Né à Xiamen en 1889 (ou 1892 selon les sources), Su Xiwen étudie l’économie politique à l’Université de Waseda 早稲田大学 (Tokyo). De retour en Chine vers 1916, il travaille dans le commerce en Asie du Sud-Est et en Chine du Nord. Su occupe par la suite des postes intermédiaires dans l’administration provinciale du Guangdong et du Fujian. Membre du GMD proche de Hu Hanmin 胡漢民 (1879-1936), il est pris dans les luttes de factions et doit finalement quitter ses fonctions officielles. Su enseigne alors à Shanghai dans l’Université privée de la persévérance (chizhi daxue 持志大學) dirigée par He Shizhen et dont Hu Hanmin est membre du comité d’administration.
Il semble qu’il se rende par la suite à Taiwan. L’une des nombreuses rumeurs qui apparaissent au sujet de l’obscur Su Xiwen, lorsque sa nomination au poste de maire de Shanghai en 1937 le place sous le feu des projecteurs, fait en effet de lui un Taïwanais. Il est possible que, comme un certain nombre de Fujianais, Su ait bénéficié du statut de “personne enregistrée” (sekimin 籍民) délivré par l’administration coloniale japonaise aux Taïwanais installés sur le continent, mais également à leur famille étendue ; moyen pour le Japon de se prévaloir de ses “ressortissants” en Chine pour mieux peser sur les affaires intérieures du pays. Il se peut aussi qu’il ait, plus simplement, été confondu avec les Taïwanais espionnant en Chine pour le compte du Japon qui se faisaient passer pour fujianais afin d’écarter les soupçons.
On retrouve Su à l’automne 1935 à Xianghe 香河 (Hebei), où il participe au mouvement autonomiste paysan éphémère lancé par Nishimura Tenzō. Après cet échec, Nishimura voit dans l’occupation de la Chine par le Japon à partir de l’été 1937 l’occasion de réaliser ses projets. Il fait une nouvelle fois appel à Su qui, avec la bénédiction de Kagesa Sadaaki, est choisi pour diriger le gouvernement municipal de Shanghai, dit de la “Grande Voie” (dadao shizhengfu 大道市政府) inauguré le 5 décembre 1937. Cette organisation pro-japonaise se distingue des comités de maintien de l’ordre mis en place en Chine centrale. Outre que, à l’image de Su Xiwen, son personnel ne soit pas recruté parmi les notables locaux, le Gouvernement de la Grande Voie ambitionne d’être plus qu’un simple comité en étendant son autorité sur l’ensemble du “Grand Shanghai”. Su s’efforce ainsi d’intégrer dans son administration les comités de maintien de l’ordre (et leur ressources fiscales) établis dans le périmètre de l’ancienne municipalité spéciale, souvent en vain.
La particularité de son gouvernement municipal tient également au fait qu’il se dote d’une idéologie spécifique conçue par Nishimura, mais attribuée à Su Xiwen. Sous prétexte qu’il a été enseignant, ce dernier est présenté par la propagande comme un intellectuel ayant mûri avant-guerre une nouvelle philosophie politique opérant une synthèse entre bouddhisme et taoïsme qu’il nomme “esprit de la Grande Voie”. En plus de ses liens avec les services spéciaux japonais, Su s’appuie sur un réseau fujianais très présent au sein du Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府) établi en mars 1938, auquel s’ajoute les liens politiques tissés dans l’entourage de Hu Hanmin, dont sont issus plusieurs dirigeants pro-japonais comme Chen Qun (également fujianais), Chen Zhongfu, Miao Bin, ou encore Ren Yuandao. Comme tous les collaborateurs de premier plan, Su est la cible des agents de Chongqing. Il échappe à plusieurs tentatives d’assassinat, notamment le 15 avril 1938 lorsqu’une bombe explose dans une réunion à laquelle il participait.
Le 28 avril 1938, le Gouvernement municipal de la Grande Voie est intégré dans le Gouvernement réformé, prenant le nom de Commission municipale de Shanghai (duban Shanghai shizheng gongshu 督辦上海市政公署). Su Xiwen reste en place jusqu’à la création, en octobre 1938, de la municipalité spéciale de Shanghai (Shanghai tebieshi 上海特別市). Remplacé au poste de maire par Fu Xiao’an, Su conserve une certaine influence en tant que secrétaire-général (mishuzhang 秘書長). Il se voit également attribuer la direction du Bureau de l’Éducation (jiaoyuju 教育局) et prend la direction de l’École des femmes pour le développement de l’Asie (xingya nü xueyuan 興亞女學院) qui doit former les “nouvelles épouses bienveillantes et mères sages” (xin liangqi xianmu 新良妻賢母). Dépité d’être progressivement marginalisé par Fu, Su se plaint auprès de Nishimura, lui-même remplacé comme conseiller par Ishii Seiichi 石井成一. Le bruit court alors que Su espère obtenir la mairie de Hankou, qui vient de tomber aux mains des Japonais.
Après l’assassinat de Fu Xiao’an en octobre 1940, Su récupère le poste de maire, avant de le perdre à nouveau, un mois plus tard, au profit de Chen Gongbo. Par la suite, il dirige la S.A.R.L. des bateaux à vapeur de Chine (Zhonghua lunchuan gufen youxiangongsi 中華輪船股份有限公司) et le Comité de réorganisation des entreprises de transport maritime (hangye caichan zhengli weiyuanhui 航業財產整理委員會). Dans un article intitulé “Nihon no yarikata wa namanurui 日本のヤリ方は生温い” (La façon de faire du Japon est tiède), publié le 1er mai 1941 dans la revue Jitsugyō no sekai 実業之世界 (Le Monde de l’Industrie), Su n’hésite pas à reprocher publiquement à l’occupant de ne pas oser s’emparer de la concession internationale de Shanghai.
On retrouve cette même franchise dans les entretiens qu’accorde Su, en octobre 1941 et en avril 1943, à Kimura Hideo 木村英夫, journaliste du Shanhai mainichi shinbun 上海每日新聞 rattaché au consulat japonais de Shanghai. Leur contenu n’étant pas destiné à être rendu public, Su n’y retient pas ses mots. Il pointe les conditions dégradées dans lesquelles vit la population en zone occupée et sa propre impuissance à agir lorsqu’il était à la tête du Gouvernement de la Grande Voie, en raison de la mauvaise volonté de sa tutelle japonaise. En 1943, alors que la “nouvelle politique chinoise” censée accorder une plus grande autonomie au gouvernement de Wang Jingwei commence à entrer en vigueur, Su dénonce ce dernier comme un “régime criminel” dont la nuisance ira en grandissant si l’occupant lui transfère plus de pouvoir. Il décède à Shanghai le 30 juin 1945.
Sources : Brook 2005, p. 165 sqq. ; MRDC, p. 1660 ; MZN, p. 1135 ; Shieh 1995, p. 172 ; Seki 2019, p. 175, 181, 185-186, 193, 195-196, 490.