celle du gouvernement. En octobre 1937, il rejoint le Conseil de planification (kikaku-in 企画院), dont il prend la tête en janvier 1939, tout en cumulant le poste de ministre des Finances à partir d’août. Il est ainsi l’un des principaux concepteurs de la politique visant à créer une sphère économique autosuffisante dont le Japon serait le centre en Asie orientale. La même année, il est nommé à la Chambre des pairs (kizoku-in 貴族院).
Au moment de la formation du gouvernement de Wang Jingwei, il accepte à contrecœur de suivre Abe Nobuyuki à Nankin comme conseiller. Il est confronté à l’épineuse question monétaire qui divise les acteurs japonais de l’État d’occupation entre les tenants du fabi 法幣 (la monnaie nationale chinoise mise en circulation en 1935) et l’Armée de Chine centrale (naka Shina hōmen-gun 中支那方面軍) qui défend le yen militaire (gunpyō 軍票). Favorable à l’usage du fabi au début de la guerre, Aoki considère par la suite que Nankin doit frapper sa propre monnaie afin de ne plus dépendre d’une devise contrôlée par Chongqing. Pour réaliser l’unification monétaire de la Chine centrale, il lance le projet de la Banque centrale de réserve (zhongyang chubei yinhang 中央儲備銀行) qu’il défend avec succès à Tokyo devant le Kōa-in 興亜院 et les différents ministères. De retour en Chine, il se heurte cependant aux officiers locaux qui refusent de retirer les bons militaires de la circulation. Aoki retourne donc à Tokyo pour se plaindre auprès du ministre de l’Armée, Tōjō Hideki 東條英機 (1884-1948), qui l’assure de son soutien et procède à plusieurs nominations dans l’Armée de Chine centrale pour appuyer Aoki. Ce dernier est très mal accueilli par Tsuji Masanobu qui voit dans ce remaniement une ingérence inacceptable. L’affaire se conclut par la mutation de Tsuji.
Au moment du départ de la mission Abe, après la signature du “Traité sur les relations fondamentales sino-japonaises” (Zhong-Ri jiben guanxi tiaoyue 中日記本關係條約) le 30 novembre 1940, Aoki apparaît aux yeux de Wang Jingwei, des diplomates japonais et du premier ministre Konoe Fumimaro comme un contrepoids face aux autorités militaires locales. Il reste donc à Nankin comme conseiller économique suprême (zuigao jingji guwen 最高經濟顧問). Pour l’aider dans sa tâche, Tokyo lui envoie trois adjoints : Fukuda Takeo, Hashii Makoto 橋井真 (1902-1977) et Nanba Rihei 難波理平. Aoki traite essentiellement avec Zhou Fohai et Mei Siping mais rencontre également Wang Jingwei deux fois par semaine. À ses côtés, explique-t-il dans ses mémoires, il continue à lutter contre les ingérences de l’armée afin de renforcer le régime de Nankin. Zhou Fohai apprécie sa franchise. Ainsi, Aoki lui déclare, le 9 septembre 1942, que le discours japonais sur le « renforcement » du régime de Nankin n’était, jusqu’ici, que de la propagande. Il espère que cette politique sera réellement appliquée.
En septembre 1942, Aoki est rappelé à Tokyo pour prendre la direction, en novembre, du ministère de la Grande Asie orientale (daitōashō 大東亜省) qui vient d’être créé. À ce poste, il contribue à définir la « nouvelle politique », adoptée en décembre, qui donne une plus grande autonomie au gouvernement de Wang Jingwei tout en renforçant l’exploitation des ressources chinoises au profit de l’économie de guerre japonaise. Il quitte le gouvernement au moment de la chute du cabinet Tōjō en juillet 1944 et se rend au chevet de Wang Jingwei à Nagoya. Incarcéré par les autorités d’occupation américaines à la fin de la guerre, il est libéré sans être jugé. De 1953 à 1977, il siège à la Chambre des Représentants comme député du Parti libéral (jiyūtō 自由党), devenu en 1955 le Parti libéral-démocrate (jiyū-minshutō 自由民主党). Fidèle à son passé de technocrate de l’empire, il se fait le héraut de l’extension du réseau autoroutier dans l’archipel. Un an avant sa mort, il publie ses Mémoires intitulés Waga kujūnen no shōgai o kaerimite わが九十年の生涯を顧みて (Retour sur les neuf décennies de ma vie).
Sources : NKJRJ, p. 4 ; KSDJ ; KNKJ, p. 1 ; Johnson 1982, p. 124 sq. ; Mimura 2011, p. 78 ; Crowley 1998, p. 194 ; ZR, p. 646 ; Aoki 1981.