Cinquième fils d’un paysan sans terre de Bizen, Ugaki Kazushige débute comme enseignant remplaçant, avant de monter à la capitale pour y suivre la voie royale de la carrière militaire en sortant diplômé de l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1890, puis de l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校) en 1900. Principalement en poste au sein de l’état-major général de l’Armée de terre (sanbōhonbu 参謀本部), Ugaki effectue deux séjours en Allemagne comme attaché militaire (1902-1904, 1906-1908), ainsi qu’un passage en Corée en 1905. Il se fait remarquer pour ses talents d’administrateur, notamment dans le domaine de l’enseignement militaire, ce qui lui vaut de devenir le protégé de Tanaka Giichi 田中義一 (1864-1929).

Promu général de brigade (shōshō 少将) en 1915, puis général de division (chūshō 中将) en 1919, Ugaki dirige plusieurs établissements dont l’École supérieure de guerre. Il accède à des postes de première importance au sein du ministère de l’Armée (rikugunshō 陸軍省), alors dirigé par Tanaka, d’abord comme vice-ministre en octobre 1923, puis comme ministre en janvier 1924. Il conserve ce portefeuille sous trois cabinets jusqu’en avril 1927, puis entre juillet 1929 et avril 1931. C’est sous son mandat qu’en 1925, le Cabinet de Katō Takaaki 加藤高明 (1860-1926) décide, au nom de la rigueur budgétaire et d’une modernisation de l’armée, la suppression de quatre des vingt-et-une divisions de l’armée de terre, mettant à la retraite deux milles officiers. Ce “désarmement Ugaki”, symbole d’un reflux du poids politique des militaires sous la “démocratie de Taishō”, vaut à son auteur la haine tenace de ses pairs. Son étoile pâlit davantage à la suite de sa mauvaise gestion du coup d’État manqué de mars 1931, qui vise à le placer, à son corps défendant, à la tête d’un gouvernement militaire : il trahit l’espoir placé en lui par les mutins, tout en les épargnant. Contraint de quitter l’armée, il retrouve la charge de gouverneur-général en Corée (Chōsen sōtoku 朝鮮総督), qu’il avait déjà occupée brièvement en 1927. À ce poste de juin 1931 à août 1936, il mène une politique industrielle ambitieuse, tout en favorisant les menées de l’Armée du Guandong (Kantōgun 関東軍), qui conduisent à l’Incident du 18 septembre 1931.

Alors qu’il peut faire valoir ses droits à la retraite, Ugaki se voit confier en janvier 1937 par l’empereur Shōwa la constitution d’un gouvernement après la démission du Cabinet de Hirota Kōki 廣田弘毅 (1878-1948), mais échoue à devenir premier ministre en raison du veto de l’Armée de terre. Il n’en conserve pas moins une influence certaine dans les premiers mois de la guerre. En octobre 1937, le premier ministre Konoe Fumimaro le nomme au sein de son Conseil de cabinet (naikaku sangi 内閣参議) nouvellement créé pour adapter le gouvernement à la guerre en contournant les lenteurs du processus de prise de décision habituel. Ugaki s’y fait l’avocat d’une résolution rapide du conflit sino-japonais, contre les tenants d’une politique intransigeante vis-à-vis des autorités chinoises. La déclaration du 16 janvier 1938, dans laquelle Konoe met un terme aux tentatives de négociations avec le GMD et appelle de ses vœux la formation d’un nouveau gouvernement central chinois, affaiblit momentanément cette position. Résolument opposé à cette rupture, Ugaki bénéficie de la volte-face de Konoe qui lui offre, le 25 mai 1938, le poste de ministre des Affaires étrangères (gaimu daijin 外務大臣). Il accepte à condition d’avoir les moyens de négocier la paix avec le gouvernement chinois, obtenant le remplacement du ministre de l’Armée, Sugiyama Hajime 杉山元 (1880-1945), par Itagaki Seishirō.

Ugaki est toutefois loin d’avoir les coudées franches. Premier détenteur du portefeuille des Affaires étrangères à ne pas être issu du corps diplomatique, il peine à piloter une administration pétrie de traditions. Deux de ses prédécesseurs sont appelés à la rescousse dans le cadre d’un bureau des conseillers aux Affaires étrangères (gaikō komon 外交顧問) créé pour l’aider dans sa tâche. De son côté, l’Armée de terre fait pression pour que le Japon exige la démission de Jiang Jieshi, alors même qu’Ugaki est convaincu que l’éviction du généralissime n’aura aucune incidence sur le nationalisme chinois dont il s’est fait le chef de file. Sur ce point, Ugaki semble alors partager les vues de son chef du Bureau des affaires est-asiatiques (Tōa-kyoku 東亜局), Ishii Itarō. Après avoir lu et approuvé la “lettre d’opinion” (Ikensho 意見書) qu’Ishii a rédigée en juin 1938 à son attention, Ugaki organise une conférence de presse en septembre durant laquelle il reprend l’idée de “paix bismarkienne” avancée par Ishii, lui-même inspiré par Ishiwara Kanji : de même que la Prusse après sa victoire rapide contre l’Autriche en 1866 avait accordé une paix généreuse à cette dernière pour mieux se préparer au conflit à venir contre la France, le Japon doit se montrer magnanime afin de faire de la Chine une alliée contre l’URSS.

Aussi la nomination d’Ugaki réveille-t-elle parmi certains dirigeants chinois l’espoir d’une paix négociée. Elle est saluée par un télégramme de son ami Zhang Qun 張羣 (1889-1990), alors vice-président du Yuan exécutif (xingzhengyuan 行政院) et partisan d’une solution négociée au conflit. Zhang appelle Ugaki à entamer des discussions de paix et propose Wang Jingwei comme représentant de la partie chinoise. Ugaki lui répond que Wang ne convient pas car il est identifié par la population chinoise comme pro-japonais. Il suggère à sa place le président du Yuan exécutif et beau-frère de Jiang Jieshi, Kong Xiangxi. Ce dernier est déjà impliqué dans un canal de discussion initié début 1938 par d’anciens compagnons de route de Sun Yat-sen, Tōyama Mitsuru 頭山満 (1855-1944) et Kayano Nagatomo 萱野長知 (1873-1947). Après son entrée en fonction, Ugaki reprend en main ce canal en amorçant des négociations plus formelles qui prennent place à Hong Kong du 23 juin au 19 juillet puis du 17 août au 1er septembre 1938. Dans le même temps, il cherche à torpiller l'”Opération Watanabe” visant Gao Zongwu, et à travers lui Wang Jingwei, en critiquant le 8 juillet devant des journalistes le voyage censé rester secret de Gao dans l’archipel. À Hong Kong, Ugaki se fait représenter par le consul général Nakamura Toyoichi 中村豊一 (1895-1971), tandis que Kong dépêche l’un de ses secrétaires, Qiao Fusan 喬輔三. C’est lors de ces réunions que la question de la démission de Jiang Jieshi – condition entérinée par le gouvernement japonais le 8 juillet – est abordée pour la première fois. Nakamura a bien conscience que cette clause constitue un obstacle majeur, mais Ishii lui assure qu’il s’agit d’un simple choix tactique de la part d’Ugaki qui pourra y renoncer une fois les négociations entamées.

Avant de repartir au Japon pour consulter Ugaki, Nakamura reçoit de Qiao une liste de sept conditions formulées par Kong. Elle prévoit notamment un accord tripartite entre la Chine, le Japon et le Manzhouguo (autrement dit une reconnaissance indirecte de ce dernier par la Chine) et l’absence d’indemnités. Alors que les armées japonaises convergent vers Wuhan, Qian ajoute qu’il sera difficile de négocier la paix si la capitale provisoire du Gouvernement national tombe aux mains du Japon. En ce qui concerne l’éviction de Jiang, Kong se dit prêt à démissionner à la place de son beau-frère. Ugaki, quant à lui, accepte de renoncer aux indemnités exigées par le Japon et de se contenter d’une simple reconnaissance de facto du Manzhouguo… à condition que Jiang Jieshi quitte ses fonctions. En effet, avance-t-il, si une reconnaissance officielle du Manzhouguo par la Chine ne serait pas acceptée par l’opinion publique chinoise, il en va de même du maintien de Jiang, tenu par l’opinion japonaise comme le principal responsable de la guerre. Décidé à obtenir un résultat concret, Ugaki charge Nakamura de prévenir la partie chinoise qu’il souhaite organiser un sommet de paix à Taiwan ou à Nagasaki avec Kong Xiangxi. Ce dernier avertit Jiang Jieshi le 6 juillet des premiers résultats de ces discussions indirectes avec Ugaki, alors même que Jiang lui avait rappelé le 23 juin qu’il n’était pas autorisé à entrer en contact avec des représentants japonais.

L’échec du canal Ugaki-Kong devient patent en septembre 1938 en raison du refus de la partie chinoise de prendre la démission de Jiang comme prérequis, mais aussi de l’avancée des autres “opérations” de l’Armée de terre visant, sous la houlette de Doihara Kenji, à mettre sur pied un nouveau gouvernement central en Chine, tandis que débute le siège de Wuhan. Largement tenu dans l’ignorance de ces opérations, Ugaki assiste impuissant à la marginalisation du ministère des Affaires étrangères dans les affaires chinoises avec la décision d’instituer un nouvel organisme étatique chargé de centraliser la gestion de la zone occupée. Alors que les diplomates espèrent conserver la haute main sur les négociations, l’Armée de terre entend cantonner ces derniers aux simples tâches consulaires. Derrière cette lutte d’influence à Tokyo se joue l’orientation générale de la politique japonaise en Chine : le Gaimushō veut avoir les mains libres pour poursuivre ses négociations secrètes avec Chongqing, tandis que l’Armée souhaite accélérer la mise en place d’un nouveau gouvernement central. Konoe ayant donné raison à l’armée, Ugaki rend son portefeuille le 29 septembre 1938, en guise de protestation contre ce recul sans précédent des attributions du Gaimushō qu’institutionnalise l’établissement du Taishi-in 対支院 (Bureau pour la Chine) le 1er octobre 1938, rebaptisé Kōa-in 興亜院 (Institut pour le développement de l’Asie), le 16 décembre.

Par la suite, Ugaki continue à œuvrer en faveur des négociations avec Chongqing, même si sa position à propos du gouvernement chinois semble s’être durcie. À la veille de sa démission, il note ainsi dans son journal personnel que “le régime de Jiang et sa clique doivent être écrasés“. Du reste, le Gouvernement national réorganisé inauguré en mars 1940 avec Wang Jingwei à sa tête ne trouve pas plus grâce à ses yeux, comme le montre son attitude à la fin de la guerre. En septembre 1944, alors que les forces américaines s’apprêtent à débarquer aux Philippines, le Cabinet du général Koiso Kuniaki 小磯國昭 (1880-1950), un proche d’Ugaki nommé premier ministre après la chute de Tōjō Hideki le 22 juillet 1944, décide de relancer l’opération de paix visant Chongqing initiée le 21 septembre 1943. Présentée comme ne relevant pas d’un “stratagème [bōryaku 謀略]”, la nouvelle proposition de paix est particulièrement généreuse : si la reconnaissance de la souveraineté chinoise sur la Mandchourie est finalement écartée, elle prévoit tout de même un maintien du statu quo et une compensation territoriale (la restitution de Hong Kong, voire le Tonkin!), tandis qu’un départ des troupes d’occupation suivra celle des troupes anglo-américaines. Deux émissaires de marque sont chargés d’apporter la proposition à Nankin pour qu’elle soit ensuite transmise à Chongqing : Ugaki et le vice-ministre de l’Armée Shibayama Kenshirō. Comme l’écrit le représentant de la France, Roland de Margerie le 26 octobre 1944, « Au cours de son séjour à Changhai, [Ugaki] n’a fait aucun mystère du mépris que lui inspirent les dirigeants de Nankin ». De retour au Japon, il conseille même à Koiso de dissoudre le régime de Nankin afin d’être en mesure de mener des négociations directes avec Chongqing.

Écarté un temps des affaires publiques par l’épuration d’après-guerre, sans pour autant être inculpé, Ugaki est élu en 1953 à la chambre haute du Parlement japonais – la Chambre des conseillers (sangi’in 参議院), avant de décéder trois ans plus tard. Il laisse notamment un journal personnel qui couvre la période allant de septembre 1902 à juillet 1949 (Ugaki Kazushige nikki 宇垣一成日記, Misuzu shobō, 1968-1971, 3 vol.).

Sources : NRSJ, p. 24 ; KSDJ ; Dictionnaire historique du Japon, vol. 20, 1995, p. 11-12 ; Sims, p. 138 ; Brooks, p. 169, 180 ; Boyle 1970, p. 287 ; Boyle 1972, p. 140, 147-148, 155-162, 313- ; Shao Ming-huang 1996 ; Bunker 1972, p.83 ; Huang, Yang, 2001 p. 69-70 ; Akashi 1978, p. 269 ; Hsia Li-chu 2006, p. 136 ; JACAR B02032986000, p. 452 ; ADF 327.

Biographical Dictionary of Occupied China

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