[Également transcrit Thung Liang Lee]
Né à Java dans une famille originaire du Fujian (son nom indonésien est Tubagus Pranata Tirtawidjaya), Tang Liangli étudie à Vienne et Londres où il obtient, en 1925, une licence d’économie. En 1928, il rencontre à Paris Wang Jingwei, qui lui fait une profonde impression. L’année suivante, Tang est nommé correspondant du Comité exécutif central du GMD en Europe (zhongyang zhixing weiyuanhui zhu-Ou tongxun zhuren 中央執行委員會駐歐通訊主任). Après plusieurs années passées à Londres, où il publie des ouvrages anti-impérialistes tels que China in Revolt: How a Civilization Became a Nation (1927), Tang s’installe en Chine en 1930. Secrétaire privé de Wang Jingwei, il travaille comme correspondant pour des journaux comme The New York Times, tout en poursuivant une œuvre prolifique d’essayiste comprenant une biographie de Wang (1931), une étude sur la suppression des « bandits communistes » (1934) ou encore sur la nouvelle monnaie chinoise (1936). Tang lance également le bimensuel The People’s Tribune, dans lequel il diffuse ses idées sur la place de la Chine dans l’ordre international. Très critique à l’égard de la Société des Nations, Tang prône une diplomatie chinoise indépendante ; un sentiment renforcé par l’impuissance occidentale après l’invasion japonaise en Mandchourie.
Ces attaques, qui visent en Chine des diplomates comme Wellington Koo (Gu Weijun) 顧維鈞 (1887-1985), s’inscrivent, plus largement, dans une réflexion sur l’impérialisme et la notion de civilisation. L’universalisme prôné par la Société des Nations cache, à ses yeux, la perpétuation d’une hiérarchie raciale reléguant la Chine, mais aussi le Japon, au rang d’inférieurs. En 1933, il est nommé conseiller au ministère de Affaires étrangères (waijiaobu 外交部) par Wang Jingwei qui vient d’en prendre la tête. Son rejet des démocraties occidentales conduit Tang à saluer la rapidité avec laquelle les régimes fascistes ont transformé la société, tout en regrettant la cruauté et la sottise de certaines de leurs mesures. Il laisse ainsi s’exprimer dans sa revue des commentaires favorables au nazisme, qui suggèrent des similitudes entre le socialisme du IIIe Reich et le « bien-être du peuple » de Sun Yat-sen.
Resté à Shanghai au début de la guerre, Tang participe au Mouvement pour la paix de Wang Jingwei en tant que membre du Comité de propagande établi, en mai 1939, sous la direction de Lin Baisheng. Au moment de la formation du nouveau gouvernement en mars 1940, il est désigné chef du bureau international au sein du ministère de la Propagande (xuanchuanbu 宣傳部). Si sa proximité avec Wang lui donne un certain pouvoir, Tang est peu apprécié en raison d’un caractère difficile, mais aussi parce qu’il parle mal le chinois et ne l’écrit pas. Le consul Pierre Salade rapporte ainsi, en janvier 1941, que Tang « semble avoir fait contre sa personne une quasi-unanimité au sein du gouvernement de Nankin » et devrait, pour cette raison, être éloigné sous le prétexte d’une mission de propagande en Europe. Après l’abandon de ce projet, il est nommé au ministère des Affaires étrangères comme vice-ministre chargé des affaires politiques (waijiaobu zhengwu cizhang 外交部政務次長) entre mai et octobre 1941. Salade explique également cette mission par le fait que « les milieux diplomatiques japonais l’auraient choisi comme bouc émissaire et lui reprocheraient d’avoir largement contribué à envenimer localement les rapports nippo-américains ». Fondateur de la Ligue anti-américaine, celui que le Times surnomme en 1940 le « Goebbels chinois » est, de fait, très actif à Shanghai où il tente de recruter dans les milieux étudiants et syndicaux. Il organise de nombreux meetings dénonçant les visées impérialistes des États-Unis en Chine. Ce discours cible plus particulièrement ce que Tang nomme le « judéo-américanisme ».
Avant-guerre déjà, il avait fait des missionnaires protestants les principaux agents de l’impérialisme occidental en liant ceux-ci à la présence juive en Chine. Il développe l’idée que le monde anglo-saxon mène une croisade contre les nations orientales jugées païennes (Chine, Japon, Inde). Ce panasiatisme justifiant la collaboration s’exprime également dans la réédition de textes de Sun Yat-sen sur la fraternité sino-japonaise. Antisémite virulent, Tang fait remonter « l’invasion juive en Chine » à l’installation en 1832 de la famille Sassoon enrichie grâce au trafic de l’opium. Les juifs sont accusés de nourrir le différend sino-japonais en soutenant les « activités terroristes de Chongqing » contre l’harmonie de la « nouvelle sphère de la Grande Asie ». C’est dans cet esprit que, le 8 août 1940, un décret est soumis à Nankin qui vise à contrôler les ressortissants des « pays tiers ». Les réfugiés juifs de Shanghai y sont stigmatisés comme « ennemis de l’Ordre nouveau », espionnant pour le compte de Jiang Jieshi. Entre 1940 et 1943, des opérations sont menées par les autorités japonaises, notamment la spoliation et l’expulsion des juifs du quartier de Hongkou 虹口, en octobre 1940, et l’internement de l’ensemble des juifs de Shanghai dans des camps de concentration début 1943. En mars, Tang est chargé de mettre en place la censure des agences de presse et autres stations radiophoniques des pays neutres, afin de défendre les intérêts du gouvernement collaborateur. Les chancelleries doutent de la capacité de ce dernier à appliquer cette nouvelle réglementation mais s’inquiètent que Tang, « connu pour sa xénophobie », ne fasse du zèle.
Arrêté au lendemain de la guerre, Tang est libéré avant 1949. Il retourne alors en Indonésie où il participe, aux côtés de Liem Koen Hian 林群賢 (1896-1952), à la fondation en mars 1950 du Persatuan Tenaga Indonesia (Union des forces indonésiennes). Ce parti politique défend l’assimilation des Sino-indonésiens et s’oppose au Persatuan Tionghoa (Union chinoise), organisation communautariste favorable aux colons hollandais. Par la suite, Tang travaille au ministère de la Propagande de la jeune République indonésienne. Après le « mouvement du 30 septembre 1965 », qui voit le massacre de milliers de Communistes, il organise avec plusieurs universitaires l’Association d’étude indonésienne sur les affaires internationales et lance, en 1969, une revue sur le sujet. Quelques mois avant sa mort, Tang livre un témoignage, abordant notamment le rôle de Wang Jingwei, à l’historien Tatsuo Yamada 山田辰雄 qui le publie en 1972.
Sources : Xu Youchun 2007, p. 2064 ; Tsuchiya 2012 ; Clinton 2014 ; Scott 2008, p. 255 et passim ; Kirby 1984, p. 166 ; Chiu 2008, p. 107 ; Zhou Xun 2001, p. 147 sqq. ; The People’s Tribune, vol. 29, fév. 1940 ; ADF 327 ; MZN, p. 1076 ; Yang Baoyun 2001, p. 485 ; Suryadinata 1977.