Né dans une famille de fonctionnaires originaire du district de Xiangxiang (Hunan), Luo Junqiang étudie à Changsha avant d’intégrer, en 1918, l’Académie Datong (datong xueyuan 大同學院) de Shanghai qu’il quitte prématurément en raison de sa santé fragile. L’année suivante, il part pour la France dans le cadre de l’Association travail-études (qingong jianxue 勤工儉學), mais doit, là encore, rentrer se soigner. De retour à Changsha, où il décroche enfin un diplôme, Luo participe au Mouvement patriote et démocrate des étudiants du Hunan (Hunan xuesheng aiguo minzhu yundong 湖南學生愛國民主運動) dirigé par Mao Zedong. Peu après avoir intégré les Jeunesses socialistes (Zhongguo shehui zhuyi qingniantuan 中國社會主義青年團) en 1922, il devient membre du PCC. Aux côtés de Li Lisan 李立三 (1899-1967), Luo est très actif dans l’opposition à Tan Yankai 譚延闓 (1880-1930) et Zhao Hengti 趙恆惕 (1880-1971). À l’été, il représente sa province au 2e Congrès du PCC à Shanghai. Critiqué par le Parti au printemps 1923 pour son deuil jugé excessif lors des funérailles de son père, Luo annonce qu’il quitte le PCC, mais revient sur sa décision l’année suivante. Après avoir échoué au concours d’entrée de l’Université de Pékin, il travaille pour le PCC au Hunan. Contraint au repos par la maladie et ébranlé dans sa foi révolutionnaire, il quitte de nouveau le Parti.
À l’automne 1925, Luo entre à l’Université Daxia 大夏 et devient membre du GMD. Il interrompt une nouvelle fois ses études en décembre 1926 et part à Wuhan, en pleine Expédition du Nord (beifa 北伐), pour servir comme instructeur politique sous les ordres de Zhang Zhizhong 張治中 (1895-1969). Peu après, il est muté dans la branche locale de l’Académie militaire centrale (zhongyang junshi zhengzhi xuexiao 中央軍事政治學校), dont il dirige la revue Geming shenghuo 革命生活 (Vie révolutionnaire). Luo se lie alors d’amitié avec son compatriote hunanais Zhou Fohai qui dirige le département politique de l’établissement. En septembre 1927, Luo quitte Wuhan pour Nankin et obtient un poste à l’Académie militaire centrale (zhongyang lujun junguan xuexiao 中央陸軍軍官學校). Durant la « décennie de Nankin », Luo assiste Jiang Jieshi dans sa lutte contre le PCC comme secrétaire de son quartier général durant les “campagnes d’encerclement et d’extermination” (weijiao 圍剿), magistrat du district de Haining 海寧 (Zhejiang) ou encore comme éditeur de publications anticommunistes.
À la veille de la guerre, Luo est nommé secrétaire au Comité des affaires militaires (junshi weiyuanhui 軍事委員會) et travaille au sein du bureau personnel de Jiang en compagnie de Zhou Fohai. En février 1938, il participe à l’Association de recherche en art et littérature (yiwen yanjiuhui 藝文研究會) lancée par ce dernier pour lutter contre la diffusion des idées communistes à la faveur du front uni. À la fin de l’année 1938, Luo est démis de ses fonctions après que Dai Li 戴笠 (1897-1946) a transmis à Jiang Jieshi un dossier sur ses mœurs dissolues. En février 1939, Luo rallie le Mouvement pour la paix de Wang Jingwei en quittant Chongqing pour Hanoï puis Hongkong. Il participe activement aux préparatifs en vue de la formation du nouveau gouvernement en recrutant le personnel politique pour la tenue du “6e congrès” du GMD “orthodoxe” qui se tient à Shanghai en août 1939. Au moment de l’installation du nouveau régime à Nankin, Luo est chargé, au sein du Comité préparatoire du retour à la capitale du Gouvernement national (guofu huandu choubei weiyuanhui 國府還都籌備委員會), de l’installation de l’administration dans les bureaux occupés par les Japonais et par le Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府).
Principal bras droit de Zhou Fohai, Luo organise pour lui une véritable faction en cherchant à contrôler l’accès à sa personne. C’est du moins ainsi que le décrit Jin Xiongbai qui, comme beaucoup d’autres, pointe son goût pour les intrigues. Zhou Fohai, lui-même, note, le 9 janvier 1940, qu’il lui faudra prendre des mesures contre le « comportement puéril de Junqiang », alors qu’il s’inquiète des rumeurs au sujet de sa volonté de former une « nouvelle clique CC ». Après avoir favorisé l’ascension de Li Shiqun, Luo s’en fait un ennemi farouche en obtenant de Zhou de diriger sa Brigade fiscale (shuijing tuan 税警團), alors même que l’idée venait de Li. Cette propension à se faire détester explique peut-être que, malgré sa proximité avec Zhou, Luo se voit offrir, en mars 1940, le poste le moins convoité du régime : celui de président du Comité des zones frontalières (bianjiang weiyuanhui 邊疆委員會). Bien conscients que l’autorité du gouvernement s’étend à peine jusqu’aux murailles de la capitale, ses collègues se gaussent de cette sinécure censée traiter des affaires mongoles et tibétaines. Luo n’en reste pas moins occupé du matin au soir. Zhou Fohai lui confie la direction de plusieurs journaux comme le Zhongbao 中報 (Journal du centre) de Nankin. Mettant toute son énergie dans l’organisation de la Brigade fiscale à Shanghai, il réside rarement dans la capitale. Fort de l’expérience acquise au cours des « campagnes d’encerclement » contre les soviets dans les années 1930, Luo contribue à l’adoption d’une stratégie similaire par le gouvernement de Wang Jingwei en 1941. C’est lui qui conseille d’employer le terme « pacification rurale » (qingxiang 清鄉) plutôt qu’ « épuration » (suqing 肅清). Pressenti à la tête du comité chargé de mettre en œuvre cette politique, Luo est coiffé sur le poteau par Li Shiqun qui, grâce à ses appuis japonais, tient ainsi sa revanche.
Ministre de la Justice (sifa xingzhengbu buzhang 司法行政部部長) entre novembre 1942 et décembre 1943, Luo lutte contre la corruption du système judiciaire qu’il réorganise à son profit en nommant des fonctionnaires loyaux. À cette époque, il aide Zhou dans son travail secret pour le compte de Chongqing, aux côtés de Xiong Jiandong. Ses relations avec ce dernier s’enveniment toutefois. En novembre 1943, des troupes placées sous l’autorité de Luo sont responsables de la mort de neuf policiers dans l’ancienne concession française de Shanghai. Les Japonais font alors pression pour que Xiong remplace Luo à la tête de la Brigade fiscale. En guise de compromis, le poste est donné à Zhou Fohai avec Xiong comme second. Luo est, quant à lui, nommé gouverneur de l’Anhui. À ce poste, il sert d’intermédiaire entre Zhou et les généraux nationalistes postés dans la région qui préparent la reconquête de la zone occupée. En janvier 1945, Luo suit Zhou à Shanghai comme secrétaire général du gouvernement municipal. Cette position, en apparence modeste, lui confère en réalité plus de pouvoir qu’il n’en a jamais eu comme ministre ou gouverneur. Lors de sa prise de fonction, il se compare à un chien féroce prêt à s’attaquer aux mauvais fonctionnaires. De fait, il fait fusiller deux policiers véreux et gagne même le surnom de « Luo l’intègre » (Luo Qingtian 羅青天). Impliqué aux côtés de Zhou dans l’aide secrète à Chongqing à travers ses contacts avec le Juntong 軍統 de Dai Li, Luo n’est pas récompensé à la libération.
Il est arrêté le 30 septembre 1945 et jugé en mars 1947. S’il échappe à la peine capitale pour services rendus à la résistance, dont atteste une lettre envoyée par Dai Li, il est condamné à la prison à vie. Après avoir passé plus de deux décennies derrière les barreaux, il bénéficie d’une libération conditionnelle pour raisons médicales et décède peu après. Entre-temps, il laisse un témoignage important sur le gouvernement de Wang Jingwei connu sous le titre « Weiting youying lu 偽廷幽影錄 (La face cachée de la cour fantoche) ».
Sources : MRZ, vol. 5, p. 173-178 ; MRDC, p. 1629 ; Huang Meizhen 1982 ; Lin Kezhan 1983 ; Luo Junqiang 2010 ; Xia Bei 1993 ; WKS, p. 147 sqq. ; ZR, p. 227 ; SWHB, p. 870-925.