Fils du sinologue et préfet (gunchō 郡長) Shigemitsu Naomasa 重光直愿, adopté par son oncle pour devenir le 26e chef de sa famille, Shigemitsu Mamoru est formé au droit allemand à l’Université impériale de Tokyo, dont il sort diplômé en 1911. Il réussit la même année le concours de la haute fonction publique et intègre le ministère des Affaires étrangères (gaimushō 外務省). Il débute sa carrière de diplomate en Europe (Berlin, Londres) et aux États-Unis (Portland). Membre de la délégation japonaise à la Conférence de la paix de Paris en 1919, il partage sa chambre avec Arita Hachirō 有田八郎 (1884-1965), qui officiera comme ministre des Affaires étrangères au moment de la formation du gouvernement de Wang Jingwei en 1940. Les deux hommes lancent alors l’Association de réforme (kakushin dōshikai 革新同志会), qui vise à moderniser le Gaimushō.
En poste à la légation de Pékin à partir de 1925, Shigemitsu est nommé consul général de Shanghai en février 1929 et ministre de la légation de Pékin en août 1931, peu avant l’invasion de la Mandchourie qu’il soutient. Il joue un rôle important dans la résolution de l’Incident de Shanghai, l’année suivante, en mobilisant les puissances occidentales pour négocier un cessez-le-feu. Le 29 avril 1932, il perd une jambe dans l’attentat commis à Shanghai par l’indépendantiste coréen Yoon Bong-gil 윤봉길 尹奉吉 (1908-1932), lors de la célébration de l’anniversaire de l’empereur Shōwa. Vice-ministre des Affaires étrangères entre mai 1933 et avril 1936, Shigemitsu s’exprime en faveur d’une “doctrine Monroe asiatique” qu’est en droit, selon lui, de faire respecter le Japon pour maintenir la paix dans la région. Il sert par la suite comme ambassadeur à Moscou, puis à Londres d’octobre 1938 à juin 1941.
De retour à Tokyo, Shigemitsu s’oppose à l’entrée en guerre du Japon contre les Alliés. Peu après l’attaque de Pearl Harbor, il est muté à Nankin comme ambassadeur auprès du Gouvernement national réorganisé ; poste qu’il occupe de janvier 1942 à avril 1943. En bons termes avec Wang Jingwei, qu’il connaît depuis le début des années 1930, Shigemitsu apporte son soutien aux demandes de ce dernier en faveur d’une plus grande autonomie. Dans un long mémorandum intitulé “La Guerre de la Grande Asie orientale et la question de la Chine” (Daitōa sensō to Shina mondai 大東亜戦争と支那問題) daté du 8 mars 1942, il fait le constat de l’impossibilité de réaliser en Chine la “paix complète” (zenmen wahei 全面和平) faute d’obtenir de Jiang Jieshi qu’il accepte les termes de paix imposés par le Japon, a fortiori après sa visite en Inde, quelques jours plus tôt, au cours de laquelle il a réitéré sa loyauté aux Alliés. Plutôt que de continuer à miser sur les opérations politiques visant à diviser le camp de la résistance ou les opérations militaires, Shigemitsu voit dans le “bon gouvernement [zansei 善政]” en zone occupée – à commencer par une politique économique profitant véritablement à la population – l’arme la plus efficace dont dispose le Japon.
Alors que la position du Japon dans le Pacifique se détériore à partir du milieu de l’année 1942, il rédige de nombreux textes de ce type critiquant l’approche purement militaire du Japon et s’alarmant des revers essuyés par l’armée allemande. Shigemitsu appelle à une relance de la diplomatie japonaise afin de contrer la propagande alliée autour de la Charte de l’Atlantique (14 août 1941). Convaincu que le Japon ne peut l’emporter sans gagner “le cœur et l’esprit” des populations asiatiques, il prône une redéfinition de la politique japonaise dans les territoires occupés afin que le discours panasiatiste sur la “libération de l’Asie” ne se limite pas à de la simple propagande. Il est ainsi l’un des principaux promoteurs de la “nouvelle politique chinoise” (tai Shi shin seisaku 対支新政策) adoptée en décembre 1942, qui prévoit d’accorder une grande autonomie aux collaborateurs, la rétrocession des concessions étrangères et, à terme, un retrait des troupes nippones. Elle s’inscrit dans une “nouvelle politique de la Grande Asie orientale” (daitōa shin seisaku 大東亜新政策) devant offrir l’indépendance aux anciennes colonies européennes d’Asie du Sud-Est. Ayant obtenu du premier ministre Tōjō Hideki 東條英機 (1884-1948) l’assurance que cette réorientation générale sera appliquée, il accepte le portefeuille des Affaires étrangères en avril 1943. Durant son mandat à la tête du Gaimushō, renouvelé dans le cabinet de Koiso Kuniaki 小磯國昭 (1880-1950) formé en juillet 1944, Shigemitsu tente de trouver une issue à la guerre et continue à prôner l’émancipation des peuples asiatiques. Dans le même temps, il sert également à deux reprises comme ministre de la Grande Asie orientale (daitōa daijin 大東亜大臣), entre juillet 1944 et août 1945.
Le 2 septembre 1945, c’est lui qui signe, au côté du chef d’état-major Umezu Yoshijirō 梅津美治郎 (1882-1949), l’acte de reddition du Japon à bord du USS Missouri, avant de démissionner de son poste de ministre des Affaires étrangères le 17 septembre. Aux côtés de l’ancien premier ministre Konoe Fumimaro, Shigemitsu est l’un des principaux artisans de la sortie de guerre du gouvernement japonais. Lorsque celui-ci est prévenu, le 2 septembre 1945, que les forces d’occupation s’apprêtent à proclamer, le lendemain, l’administration directe du Japon par les autorités militaires américaines, le jugement par des tribunaux américains des infractions aux lois de l’occupation et la mise en circulation de 300 millions de yens militaires américains, Shigemitsu se plaint auprès du général Douglas MacArthur (1880-1964), qui accepte d’annuler sa proclamation. Il n’en est pas moins jugé comme criminel de classe A lors du Procès de Tokyo, et condamné à sept ans de prison en 1946. Il est libéré parmi 39 autres criminels de guerre japonais, le 11 novembre 1950, sur décision de MacArthur. Shigemitsu fait alors son retour en politique dans les rangs du Kaishintō 改進党 (Parti réformiste). En 1954, ce dernier fusionne avec le Minshutō 民主党 (Parti démocrate), dont Shigemitsu devient vice-président. La même année, il entre au cabinet de Hatoyama Ichirō 鳩山 一郎 (1883-1959) comme ministre des Affaires étrangères ; poste qu’il conserve jusqu’en 1956. Il a laissé des Mémoires (Gaikō kaisō roku 外交回想録, Mainichi shinbunsha, 1953), ainsi qu’une étude de la diplomatie japonaise intitulée Shōwa no dōran 昭和の動乱 (Les troubles de l’ère Shōwa, Chūō kōronsha, 1952), traduite en anglais sous le titre Japan and Her Destiny: My Struggle for Peace (1958). Ses notes sur la politique étrangère entre 1937 et 1946 ont été récemment publiées : Takeda Tomoki 武田知己 (éd.), Shigemitsu Mamoru, gaikō ikenshoshū 重光葵.外交意見書集 (Recueil des lettres d’opinion de Shigemitsu Mamoru), Tokyo : Gendai shiryō shuppan, 2007-2010, 3 vol.
Sources : NKJRJ, p. 257 ; KSDJ ; Dictionnaire historique du Japon, vol. 18, 1992 18, p. 25-26 ; Wikipedia ; Brooks 2000, p. 36 et passim ; ADF 77 ; Shigemitsu 2007, p. 21-22 ; Yellen 2019, p. 144-145 ; Moore 1984, p. 247-248 ; Kushner 2015, p. 258 ; Shigemitsu 1958.