Originaire de Cixi, près de Ningbo (Zhejiang), né dans la concession française de Shanghai, Mu Shiying est le fils d’un banquier mort de dépression après avoir connu la ruine. Il étudie la littérature occidentale à l’Université Guanghua (guanghua daxue 光華大學) de Shanghai. Après s’être essayé au conte chevaleresque marxiste, Mu écrit sur son milieu de dandy shanghaien. Sa nouvelle la plus célèbre, « Shanghai de hubuwu 上海的狐步舞 (Le fox-trot de Shanghai) », est une déambulation entêtante dans les night-clubs et les allées obscures d’un Shanghai décrit comme un « paradis construit sur l’enfer ». Immédiatement reconnu pour son style novateur, Mu s’impose comme le représentant le plus talentueux de l’« école néo-sensationniste » (xin ganjue pai 新感覺派), importée du Japon par son ami Liu Na’ou 劉吶鷗 (1905-1940).
À la suite de Liu, Mu est influencé par Paul Morand (1888-1976) et Yokomitsu Riichi 横光利一 (1898-1947). Il entretient une amitié avec ce dernier, que son modernisme littéraire conduira à se faire le héraut de l’impérialisme nippon. La prédilection de Mu Shiying pour la bourgeoisie hédoniste lui vaut le mépris des membres de la Ligue des écrivains de gauche (Zhongguo zuoyi zuojia lianmeng 中國左翼作家聯盟) comme Lu Xun ou Qu Qiubai 瞿秋白 (1899-1935), et les critiques d’écrivains conservateurs comme Shen Congwen 沈從文 (1902-1988). Son cas s’aggrave aux yeux des premiers lorsqu’il devient, en 1934, éditeur du supplément littéraire du Chenbao 晨報 (Le Matin), dirigé par Pan Gongzhan 潘公展 (1895-1975), chef du bureau de l’Éducation de Shanghai et cadre de la clique CC. Passionné de cinéma, Mu défend, aux côtés de Liu Na’ou, les films de divertissement (ruanxing dianying 軟性電影) contre les intellectuels de gauche. En avril 1936, il part pour Hong Kong à la suite de son épouse.
Surpris par la guerre, il reste dans la colonie britannique et commence à travailler pour la revue Shijie zhanwang 世界展望 (Perspectives mondiales), début 1938. Celle-ci est contrôlée par la Société de rédaction et de traduction internationale (guoji bianyi she 國際編譯社) dirigée par Lin Baisheng, dans le cadre de l’Association de recherche en art et littérature (yiwen yanjiuhui 藝文研究會), qui sert de matrice au Mouvement pour la paix de Wang Jingwei. Ainsi, Mu devient proche de Lin et de Hu Lancheng et suit le groupe de Wang Jingwei à Shanghai, où il devient une figure importante de la scène culturelle pro-japonaise. Il accompagne notamment une délégation de l’industrie cinématographique au Japon. Mu écrit pour les organes de la propagande, tels que le Zhonghua ribao 中華日報, dans lequel il signe ses articles sous le pseudonyme Longqi 龍七. À la fondation du régime de Wang Jingwei en mars 1940, Mu est nommé à la tête du bureau des Nouvelles (xinwen xuanchuan chu 新聞宣傳處) du ministère de la Propagande (xuanchuanbu 宣傳部). Il dirige également la revue Guomin xinwen 國民新聞 (Nouvelles du citoyen).
Le 28 juin 1940, il est abattu dans les rues de Shanghai et décède à l’âge de 28 ans. Son ami Liu Na’ou est, à son tour, assassiné le 3 septembre 1940. En 1972, une revue de Hong Kong publie le témoignage d’un certain Ji Kangyi 嵇康裔. Celui-ci affirme avoir chargé Mu Shiying, en novembre 1939, d’infiltrer le l’organisation de Wang Jingwei pour le compte des services secrets civils de Chongqing (Zhongtong 中統). L’assassinat de Mu par les services secrets militaires (Juntong 軍統) l’année suivante serait une bavure causée par le manque de communication entre les deux polices politiques de Chongqing. Dans une enquête récente, Jie Zhixi avance que le vrai nom de cet agent est sans doute Ji Xizong 嵇希宗/Ji Xicong 嵇希琮 ; lui-même un membre du Zhongtong apparenté au chef de celui-ci, Chen Lifu 陳立夫 (1900-2001). En réalité, Ji était alors prisonnier du n°76 (la police politique pro-japonaise), pour lequel il travaille ensuite. La réhabilitation de Mu Shiying comme héros méconnu de la résistance serait donc infondée. À défaut d’être débarrassé de son étiquette de “hanjian 漢奸” (traître à la nation), Mu a bénéficié, au même titre qu’Eileen Chang (Zhang Ailing 張愛玲, 1920-1995) – elle aussi liée au régime collaborateur de Nankin, de la redécouverte du « style shanghaien » (haipai 海派) dans les années 1980. Il a, depuis, fait l’objet de nombreuses études et traductions.
Sources : Shih 2001, p. 29, 302-338 ; Field 2014 ; Chen Sihe 2004 ; Rabut 1996, p. 189-213 ; Jie Zhixi 2016.