[zi Renhe 人鶴]
Originaire de Minhou (Fujian), Chen Qun est le fils d’un marchand de papier et d’une ancienne fille de joie devenue sa concubine. Il sort diplômé de l’Académie de police de Fuzhou avant de partir en 1913 étudier le droit et la littérature au Japon, où il adhère au Parti révolutionnaire (gemingdang 革命黨) de Sun Yat-sen. De retour en Chine, il travaille pour le Gouvernement militaire de Canton. Après avoir pris part à l’Expédition du Nord sous le commandement de Bai Chongxi, il est chargé par Jiang Jieshi d’organiser l’épuration anti-communiste aux côtés de Yang Hu 楊虎 (1889-1966). Chen est le principal stratège de la mobilisation des hommes de la Bande verte (qingbang 青幫) pour cette entreprise. Afin de peser au sein de l’organisation criminelle, Chen et Yang sont cooptés comme disciples de Zhang Renkui 張仁奎 (1865-1944), ce qui les place au même rang générationnel que Huang Jinrong 黃金榮 (1868-1953) et un rang au-dessus de Du Yuesheng 杜月笙 (1888-1951) ; tous deux de célèbres parrains de la pègre shanghaienne. Afin de parfaire leur position dans l’organisation, ils nouent des liens de frères jurés avec ces derniers. Exécutants particulièrement zélés de la Terreur blanche (on attribue plus de 400 assassinats à leur groupe), Yang Hu et Chen Qun inspirent le jeu de mots de sinistre mémoire « yanghu chengqun 養虎成群 » (nourrir les tigres devenus légion).
À l’arrivée à Shanghai de Jiang Jieshi, Chen n’obtient que des postes subalternes. Lui qui espérait voir ses services mieux récompensés est snobé par le généralissime. Quelques mois plus tard, Chen s’installe au Japon avant de rentrer sur le même navire que Jiang qui ne lui adresse pas la parole. De retour à Shanghai, il enseigne un temps et fonde une maison d’édition (la Huatong shuju 華通書局) qui s’associera, pendant la guerre, avec le grand groupe Sanseidō 三省堂 pour éditer des ouvrages japonais. À la même époque, Chen ouvre également une école secondaire. Dans les deux cas, il bénéficie du soutien de Du Yuesheng. Chen compte parmi les principaux cadres de la Société de la persévérance (hengshe 恆社) établie en novembre 1932 par Du, qui cherche à développer ses réseaux dans les milieux politiques et industriels de Shanghai.
Après la réorganisation du Gouvernement nationaliste en décembre 1931, le nouveau président du Yuan exécutif, Sun Ke 孫科 (1891-1973), nomme Chen Qun vice-ministre de l’Intérieur (neizhengbu zhengwu cizhang 內政部政務次長) et chef du Bureau de la police de Nankin (shoudu jingchating 首都警察廳). Chen gravite alors dans l’entourage de Hu Hanmin 胡漢民 (1879-1936), à la droite du GMD. Suite à la chute du gouvernement de Sun Ke, fin janvier 1932, Chen quitte ses fonctions et rentre à Shanghai où il participe au mouvement anti-Jiang en liaison avec Hu Hanmin. Après la mort de ce dernier en mai 1936, Chen demeure à Shanghai où il collectionne les femmes et les livres.
C’est là qu’il est approché, fin 1937, pour participer au Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府) au sein duquel il exerce ses talents reconnus d’administrateur comme ministre de l’Intérieur (neizheng buzhang 內政部長). En juin 1938, il crée l’École de formation à l’administration de district du ministère de l’Intérieur (neizhengbu xianzheng xunliansuo 內政部縣政訓練所) qu’il dirige. Il consolide ainsi durablement son pouvoir au sein de l’État d’occupation en formant et en nommant des magistrats de district loyaux qui éditent la revue Xianzheng yanjiu 縣政研究 (Études sur l’administration de district) dont il confie la direction à son neveu Chen Xianglin 陳祥霖. C’est le cas en particulier à Hangzhou où il remplace les premiers collaborateurs par des hommes originaires comme lui de Minhou, dont certains, tels Xie Ke 謝愘, le suivent tout au long de la guerre à ses postes successifs. Il s’appuie également sur un ancien membre de la faction de Hu Hanmin, Deng Zuyu.
Au moment de la dissolution du Gouvernement réformé en 1940, Chen Qun découvre qu’il reste plus d’un million de yuans dans les caisses du ministère de l’Intérieur. Harada Kumakichi l’invite à investir cette somme dans une œuvre caritative ou éducative. Bibliophile invétéré, Chen achète des milliers de livres anciens et ouvre une bibliothèque au n°2 de la rue Yihe à Nankin, que Wang Jingwei baptise Zecun shuku 澤存書庫, en référence à un passage du Mémoire sur les rites 禮記. L’institution réunit, sur trois niveaux, des ouvrages issus des collections de plusieurs figures de la collaboration telles que Liang Hongzhi, Jiang Kanghu et Wang Jingwei, qui offre cinq mille volumes tirés de son cabinet de lettré, la Tour au double reflet (shuangzhaolou 雙照樓). En tout, ce sont pas moins de 400 000 ouvrages qui sont ainsi réunis, dont 45 000 livres rares. La plupart sont emportés à Taipei par la Bibliothèque nationale en 1949, le reste constituant le fonds initial de la section des livres anciens chinois de l’actuelle Bibliothèque de Nankin.
Chen Qun joue un rôle déterminant dans la transition de 1940. Le 8 janvier, après que Chen est venu lui expliquer comment il voyait la formation du nouveau régime, Zhou Fohai écrit à son sujet : « Il faudra tâcher d’amadouer cet homme à l’avenir, faute de quoi nous allons au-devant de nombreux obstacles. Mais, il y a encore trop de choses qui ne vont pas dans ce qu’il a dit ce soir. Il convient de faire attention à lui ». De fait, Chen conserve sous le gouvernement de Wang Jingwei un pouvoir réel, contrairement aux autres collaborateurs de la première heure qui ne peuvent se prévaloir de son passé nationaliste et de ses réseaux dans l’administration locale. Cette longévité s’explique également par ses bonnes relations avec l’occupant. Chen qui a séjourné à plusieurs reprises au Japon avant-guerre, visite régulièrement l’archipel durant l’occupation. Ministre de l’Intérieur jusqu’en septembre 1943, il remplace son ennemi Li Shiqun comme gouverneur du Jiangsu, après l’empoisonnement de ce dernier. Impliqué indirectement dans le scandale du ministère des Vivres (liangshibu 糧食部) début 1944, Chen Qun échappe à la prison mais il est démis de ses fonctions. En novembre 1944, il hérite du poste honorifique de président du Yuan d’examen (kaoshiyuan 考試院).
À un conseiller japonais qui lui propose, le jour de la capitulation, d’organiser son exil au Japon, Chen Qun aurait répondu qu’ayant sept femmes et vingt-quatre enfants, il risquait de conduire le Japon à la faillite. Trois jours plus tard, il se suicide après avoir rédigé un testament. Celui-ci s’ouvre sur une paraphrase d’un passage du Zuozhuan 左傳 : « Si personne n’était resté dans le pays après le départ du prince, qui aurait gardé les autels des esprits protecteurs du territoire et des grains ? Si personne ne s’en était allé avec le prince, qui aurait défendu aux frontières et au-delà les gardiens des bœufs et des chevaux ? [不有居者誰守社稜不有行者誰杆牧團] ». Dans cette version chinoise du glaive et du bouclier, Chen Qun se range dans la catégorie de ceux qui sont restés pour protéger la population. Phrase après phrase, il répète : « je suis un membre du Parti nationaliste ». En 1946, les autorités nationalistes saisissent un stock d’opium détourné et caché par Chen Qun durant l’occupation.
Sources : MRDC, p. 1002 sq. ; Wu Jiping 1997 ; Hu Lancheng 2009, p. 216 ; Martin 1996, p. 100, 180 ; Tsuchiya 2015 ; ZR, p. 226 ; Zhu Yayun 2017 ; Li Wenbin 1993 ; Ogawa 1985, p. 25-28 ; Li Lingling 1996, p. 69 sqq. ; Couvreur 1951, vol.1, p. 342-343 ; Martin 2003, p. 389.
A native of Minhou (Fujian), Chen Qun was the son of a paper merchant and a former fille de joie turned concubine. He graduated from the Fuzhou Police Academy before leaving in 1913 to study law and literature in Japan. There he joined Sun Yat-sen‘s Revolutionary Party (Gemingdang 革命黨). Back in China, Chen worked for the Canton Military Government. After taking part in the Northern Expedition under the command of Bai Chongxi, he was assigned by Jiang Jieshi to organize the anti-communist purge alongside Yang Hu 楊虎 (1889-1966).
As the main strategist of the operation, Chen mobilized the men of the Green Gang. In order to strengthen their position within it, Chen and Yang were co-opted as gang disciples of Zhang Renkui 張仁奎 (1865-1944), placing them in the same generational rank as Huang Jinrong 黃金榮 (1868-1953) and one rank above Du Yuesheng 杜月笙 (1888-1951); both famous bosses of the Shanghai mob. They further strengthened their position in the Green Gang by becoming sworn brothers with Huang and Du.
When Jiang Jieshi arrived in Shanghai, Chen was only given subordinate positions. He expected to be better rewarded for his services but was snubbed by the generalissimo. A few months later, Chen moved to Japan before returning on the same ship as Jiang who did not speak to him. Back in Shanghai, he taught for a while and started a publishing house (the Huatong shuju 華通書局) which would become associated with Sanseidō 三省堂 during the war to publish Japanese works. Around the same time, Chen also opened a high school. In both cases, he benefited from the support of Du Yuesheng. Chen was among the leading cadres of the Perseverance Society (hengshe 恆社) established in November 1932 by Du, who sought to expand his networks in Shanghai’s political and industrial circles.
After the reorganization of the Nationalist Government in December 1931, the new president of the Executive Yuan, Sun Ke 孫科 (1891-1973), appointed Chen Qun as Vice-Minister of the Interior (neizhengbu zhengwu cizhang 內政部政務次長) and head of the Nanjing Police Bureau (Shoudu jingchating 首都警察廳). During this period, Chen became close to Hu Hanmin 胡漢民 (1879-1936), the head of the GMD’s right-wing. Following the fall of Sun Ke‘s government in late January 1932, Chen left office and returned to Shanghai where he took part in the anti-Jiang movement along with Hu Hanmin. After Hu’s death in May 1936, Chen stayed in Shanghai where he indulged in his passion for collecting women and books.
He was approached in late 1937 to participate in the Reformed Government (Weixin zhengfu 維新政府). As Minister of the Interior (neizheng buzhang 內政部長), Chen was given the opportunity to display his administrative skills. In June 1938, he established the Ministry of the Interior District Administration Training School (Neizhengbu xianzheng xunliansuo 內政部縣政訓練所), which he headed. By training and appointing loyal district magistrates, Chen succeeded in consolidating his position within the occupation state. He also started a journal, the Xianzheng yanjiu 縣政研究 (Studies on District Administration), edited by his nephew Chen Xianglin 陳祥霖. Chen’s influence was particularly visible in Hangzhou where he replaced the local collaborators with men who came from Minhou like him. Some of them, such as Xie Ke 謝愘, followed Chen throughout the war in his successive posts. Chen also relied on a former member of Hu Hanmin‘s faction, Deng Zuyu.
When the Reformed government was dissolved in 1940, Chen Qun discovered that there was more than one million yuan left in the Ministry of the Interior’s treasury. Harada Kumakichi suggested that he invests this sum in charity or education. An avid bibliophile, Chen purchased thousands of ancient books and opened a library at No. 2 Yihe Street in Nanjing, which Wang Jingwei named Zecun shuku 澤存書庫, after a passage in the Book of Rites 禮記. The three-storey library gathered books owned by several prominent collaborationist figures, such as Liang Hongzhi, Jiang Kanghu and Wang Jingwei, who offered five thousand volumes from his Double-Shining Tower (Shuangzhaolou 雙照樓). Altogether, the holdings of Chen Qun’s library reached four hundred thousand volumes, including forty-five thousand rare books. Most of them were removed to Taipei by the National Central Library in 1949, while the rest formed the basis for the Ancient Chinese Books section of today’s Nanjing Library.
Chen Qun played a key role in the 1940 transition. On January 8, after a visit during which Chen offered his view on the formation of the new regime, Zhou Fohai wrote: “We must try to coax this man in the future, otherwise we will face many difficulties. But there are still too many things wrong with what he said tonight. We should be wary of him”. Indeed, Chen Qun retained real power in the Wang Jingwei government, unlike other members of the Reformed government who lacked Chen’s GMD background and networks in the local administration. This longevity was also the result of his close relationship with the occupier. Chen, who had stayed several times in Japan before the war, regularly visited the archipelago during the occupation. Chen served as Minister of the Interior until September 1943, when he replaced his enemy Li Shiqun as Governor of Jiangsu, after the latter’s assassination by poisoning. Indirectly involved in the scandal of the Ministry of Food (Liangshibu 糧食部) in early 1944, Chen Qun escaped prison but was removed from office. In November 1944, he was given the honorary position of chairman of the Examination Yuan (Kaoshiyuan 考試院).
The story goes that, on the day of Japan’s surrender, when a Japanese advisor proposed to organize his exile in Japan, Chen replied that, having seven wives and twenty-four children, he would drive Japan into bankruptcy. Three days later, Chen committed suicide after having written his will. It opened with a paraphrase of the Zuozhuan 左傳: “If no one had remained in the country after the prince’s departure, who would have guarded the altars of the protective spirits of the land and the grain? If no one had gone with the prince, who would have defended the guardians of the oxen and horses on the borders and beyond? [不有居者誰守社稜不有行者誰杆牧團]”. In this Chinese version of the sword and the shield, Chen Qun places himself in the category of those who stayed behind to protect the population. Sentence after sentence, he repeats, “I am a member of the Nationalist Party. In 1946, the Nationalist authorities seized a stock of opium that Chen Qun had embezzled and hidden during the war.