Wu Chengyu

伍澄宇

18881962

Lieu d'origine

Xinning 新寧 (act. Taishan 台山)

Province d'origine

Guangdong 廣東

Originaire de Xinning (act. Taishan, Guangdong), Wu Chengyu étudie le droit à l’Université Hōsei 法政大学 de Tokyo et adhère à la Ligue jurée (tongmenghui 同盟會) à sa création. En 1907, il part pour Philadelphie où il diffuse le mouvement révolutionnaire dans la communauté chinoise en créant une branche locale de la Ligue jurée et son organe de presse, le Shaonian Zhongguo chenbao 少年中國晨報 (Le journal du matin de la jeune Chine). Durant son séjour aux États-Unis, il fréquente la fille aînée de Sun Yat-sen, Sun Ting 孫娗. Bien qu’il se soit juré de ne pas se marier avant de voir la révolution triompher, Wu envisage de l’épouser, mais Sun Ting contracte une maladie qui l’oblige à rentrer en Chine où elle décède peu après. Dès cette époque, Wu développe un grand intérêt pour l’aviation, devenant le premier en Chine à prôner la création d’une flotte aérienne financée par chaque province à hauteur de vingt appareils par an. En 1914, Wu rejoint Sun au Japon, où ce dernier s’est de nouveau réfugié après l’échec de la “seconde révolution”. Sun fait de lui son émissaire aux Philippines et dans les communautés chinoises d’Asie du Sud-Est. Sa proximité avec Sun ne l’empêche pas de remettre en cause la doctrine du futur “père de la nation”. Considérant que le principe démocratique (minquan 民權) ne pourra être atteint tant que le peuple n’aura pas gagné en vertu,  Wu propose de créer un quatrième “principe du peuple”, celui de la “vertu du peuple” (minde zhuyi 民德主義). Zhang Zuolin utilise également cette notion en 1922 puis en 1927, sans que l’on sache s’il existe un lien entre les deux.

De retour en Chine en 1917 après une décennie à l’étranger, Wu occupe plusieurs postes : président de la Fédération nationale des syndicats (quanguo zonggonghui 全國總工會), première organisation ouvrière chinoise, secrétaire de la présidence à Pékin (dayuanshuaifu shicong mishu 大元帥府侍從秘書), juge du tribunal de grande instance ou encore conseiller de l’Armée de reconstruction nationale (jianguojun zongcanyi 建國軍總參議). Après la mort de Sun Yat-sen en mars 1925, Wu se retire de la vie politique et ne renouvelle pas son adhésion au GMD. Il s’installe à Shanghai où il travaille comme avocat et enseignant. Il conseille notamment la plus grande star de cinéma de l’époque Ruan Lingyu 阮玲玉 (1910-1935), qui, prise dans un scandale de mœurs, finit par se suicider. S’il s’éloigne des sphères dirigeantes, Wu n’en continue pas moins à s’investir dans les milieux associatifs proches du GMD en qualité de membre ou de conseiller. Il participe ainsi à l’Association populaire de soutien à la diplomatie (guomin waijiao houyuanhui 國民外交後援會), qui vise à recouvrer les territoires transférés au Japon en 1919, ainsi qu’à plusieurs organisations de la diaspora chinoise, telles que l’Association des Chinois d’outre-mer (Huaqiao gonghui 華僑公會). Il préside également la Grande alliance sino-coréenne de résistance nationale contre le Japon (Zhong-Han minzu kangri datongmeng 中韓民族抗日大同盟) fondée en janvier 1932 pour aider la Chine au moment de l’Incident de Shanghai par des indépendantistes coréens exilés tels que Jo So-ang 조소앙 趙素昂 (1887-1958). Cette implication dans la mobilisation patriotique anti-japonaise n’empêche pas Wu de fréquenter, par ailleurs, l’Association des peuples d’Asie orientale (dongfang minzu xiehui 東方民族協會) qui promeut un panasiatisme légitimant l’impérialisme nippon.

Les circonstances dans lesquelles Wu Chengyu accepte de collaborer avec l’occupant japonais quelques mois après le début de la guerre nous sont principalement connues grâce au témoignage donné par ce dernier lors de son procès après-guerre. Au printemps 1938, Wu reçoit la visite de son vieil ami, le maire de Shanghai Su Xiwen, accompagné d’un officier de la police militaire japonaise (kenpeitai 憲兵隊) désireux d’utiliser son entregent pour aider au recrutement de l’ancien premier ministre Tang Shaoyi 唐紹儀 (1862-1938), également cantonais, que les Japonais espèrent placer à la tête du Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府) fondé le 28 mars 1938. Dans le même temps, il est convié par un autre compatriote cantonais, Wen Zongyao, à rejoindre le nouveau régime. En acceptant, il devient l’une des cible de la campagne d’attentats qui vise alors les collaborateurs. Le 24 juin, une attaque contre ses bureaux tue et blesse grièvement deux employés. En août 1938, Wu Chengyu accepte de siéger dans le comité du Yuan législatif (lifayuan weiyuanhui 立法院委員會) du Gouvernement réformé dirigé par Liang Hongzhi. Il fait figure d’exception parmi des dirigeants largement hostiles au GMD. Il partage cette particularité avec Chen Qun, qui le recrute pour donner des cours dans son École de formation à l’administration de district du ministère de l’Intérieur (neizhengbu xianzheng xunliansuo 內政部縣政訓練所). Wu publie ses cours en février 1939 sous le titre Weixin zhenggang yuanlun 維新政綱原論 (De l’origine du programme politique du Gouvernement réformé), rare tentative de doter le premier régime collaborateur de Chine centrale d’une idéologie cohérente. Wu critique le GMD de Jiang Jieshi au nom des principes de Sun Yat-sen, en écrivant notamment que les principes du “tianxia wei gong 天下為公” (le monde appartient à tous) et du “minquan 民權” (démocratie) sont totalement incompatibles avec la dictature du Parti. Si Wu reprend la propagande alors en vigueur en Chine centrale contre la tutelle politique du GMD, il se démarque de la ligne politique jusque-là dominante en zone occupée où le rejet du GMD par les collaborateurs de la première heure inclus les Trois principes du peuple de Sun Yat-sen. Ce faisant, il accompagne l’aggiornamento imposé, non sans résistance, par Tokyo aux gouvernements collaborateurs après la défection du dirigeant nationaliste Wang Jingwei fin 1938. Après l’installation de ce dernier à Shanghai au printemps 1939, Wu est invité par Chu Minyi à rencontrer Wang qui l’interroge sur l’opinion qu’ont de lui les dirigeants du Gouvernement réformé. Lors de son procès après-guerre, Wu affirmera avoir alors conseillé à Wang de ne pas former un nouveau gouvernement.

Le rôle de théoricien que se donne Wu dans le Gouvernement réformé trouve à s’épanouir dans la Daminhui 大民會 (Association du grand peuple), principale organisation de masse en Chine centrale au début de la guerre, qui compte jusqu’à 150 000 membres. Fondée le 15 juillet 1938, elle fait du minde zhuyi 民德主義 (doctrine de la vertu populaire) élaboré par Wu dès les années 1910, le pilier de son idéologie. Contrairement à son équivalent dans le Nord, la Xinminhui 新民會, l’Association du grand peuple se révèle toutefois incapable d’acquérir un véritable poids politique. Passée sous le contrôle du groupe de Wang Jingwei en juin 1940, elle est dissoute le 17 décembre 1940. Après la fondation du gouvernement de Wang Jingwei en mars 1940, Wu Chenyu siège au sein du Comité du Yuan législatif (lifa weiyuan 立法委員), tout en dirigeant le Comité des affaires juridiques (fazhi weiyuanhui 法治委員會) jusqu’en 1942, puis celui des affaires étrangères (waijiao weiyuanhui 外交委員會) jusqu’à la fin de la guerre.

Fidèle à son engagement en faveur de la démocratie constitutionnelle, il participe aux travaux du Comité pour la mise en place du gouvernement constitutionnel (xianzheng shishi weiyuanhui 憲政實施委員會) aux côtés de Wu Kaisheng notamment. Considéré par les observateurs japonais, tels que Manabe Fujiharu 真鍋藤治, juriste travaillant pour le Bureau à Shanghai de la Compagnie ferroviaire du Sud-Mandchourien (mantetsu Shanhai jimusho 満鉄上海事務所), comme le membre le plus influent du comité, Wu fait connaître ses idées dans la presse spécialisée. En avril 1940, il publie ainsi dans le Xianzheng yuekan 憲政月刊 (le mensuel du gouvernement constitutionnel) d’Iwai Eiichi et Yuan Shu, un essai offrant une solution pour accéder à la phase constitutionnelle. Le principal obstacle à l’adoption d’une Constitution est l’incapacité du Gouvernement national réorganisé à réunir une Assemblée nationale constituante faute de contrôler un territoire suffisant et donc de pouvoir élire un quorum de députés. Pour remédier à ce problème, Wu propose que le scrutin ne soit plus fondé sur le nombre de districts mais sur la population. Dans un autre article, il défend l’idée d’une “nationalisation des Trois principes du peuples” (san min zhuyi guojiahua 三民主義國家化), considérant qu’ils sont un bien commun de la nation chinoise et non pas la propriété du seul GMD. Un plus grand obstacle se met toutefois en travers de la nouvelle Constitution : une fois assurée l’hégémonie de son GMD “orthodoxe” sur les autres partis collaborateurs de Chine centrale, Wang Jingwei trahit sa promesse en mettant fin au processus constitutionnel.

Poursuivant son enseignement à l’École de formation à l’administration de district du ministère de l’Intérieur, Wu publie en 1942 ses cours sous le titre Guomin zhengfu zhenggang zhi lilun yu shishi 國民政府政綱之理論與實施 (Théorie et mise en pratique du programme politique du Gouvernement national). Suivant les principes sunistes en matière de démocratie locale, il y professe la mise en place d’organisations d’expression de la volonté populaire (minyi jiguan 民意機關) en attendant l’organisation d’une Assemblée nationale. Il propose même de préparer les futures élections en menant des enquêtes secrètes en zone libre afin de dresser des listes de candidats. En novembre 1944, il déclare au journaliste Kimura Hideo 木村英夫 vouloir œuvrer pour l’avènement d’une “troisième force” à même de gouverner la Chine. S’il ne se prononce pas en faveur d’un parti, Wu préconise que cette force ne soit liée ni au “camp de la résistance” (GMD et PCC), ni au “camp de la paix” (Nankin). Alors que se profile la défaite du Japon et une réorganisation des relations internationales sous l’égide des Nations unies, Wu croit plus que jamais dans la nécessité d’implanter la démocratie en Chine au moyen de l’autonomie locale. À cette fin, il organise avec Chen Zhongfu l’Association pour l’autonomie locale de la municipalité spéciale de Shanghai (Shanghai tebieshi difang zizhi xiehui 上海特別市地方自治協會)

Arrêté par le Juntong 軍統 au lendemain de la capitulation japonaise, Wu Chengyu est jugé pour trahison. Durant son procès, il met en avant le fait que les décisions étaient prises par le Comité politique central (zhongyang zhengzhi weiyuanhui 中央政治委員會) et non pas par le Yuan législatif, arguant qu’il n’était donc en rien impliqué dans la rédaction ou le vote des lois. Plusieurs résistants témoignent en sa faveur, attestant que Wu a obtenu la libération de soixante-dix à quatre-vingt personnes arrêtées par l’occupant. En mai 1947, il est condamné à huit ans de prison. Ses juges expliquent la clémence de cette peine par ses « actions en faveur du peuple » sous l’occupation. Il est libéré avant la prise de pouvoir des Communistes et s’installe à Taiwan en avril 1949. En avril 1950, alors qu’il tente de quitter Taipei pour retourner à Pékin via Hong Kong, Wu est arrêté par les autorités nationalistes puis condamné à quinze ans de prison. Durant sa détention, il rédige de nombreux ouvrages sur le confucianisme, le tridémisme et l’anticommunisme, ainsi que sur le droit. Remis en liberté en 1960, il décède deux ans plus tard à Taipei. Une courte nécrologie le désignant comme un “vétéran de la Révolution [geming laoren 革命老人]” paraît au lendemain de sa mort dans le principal organe de presse du GMD, le Zhongyang ribao 中央日報 (Central Daily News).

Sources : Xu Youchun 2007, p. 375-376 ; Seki 2019, p. 287, 311-333, 559 ; Tsuchiya 2015 ; Zhang Lei 1994, p. 294 ; SWHB, p. 1099-1146 ; Liu Jie 2016 ; Horii 2011, p. 129 ; CIA Strategic Services unit 1946, p. 33 ; Chi Man Kwong 2017, p. 82.

Pour citer cette biographie : David Serfass, "Wu Chengyu  伍澄宇 (1888-1962)", Dictionnaire biographique de la Chine occupée, URL : https://bdoc.enpchina.eu/bios/wu-chengyu/, dernière mise à jour le 7 octobre 2023. 

Biographical Dictionary of Occupied China

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