Originaire de Shaoxing (Zhejiang), mais élevé dans le Shanxi, Yu Jinhe sort diplômé en 1906 du Centre de formation de la gendarmerie (kenpei renshūsho 憲兵練習所) de Tokyo, avant d’intégrer la prestigieuse École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校), dont il sort en 1911. De retour en Chine, il enseigne à l’École de gendarmerie (xianbing xuexiao 憲兵學校), encadrement notamment le recrutement d’instructeurs japonais à partir de 1919. Yu sert également comme conseiller au ministère de l’Armée (lujunbu canshi 陸軍部參事), alors dirigé par Jin Yunpeng 靳雲鵬 (1877-1951), dont il devient le chef d’état-major et le principal conseiller pour les relations avec le Japon durant ses mandats comme premier ministre (1919-1921). Au lendemain de la rétrocession de l’ancien territoire à bail allemand de Qingdao par le Japon en 1922, il prend la tête du Bureau des affaires portuaires (gangzhengju 港政局) de la ville, avant d’être recruté par la Compagnie Luda (Luda gongsi 魯大公司) dont l’un des fondateurs n’est autre que Jin Yunpeng. Cette entreprise sino-japonaise a été créée fin 1922 à la faveur des négociations entre Pékin et Tokyo prévues par la Conférence de Washington. Largement financée par la Mantetsu 満鉄 (Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien), elle permet au Japon de continuer à exploiter les anciennes mines allemandes de charbon, tout en enrichissant les militaristes et bureaucrates locaux. Dès cette époque, Yu est réputé dans les cercles lettrés pour ses talents de poète et de calligraphe.
Yu Jinhe retourne dans l’administration publique en février 1931 comme conseiller du gouvernement municipal de Qingdao et chef de son Bureau de la police (gong’anju 公安局). En septembre 1933, il est recruté par la municipalité spéciale de Beiping (Pékin) pour remplacer le général Bao Yulin 鮑毓麟 (1897-1995) au poste de chef du Bureau de la police. Cette décision prise par Nankin d’écarter un homme nommé trois ans plus tôt par Zhang Xueliang suscite quelques remous qui s’inscrivent dans un mécontentement plus large face aux nouvelles autorités nationalistes. Une foule d’un millier de personnes se présentant comme les délégués de résidents pékinois et de réfugiés mandchous occupe le Bureau de la police pour s’opposer au départ de Bao. Le maire de Pékin, Yuan Liang 袁良 (1883-1953), tente de calmer les manifestants en donnant un congé maladie de deux semaines à Yu et en promettant de consulter Nankin. Mais le départ de Bao est exigé par Huang Fu 黄郛 (1880-1936), originaire comme Yu de Shaoxing, qui vient de prendre la tête du Comité de règlement politique du Yuan exécutif à Beiping (xingzhengyuan zhuping zhengwu zhengli weiyuanhui 行政院駐平政務整理委員會). À la tête de la police de Pékin, Yu s’arroge un pouvoir qui dépasse ses prérogatives et empiètent sur celle du chef local de la gendarmerie (xianbing silingbu 憲兵司令部) Jiang Xiaoxian 蔣孝先 (1899-1936), ce qui amène le supérieur de ce dernier, Shao Wenkai 邵文凱 (1887-?), à se plaindre. Après avoir démissionné de son poste en août 1935, Yu occupe brièvement le poste de maire de Xiamen, en décembre 1935. L’année suivante, il intègre le ministère des Affaires étrangères en tant que chargé de mission (waijiaobu tepai zhuanyuan 外交部特派專員).
Au début de la guerre sino-japonaise, Yu retourne dans le Nord. Les circonstances exactes dans lesquelles il succède en janvier 1938 à Jiang Chaozong au poste de maire de Pékin (Beijing tebieshi gongshuzhang 北京特別市公署長) – charge qu’il cumule avec celle de chef de la Police (jingchaju juzhang 警察局局長), ne sont pas très claires. On peut néanmoins supposer que ses liens avec le chef de l’exécutif du Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府), Wang Kemin, également originaire du Zhejiang et qu’il a côtoyé en 1933-1935 à Pékin, ne sont pas étrangers à cette nomination. En outre, Yu est sans doute bien connu du principal “conseiller” du Gouvernement provisoire, Kita Seiichi, lequel est sorti un an après lui de l’École d’officiers de l’armée de terre. Peu après sa prise de fonctions, Yu pointe les difficultés financières auxquelles doit faire face le gouvernement municipal, dont les revenus sont à peine suffisants pour payer les salaires de ses fonctionnaires, alors même qu’il doit rembourser le prêt avec intérêts de 3 millions de yuans contracté par ses prédécesseurs. Dans ces conditions, la pression fiscale sur les habitants de Pékin s’accroît, tandis que la pauvreté s’étend. Yu réquisitionne un bâtiment de la Prison n°1 du Hebei pour y loger des mendiants arrêtés par les policiers sous ses ordres. L’internement de cette population qui atteint rapidement environ mille individus, se fait dans des conditions sanitaires désastreuses, entraînant la mort d’une partie d’entre eux. Yu n’en décide pas moins de transformer cette structure censée être temporaire en une institution pérenne. Au bout de six mois, les détenus sont triés : ceux ayant de la famille à Pékin sont libérés sous caution tandis que les autres sont placés dans des agences de recrutement pour ouvrier ou dans des structures humanitaires pour les plus faibles. Sous la pression des autorités de Nankin, qui cherchent à étendre leur contrôle sur le Nord, il est envisagé en décembre 1942 que Yu Jinhe et le maire de Nankin, Zhou Xuechang, échangent leur place. Au moment du remaniement de janvier 1943, qui voit arriver Zhu Shen à la tête du Conseil des affaires politiques de Chine du Nord (Huabei zhengwu weiyuanhui 華北政務委員會), Yu Jinhe doit finalement laisser le poste de maire de Pékin à Su Tiren. En compensation, il est promu de simple membre du comité du Conseil des affaires politiques de Chine du Nord à membre du Comité permanent (changwu weiyuan 常務委員). Il obtient, par ailleurs, la charge de commissaire du Bureau général de la construction (jianshe zongshu duban 建設總署督辦) à Pékin et un siège au Comité national économique (quanguo jingji weiyuanhui 全國經濟委員會) du Gouvernement national réorganisé de Nankin.
Après la capitulation du Japon en août 1945, Yu s’installe à Tianjin où il est arrêté par les autorités nationalistes en décembre. Il est détenu à Nankin à la “Prison du pont aux tigres” (laohuqiao jianyu 老虎橋監獄), dans une aile du bâtiment construite par les Japonais pour les pilotes américains, aux côtés d’une soixantaine de dirigeants du Gouvernement national réorganisé, tels que Zhou Fohai arrivé en septembre 1946. Le 5 février 1947, Zhou rapporte dans son journal de prison que trois codétenus, parmi lesquels Yu Jinhe, qui se sont vus refuser des soins par la Haute cour de justice de Nankin alors qu’ils étaient malades, sont morts au bout de trois jours.
Sources : Xu Youchun 2007, p. 699 ; SSY, p. 195 ; SKY, p. 74-75 ; Wright 1980 ; The North China Herald, 22/02/1919, 04/10/1933, 23/02/1938 ; The China Press, 10/09/1933, 12/09/1933, 15/09/1933, 30/09/1933 ; The China Weekly Review, 16/09/1933, 03/08/1935, 07/12/1935, 12/03/1938 ; Wakeman 2003, p. 122 ; MZN, p. 1056-1059, 1138-1139 ; Chen Janet 2013, p. 135 ; ADF 327, 07/12/1942 ; WGQY, p. 1614 ; ZR, p. 706, 1051, 1056.