Issu d’un milieu modeste – son père est maçon – Hirota Kōki est un enfant brillant qui se passionne pour les classiques confucéens et la calligraphie dès son plus jeune âge. Il est décidé à s’engager dans l’armée après la Triple intervention de 1895, qui voit l’Allemagne, la France et la Russie dénier au Japon le droit de s’emparer de la péninsule du Liaodong après sa victoire sur la Chine. Finalement, il opte pour la diplomatie et part comme pensionnaire dans le meilleur lycée de Tokyo. À son arrivée dans la capitale, il rend régulièrement visite à Tōyama Mitsuru 頭山満 (1855-1944), originaire comme lui de Fukuoka et influent fondateur de la Genyōsha 玄洋社 (Société du Détroit de Corée), une association ultranationaliste qui finance alors la lutte anti-mandchoue de Sun Yat-sen. Tōyama le présente à Yamaza Enjirō 山座円次郎 (1866-1914), un autre compatriote de Fukuoka qui dirige le Bureau des affaires politiques du ministère des Affaires étrangères (gaimushō 外務省). Suivant les traces de son nouveau mentor, Hirota empreinte la voie royale des diplomates en sortant diplômé de la faculté de droit de l’Université impériale de Tokyo, avant de finir major au concours d’entrée du Gaimushō en 1906, la même année que Yoshida Shigeru 吉田茂 (1878-1967). Entre-temps, Yamaza le charge de collecter des renseignements sur le continent. C’est ainsi qu’en 1903, Hirota passe ses vacances d’été à sillonner la Mandchourie à la veille de la Guerre russo-japonaise.
La carrière diplomatique conduit notamment Hirota à être nommé deux fois à Pékin, en 1907 comme stagiaire et en 1914 comme second de Yamaza, et à occuper le poste d’ambassadeur à Moscou entre 1928 et 1932. Ministre des Affaires étrangères entre 1933 et 1936, il incarne une politique extérieure tour à tour conciliante et agressive. Si elle peut apparaître contradictoire, analyse Michel Vié, elle reste cohérente dans sa volonté de rendre permanente l’hégémonie du Japon en Chine. Dans un discours remarqué devant la Diète, début 1935, Hirota se déclare optimiste au sujet des relations sino-japonaises et promet qu’une guerre n’éclatera pas sous son mandat. Cette volonté affichée d’améliorer les relations sino-japonaises est concrétisée le 18 mai 1935 par l’élévation au rang d’ambassadeur du représentant du Japon à Nankin. Dans le même temps, toutefois, Hirota favorise la stratégie de morcellement en Chine du Nord portée par Doihara Kenji et publie, le 28 octobre 1935, ce qui restera comme les « Trois principes d’Hirota » (Hirota sangensoku 廣田原則), qui fixent la politique impérialiste japonaise en Chine et annoncent les objectifs de guerre du Japon après 1937. Ces principes exigent du gouvernement chinois qu’il (1) abandonne sa politique anti-japonaise et ses liens avec les puissances occidentales au profit d’une relation privilégiée avec le Japon ; (2) reconnaisse le Manzhouguo et développe des liens économiques avec lui ; (3) coopère pleinement avec le Japon pour lutter contre les communistes. Comme ministre, Hirota contribue à transformer l’état d’esprit du Gaimushō. Alors que les diplomates japonais s’identifient depuis l’ère Meiji aux élites anglo-américaines, il affecte un style “continental” (tairikuteki 大陸的), c’est-à-dire oriental, en manifestant notamment son goût pour le bouddhisme Zen.
Devenu premier ministre à la suite de l’”Incident du 26 février 1936“, il signe le Pacte anti-Komintern et donne satisfaction aux militaires. C’est en effet sous son mandat que les crédits de l’armée sont doublés et qu’est rétablie la pratique consistant à nommer des militaires d’active aux postes de ministres de l’Armée et de la Marine, qui offre de fait un droit de veto dans les affaires civiles aux militaires. Ces derniers ne tardent pas à en faire usage en refusant de remplacer le ministre de l’Armée démissionnaire suite à des critiques, obtenant ainsi la chute du Cabinet Hirota le 23 janvier 1937. Hirota retrouve le portefeuille des Affaires étrangères en juin 1937, dans le premier Cabinet Konoe. Si sa marge de manœuvre est très étroite, voire nulle, il ne semble pas avoir cherché à imposer une solution diplomatique au conflit. Il ne prévient l’ambassadeur allemand Herbert von Dirksen (1882-1955) de l’existence d’un ultimatum dans les négociations avec le gouvernement chinois que le 16 janvier 1938, soit après son expiration. Son attitude est critiquée au sein du Gaimushō par les partisans de la désescalade tels que Ishii Itarō, exaspérés que Hirota ne tienne pas plus tête aux militaires. Ishii note dans son journal personnel à la date du 17 juillet 1937 : “Je n’avais pas imaginé que le ministre des Affaires étrangères Hirota était à ce point opportuniste et inconstant.” (Brooks 2000, p. 182).
Chose inédite dans l’histoire du ministère, il est remplacé en mai 1938 par un militaire, Ugaki Kazushige. Dans ses mémoires, l’ambassadeur américain à l’époque, Joseph Grew (1880-1965), livre l’analyse suivante de son éviction : “Hirota had fallen because he was too weak in opposing the Army while at the same time insisting that the Foreign Office has control of Japan’s foreign relations in China.” (Brooks 2000, p. 180). Bien que nommé à la Chambre des Pairs par l’empereur, il se place en retrait de la vie publique. Pour autant, son nom est évoqué pour le poste de premier ministre à chaque remaniement et il continue d’être régulièrement consulté, quoique ses avis ne soient généralement pas suivis. Dans les derniers jours de la guerre, il rencontre l’ambassadeur de l’Union soviétique Yakov Malik (1906-1980) pour transmettre la liste des cadeaux que le Japon est prêt à offrir en échange d’un maintien du pacte de non-agression. Mais il est déjà trop tard. L’invasion de la Mandchourie par les troupes soviétique, le 8 août 1945, porte un coup fatal à l’Empire du Grand Japon.
Jugé après-guerre par le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, Hirota ne prononce pas un seul mot de tout le procès, y compris lorsqu’il apprend le suicide de son épouse. Cette attitude, que certains attribuent à l’influence du Zen, explique en partie qu’il soit le seul civil à être exécuté comme criminel de guerre de classe A. Il est, en particulier, rendu responsable du massacre perpétré à Nankin alors qu’il était ministre des Affaires étrangères, aux côtés du général Matsui Iwane 松井石根 (1878-1948) bien plus impliqué en tant que commandant en chef de l’Armée régionale de Chine centrale. Alors même qu’Ishii Itarō témoigne lors du procès que Hirota lui a demandé de mettre en garde le ministère de l’Armée contre les exactions commises à Nankin et que l’ancien ambassadeur britannique au Japon, Robert Craigie (1883-1959), dénonce une erreur de justice visant à offrir à la Chine un bouc émissaire, Hirota est condamné pour ne pas avoir suffisamment fait pression sur son gouvernement pour mettre fin au massacre. Son statut d’unique « martyr » du Gaimushō lui vaut de voir sa responsabilité dans la guerre sino-japonaise largement atténuée par ses collègues. Dans les biographies et mémoires qu’ils publient après-guerre, ils font d’Hirota la victime de l’ascendant pris par les militaires sur les diplomates dans les affaires extérieures du Japon. Son soutien aux faucons de l’armée dans les premiers mois de la guerre s’inscrit pourtant dans une politique extérieure cohérente incarnée par Hirota depuis 1933 comme ministre des Affaires étrangères et premier ministre.
Sources : NKJRJ, p. 436 ; KSDJ ; Dictionnaire historique du Japon, vol. 8, 1982, p. 17-19 ; Shiroyama 1989 ; Brooks 2000, p. 62 sqq., 74, 129, 151, 180 sqq. ; Vié 1995, p. 189, 198 ; IMTFE {48,595} ; Boyle 1972, p. 78, 145 ; Brook 2001b, p. 683.
Coming from a modest background – his father was a stonemason – Hirota Kōki was a brilliant child who had a passion for Confucian classics and calligraphy from an early age. He decided to join the army after the Triple Intervention of 1895, which saw Germany, France and Russia deny Japan the right to seize the Liaodong Peninsula after its victory over China. Eventually, he opted for diplomacy and left to study at the best high school in Tokyo as a boarder. Once in the capital, he regularly visited Tōyama Mitsuru 頭山 満 (1855-1944), a native of Fukuoka and an influential founder of the Genyōsha 玄洋社 (Korea Strait Society), an ultranationalist association that was then funding Sun Yat-sen’s anti-Manchu struggle. Tōyama introduced him to Yamaza Enjirō 山座円次郎 (1866-1914), a fellow countryman of Fukuoka who headed the Gaimushō Political Affairs Bureau. Taking his new mentor’s cue, Hirota completed the diplomats’ voie royale by graduating from Tokyo Imperial University’s law school, before finishing first at the Gaimushō’s entrance examination in 1906, the same year as Yoshida Shigeru 吉田茂 (1878-1967). In the meantime, Yamaza instructed him to collect intelligence on the continent. So in 1903, Hirota spent his summer vacation crisscrossing Manchuria on the eve of the Russo-Japanese War.
Hirota’s diplomatic career led him to be appointed twice to Beijing, in 1907 as a trainee and in 1914 as Yamaza’s deputy, and to serve as ambassador to Moscow between 1928 and 1932. Minister of Foreign Affairs between 1933 and 1936, he embodied a foreign policy that was alternately conciliatory and aggressive. While it may appear contradictory, according to Michel Vié, it was consistent in its desire to make Japan’s hegemony in China permanent. In a speech to the Diet in early 1935, Hirota declared himself optimistic about Sino-Japanese relations and promised that a war would not break out under his mandate. This willingness to improve Sino-Japanese relations was materialized on May 18, 1935 by the upgrading of the Japanese representative in Nanjing to ambassador. At the same time, however, Hirota favored the strategy of fragmentation in North China carried by Doihara Kenji and published, on October 28, 1935, what would become known as “Hirota’s Three Principles” (Hirota sangensoku 廣田原則), which set Japan’s imperialist policy in China and announced Japan’s war aims after 1937. These principles required the Chinese government to (1) renounce its anti-Japanese policy and its ties with Western powers in favor of a closer relationship with Japan; (2) recognize Manzhouguo and develop economic ties with it; and (3) cooperate fully with Japan in fighting the Communists. As a minister, Hirota contributed to transform the mindset of the Gaimushō. While Japanese diplomats since the Meiji era had identified with Anglo-American elites, he affected a “continental” (tairikuteki 大陸的), i.e., oriental, style, displaying in particular his taste for Zen Buddhism.
Having become Prime Minister in 1936 following the February 26 Incident, he signed the Anti-Komintern Pact and gave satisfaction to the military. It was during his term of office that army credits were doubled and that the practice of appointing active military personnel to the posts of Ministers of the Army and the Navy was re-established, giving the military a veto in civil affairs. The military soon made use of this right by refusing to replace the Minister of the Army who resigned following criticism, thus bringing down the Hirota Cabinet on 23 January 1937. Hirota regained the Foreign Affairs portfolio in June 1937, in the first Konoe Cabinet. Although he had very limited, if any, room for manoeuvre, he did not seek to push for a diplomatic solution to the conflict. He did not warn the German ambassador Herbert von Dirksen (1882-1955) of the existence of an ultimatum in the negotiations with the Chinese government until January 16, 1938, after it had expired. His attitude was criticized within the Gaimushō by advocates of de-escalation such as Ishii Itarō, who were exasperated that Hirota did not stand up to the military more. Ishii noted in his diary on July 17, 1937, “I had not thought that Foreign Minister Hirota was such an opportunistic and vacillating man.” (Brooks, 182).
In an unprecedented move in the ministry’s history, he was replaced in May 1938 by a military officer, Ugaki Kazushige. In his memoirs, the American ambassador at the time, Joseph Grew (1880-1965), gives the following analysis of his ouster: “Hirota had fallen because he was too weak in opposing the Army while at the same time insisting that the Foreign Office has control of Japan’s foreign relations in China.” (Brooks, 180). While appointed to the House of Peers by the Emperor, he withdrew from public life. Nevertheless, his name was mentioned for the post of prime minister at every reshuffle and he continued to be regularly consulted, although his opinions were rarely followed. In the last days of the war, he met with the Soviet ambassador Yakov Malik (1906-1980) to pass on the list of gifts that Japan was ready to offer in exchange for maintaining the non-aggression pact. But it was already too late. The Soviet invasion of Manchuria on August 8, 1945, dealt a fatal blow to the Empire of Greater Japan.
When tried after the war by the International Military Tribunal for the Far East, Hirota did not utter a single word, even when he learned of his wife’s suicide. This attitude, which some attribute to the influence of Zen, partly explains why he was the only civilian to be executed as a Class A war criminal. Hirota, in particular, was held responsible for the massacre perpetrated in Nanking while he was the Minister of Foreign Affairs, alongside General Matsui Iwane 松井石根 (1878-1948), who was more directly involved as the Commander-in-Chief of the Central China Area Army. Even though Ishii Itarō testified during the trial that Hirota had asked him to warn the Army Ministry about the atrocities committed in Nanking, and former British ambassador to Japan, Robert Craigie (1883-1959), condemned what he saw as a miscarriage of justice intended to provide China with a scapegoat, Hirota was convicted for not exerting sufficient pressure on his government to end the massacre. Thanks to his status as Gaimushō’s only “martyr”, Hirota’s responsibility in the Sino-Japanese War was largely forgotten by his peers. In their postwar biographies and memoirs, they make Hirota the victim of the military’s ascendancy over diplomats in Japan’s foreign affairs. His support for the military hawks in the early months of the war was, however, part of a coherent foreign policy embodied by Hirota since 1933 as foreign minister and prime minister.