Fils de Wang Cunshan 王存善 (1849-1916), lettré-fonctionnaire connu pour être un éminent bibliophile, Wang Kemin voit le jour à Hangzhou. Il est reçu à l’examen provincial (zhongju 中舉) en 1903, avant d’être envoyé par le gouvernement Qing au Japon, où il travaille comme surveillant des étudiants du Zhejiang (liu Ri Zhejiang xuesheng jiandu 留日浙江學生監督), puis comme conseiller de la légation chinoise (gongshiguan canzan 公使館參贊). Il rentre en Chine fin 1906 pour intégrer le ministère des Comptes (duzhibu 度支部), puis celui des Affaires étrangères (waiwubu 外務部). À partir de 1908, Wang sert dans l’administration du Zhili 直隸, notamment comme commissaire des affaires étrangères (waisheshi 外涉使). Cette position lui vaut d’être remarqué pour avoir maintenu l’ordre et assuré la protection des ressortissants étrangers à Tianjin pendant la Révolution de 1911.

Après un passage en France en 1913, Wang devient directeur de la Banque industrielle de Chine (Zhongfa shiye yinhang 中法實業銀行), créée à l’initiative du diplomate Philippe Berthelot (1866-1934). Sur le modèle des banques britanniques, cet établissement est destiné à financer des entreprises chinoises pour mieux étendre l’influence française dans le pays. Wang est approché par le directeur de la succursale de la Banque d’Indochine à Tianjin, Alexis-Joseph Pernotte (1874-?) qui, au lendemain du changement de régime de 1912, convainc Yuan Shikai de soutenir la création d’un nouvelle banque capable de palier à l’inaction de la Banque d’Indochine en Chine. Le gouvernement chinois souscrit un tiers du capital de la Banque industrielle de Chine dont le siège est à Paris. Sa bonne administration de l’établissement français vaut à Wang de prendre, en juillet 1917, la tête de la Banque de Chine (Zhongguo yinhang 中國銀行). Deux mois plus tard, il se voit confier le portefeuille des Finances (caizheng zongzhang 財政總長) au sein du gouvernement central, jusqu’à la dissolution du cabinet de Wang Shizhen 王士珍 (1861–1930) en mars 1918. Au début de l’année suivante, il représente le gouvernement de Pékin lors des veines négociations de paix avec les représentants de Sun Yat-sen à Shanghai et renonce à occuper la charge de gouverneur du Jiangsu en raison de l’opposition des élites locales.

Entre-temps, Wang Kemin est de nouveau nommé à la tête de la Banque de Chine en 1922, ce qui lui vaut d’être impliqué dans l'”Affaire du franc-or” (jin folang an 金佛朗案). Le gouvernement français exige à l’époque que la Chine verse ses indemnités de la Guerre des Boxers en or plutôt qu’en franc papier qui a perdu beaucoup de sa valeur. Paris utilise comme levier la promesse de rouvrir la Banque industrielle de Chine, fermée en 1921, obtenant ainsi des financiers chinois qu’ils fassent pression sur le gouvernement de Pékin. Consulté en décembre 1922, Wang Kemin approuve le versement en franc-or, très désavantageux pour la Chine. La décision prise le 9 février 1923 par le gouvernement chinois de suivre le conseil de Wang provoque un tollé dans l’opinion publique chinoise, qui accuse ce dernier de trahir les intérêts de son pays. Le Parlement vote une résolution condamnant cette décision, dont l’application est suspendue jusqu’en 1925. La Banque industrielle de Chine est alors réorganisée pour devenir la Banque franco-chinoise du commerce et de l’industrie (Zhongfa gongshang yinhang 中法工商銀行).

Wang retrouve le portefeuille des Finances dans le gouvernement éphémère formé par Gao Lingwei en juin 1923, dissout peu après sous la pression de Zhang Zuolin. En novembre de la même année, Wang est rétabli dans ces mêmes fonctions par son vieil ami Cao Kun 曹錕 (1862-1938), surnommé le “président frauduleusement élu” (huixuan zongtong 賄選總統) pour avoir acheté son poste. Lors de son coup d’État en octobre 1924, Feng Yuxiang 馮玉祥 (1882-1948) lance un mandat d’arrêt contre l’impopulaire Wang en raison de son rôle dans l'”Affaire du franc-or”. Celui-ci s’enfuit à Tianjin où il prend la direction de la Banque de garantie commerciale (baoshang yinhang 保商銀行), avant d’occuper des fonctions dans l’administration des douanes. Au moment de l’Expédition du Nord en 1928, Wang trouve refuge à Dalian pour échapper au mandat d’arrêt lancé par le GMD contre lui. Il se place sous la protection de Zhang Zuolin, puis de son fils Zhang Xueliang, qu’il conseille en matière de finances. Grâce à l’intercession de ce dernier auprès des autorités nationalistes, Wang parvient à faire annuler le mandat d’arrêt le visant en novembre 1929.

Il revient en 1931 à Beiping (Pékin) comme vice-président du Comité de mise en ordre des finances (Beiping caiwu zhengli weiyuanhui 北平財務整理委員會), puis, l’année suivante, comme membre du Conseil des affaires politiques du Nord-Est (dongbei zhengwu weiyuanhui 東北政務委員會). En mai 1933, Wang se voit confier le Bureau des finances (caizhengchu 財政處) au sein du Comité de règlement politique du Yuan exécutif à Beiping (xingzhengyuan zhuping zhengwu zhengli weiyuanhui 行政院駐平政務整理委員會). Présidé par Huang Fu 黃郛 (1883-1936), ce comité exerce son autorité sur cinq provinces méridionales de Chine du Nord face aux velléités expansionnistes des militaires japonais qui obtiennent alors la création d’une zone démilitarisée en vertu de la Trêve de Tanggu (Tanggu xieding 塘沽協定). Après avoir occupé le poste de maire de Tianjin pendant trois semaines en juin 1935, Wang Kemin succède à Huang Fu à la tête du Comité de règlement politique, alors que la signature de l’accord He-Umezu (He-Mei xieding 何梅協定) le 10 juin affaiblit encore la souveraineté chinoise dans le Nord. Logiquement, Wang intègre le Conseil des affaires politiques du Hebei-Chahar (Ji-Cha zhengwu weiyuanhui 冀察政務委員會) à sa création en décembre 1935, aux côtés d’anciens dirigeants du gouvernement Beiyang tels que Wang Yitang. Il en démissionne un an plus tard en raison de sa mésentente avec les autorités japonaises.

Lorsque la guerre éclate à l’été 1937, Wang se réfugie à Shanghai (ou à Hong Kong selon les sources). La formation de l’État d’occupation en Chine du Nord donne lieu à des projets rivaux entre l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍), qui souhaite mettre en place un gouvernement fédéral dans les cinq provinces septentrionales, et l’Armée régionale de Chine du Nord (kita Shina hōmen-gun 北支那方面軍) qui lance, en octobre 1937, un projet ambitieux devant faire de Pékin la capitale d’un nouveau gouvernement central chinois. Ce projet est porté par le Bureau des services spéciaux (tokumubu 特務部) de l’Armée régionale de Chine du Nord dirigé par Kita Seiichi. Alors que le nom de Wu Peifu 吳佩孚 (1874-1939) est évoqué pour diriger le futur gouvernement, Kita jette son dévolu sur Wang Kemin qu’il vient rencontrer en personne à Shanghai (ou à Hong Kong selon les sources). Issus pour nombre d’entre eux du Conseil des affaires politiques du Hebei-Chahar, les recrues de Kita sont réunies dans un hôtel de Pékin où démarrent les préparatifs du futur régime. Ces hommes ont en commun d’avoir débuté leur carrière dans l’administration Qing et d’avoir occupé des fonctions importantes dans les gouvernements Beiyang, avant de connaître une retraite forcée en 1928 et un retour aux affaires en Chine du Nord au milieu des années 1930 à la faveur de l’expansionnisme nippon. Cette grande homogénéité parmi les collaborateurs de la première heure n’empêche pas de fortes rivalités, en partie liées aux anciens clivages entre cliques des années 1910-1920. C’est notamment le cas des relations entre Wang Kemin, issu de la clique du Zhili (Zhixi 直系), et son principal rival en Chine du Nord, Wang Yitang passé, quant à lui, par la clique de l’Anhui (Wanxi 皖系).

Si Wang Kemin fait office de numéro un du Gouvernement provisoire de la République de Chine (zhonghua minguo linshi zhengfu 中華民國臨時政府) inauguré à Pékin le 14 décembre 1937, il n’est en réalité qu’un primus inter pares au sein d’une direction collégiale réunissant Wang Yitang, Tang Erhe, Dong Kang, Zhu Shen, Qi Xieyuan, Jiang Chaozong et Gao Lingwei. De fait, le poste de chef de l’État (yuanshou 元首) est laissé vacant dans l’attente d’une figure politique de plus grande envergure. Au demeurant, l’action de ce gouvernement est étroitement contrôlée par Kita Seiichi, bien que Wang ait obtenu, en avril 1938, que le “guidage interne” (naimen shidō 内面指導) de l’occupant se limite à un nombre réduit de “conseillers” japonais. Il est particulièrement sourcilleux quant à l’ingérence de l’occupant dans son administration. En mars 1938, il interdit ainsi à ses subalternes de traiter directement avec les conseillers japonais, exigeant que toute demande de ses derniers passe par lui.

Mis sur pied dans la précipitation par crainte que la prise de Nankin, le 13 décembre, ne donne l’avantage à l’Armée régionale de Chine centrale, le Gouvernement provisoire intègre progressivement sous son autorité régionale les gouvernements locaux mis en place dans les premiers mois de l’occupation. Outre la présidence du Comité exécutif (xingzheng weiyuanhui 行政委員會), la principale des trois branches du gouvernement de Pékin, Wang prend la tête de la Xinminhui 新民會 (Association du nouveau peuple) ; une organisation chargée de diffuser la propagande anti-communiste et anti-GMD du régime, qui s’étend dans toutes les couches de la société jusqu’à devenir la principale organisation politique en Chine du Nord. Wang dirige également l’Institut national du nouveau peuple (guoli xinminhui yuan 國立新民會院) destiné à former les futurs fonctionnaires et enseignants.

Wang Kemin s’implique notamment dans la politique économique, n’hésitant pas à s’opposer aux autorités japonaises dans ce domaine. Celles-ci souhaitent intégrer la Chine du Nord au bloc Yen en mettant en circulation une nouvelle monnaie – le lianyinquan 聯銀券 émis par la Banque fédérale de réserve (Zhongguo lianhe zhunbei yinhang 中國聯合準備銀行) fondée en mars 1938 à Pékin – et prendre le contrôle de son économie au nom de la “coopération”. Fort de son expérience en la matière, Wang ne cache pas son inquiétude, comme le note un article de l’époque : “Wang is a banker and an economist first and a politician long afterwards. He definitely opposes the complete monopolization of all industrial and economic plans by the Japanese and while prepared to consent to their getting slightly more than a half-share in heavy industry, insists on the remainder being apportioned [among] the Chinese capitalists and […] the Chinese government” (Oriental Affairs, n°9, 1938, cité par Boyle 1972, p. 101). C’est dans cet esprit que, le 26 mars 1938, Wang signe avec le général Terauchi Hisaichi 寺内寿一 (1879-1946), commandant de l’Armée régionale de Chine du Nord, un accord prévoyant la création d’un Conseil économique sino-japonais (Nikka keizai kyōgikai 日華経済協議会). Présidé par Wang et composé à parts égales de dix membres chinois et japonais, cette instance est censée planifier la politique économique en Chine du Nord. Contraint de signer, le lendemain, un second accord donnant au conseiller économique suprême de Chine du Nord les pleins pouvoirs, Wang comprend toutefois vite que ce Conseil sera impuissant. C’est d’autant plus le cas que le Gouvernement provisoire n’ayant pas été reconnu officiellement par le Japon, il ne peut se voir reconnaître la propriété des industries de la région appartenant au Gouvernement national replié à Wuhan.

De son passé de banquier, Wang Kemin garde également une certaine flamboyance. Il est ainsi connu pour la grande beauté de sa concubine qui ne passe pas inaperçue lorsqu’elle l’accompagne à l’opéra chinois. Ses fonctions à Pékin font de Wang l’une des principales cibles de la campagne anti-hanjian (traîtres aux Han) menée en zone occupée par les services secrets de Dai Li 戴笠 (le Juntong 軍統). L’assassinat de Wang est confié à Chen Gongshu 陳恭澍 (1907-), qui devait diriger quelques mois plus tard le commando visant Wang Jingwei à Hanoï. Le 28 mars 1938, la voiture de Wang est visée par des tirs alors qu’il se rend chez Kita Seiichi. Il en réchappe avec une blessure légère à la jambe, tandis que Yamamoto Eiji 山本榮治, un conseiller japonais à qui Wang avait laissé sa place habituelle, est touché mortellement. Plusieurs des assaillants sont arrêtés par l’armée japonaise et plus tard exécutés.

Souvent décrit comme arrogant, Wang Kemin mène la vie dure aussi bien à sa tutelle japonaise qu’aux autres collaborateurs. Craignant de voir son pouvoir affaibli, il s’oppose avec véhémence à la mise en place d’un gouvernement régional par l’Armée expéditionnaire de Chine centrale (voir Liang Hongzhi). À la veille de l’inauguration du Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府) de Nankin, en mars 1938, il menace ainsi de dissoudre le Gouvernement provisoire pour faire pression sur Tokyo. Ces craintes sont, du reste, partagées par l’Armée régionale de Chine du Nord qui rechigne à voir son homologue de Chine centrale s’accaparer, par régime fantoche interposé, les ressources fiscales de la région la plus riche du pays. Elles redoublent dès lors que le projet de “nouveau gouvernement central”, annoncé par le premier ministre Konoe Fumimaro le 16 janvier 1938, commence à se matérialiser. Du fait des rivalités entre les différentes autorités japonaises d’occupation, cette entreprise accouche, dans la seconde moitié de l’année 1938, d’un plan définissant le futur État comme devant former une République confédérale dans laquelle les gouvernements locaux, à commencer par celui de Pékin, conserveraient une grande autonomie par rapport à un gouvernement central très faible.

La première étape de ce plan se concrétise avec la formation du Conseil d’union de la République de Chine (Zhonghua minguo lianhe weiyuanhui 中華民國聯合委員會) inauguré à Zhongnanhai (Pékin) le 22 septembre 1938. Réunis deux semaines plus tôt à Dalian par Doihara Kenji pour négocier les termes de cette union, Wang Kemin et Liang Hongzhi, flanqués de leurs patrons japonais respectifs – Kita Seiichi et Harada Kumakichi – aboutissent à un accord qui avantage Pékin où doit se réunir le Conseil. La défection de Wang Jingwei trois mois plus tard, et son arrivée à Shanghai au printemps 1939 posent toutefois une menace plus sérieuse au pouvoir de Wang Kemin. Le 27 juin 1939, ce dernier est forcé par sa tutelle japonaise de recevoir le célèbre dirigeant nationaliste lors de son passage à Pékin. Wang Jingwei vient y défendre un projet de gouvernement aux antipodes de la République confédérale espérée par les opposants à une centralisation qui se ferait au détriment de Pékin. Dans les mois qui suivent Wang Kemin et Liang Hongzhi participent à reculons aux négociations avec le groupe de Wang Jingwei. Ils font échouer un premier sommet à Nankin, du 19 au 21 septembre 1939, en signifiant à Wang qu’ils ne sont d’accord ni avec la composition du futur gouvernement ni avec la restauration des symboles du GMD. Ils n’ont plus leur mot à dire lors de la Conférence de Qingdao, du 23 au 26 septembre 1940, qui scelle devant la presse la fusion à venir des deux régimes dans le Gouvernement national réorganisé de Wang Jingwei (photo ci-dessus).

La volonté chez Wang Kemin d’empêcher l’arrivée au pouvoir de Wang Jingwei n’est sans doute pas étrangère à son implication dans plusieurs tentatives manquées de négocier la paix avec Chongqing. C’est notamment le cas lorsque Wang propose à son vieil ami, le missionnaire John Leighton Stuart 司徒雷登 (1876-1962), de le mettre en contact avec les haut gradés japonais afin qu’il joue les intermédiaires entre eux et Jiang Jieshi. Soucieux d’afficher son soutien à la cause chinoise, Stuart se rend en effet chaque année à Chongqing pour remettre son rapport au ministère de l’Éducation en sa qualité de directeur de l’Université Yenching (yanjing daxue 燕京大學). Il ne manque jamais, à cette occasion, de s’entretenir avec le Généralissime et son épouse. Lors de la tournée annuelle qu’il effectue en février 1940, Stuart transmet les termes de paix japonais à Jiang. Le 18 mars, il télégraphie à Zhou Fohai qu’il souhaite venir à Shanghai pour le rencontrer. Le message n’arrive à destination que le 28 mars, ce qui fait craindre à Zhou que les intentions de Chongqing n’aient changé depuis la tenue du Conseil politique central, dernière étape avant l’inauguration du nouveau régime.

L’inauguration de celui-ci, le 30 mars 1940, ne remet toutefois pas en cause l’autonomie de Pékin au nom des “conditions spéciales” de la région, dont le Japon entend faire le prolongement de son espace vital en Asie du Nord-Est. Contrairement au Gouvernement réformé de Liang Hongzhi, qui disparaît dans le Gouvernement national réorganisé de Nankin, le Gouvernement provisoire demeure en place sous le nom de Conseil des affaires politiques de Chine du Nord (huabei zhengwu weiyuanhui 華北政務委員會) avec Wang Kemin à sa tête. Alors même que ce Conseil est placé juridiquement sous l’autorité du Gouvernement national (guomin zhengfu 國民政府), Wang marque d’emblée son refus de prêter allégeance. Lors de la modeste cérémonie qu’il organise à Pékin le 30 mars 1938, il fait ostensiblement défiler le vieux drapeau républicain aux cinq couleurs (wuseqi 五色旗), plutôt que l’étendard au « soleil blanc sur ciel bleu et sol rouge » (qingtian bairi mandihong qi 青天白日滿地紅旗) imposé de haute lutte par le groupe de Wang Jingwei qui en fait le symbole du “retour à la capitale” (huandu 還都) des Nationalistes.

Cette mauvaise volonté n’échappe pas à Wang Jingwei, qui obtient en juin 1940 le remplacement de Wang Kemin. Celui-ci ne peut plus compter sur le soutien de son protecteur Kita Seiichi, lui-même remplacé par le général Morioka Susumu 森岡皐 (1889-1959). Son éviction est d’autant plus douloureuse qu’elle se fait au profit de son rival Wang Yitang, dont Nankin espère, à tort, qu’il se montrera plus coopératif. Wang Kemin se retire alors à Qingdao avec sa concubine et sa collection d’antiquités. Il n’a pourtant pas dit son dernier mot, puisqu’il retrouve finalement la direction du Conseil des affaires politiques de Chine du Nord en juillet 1943, après le décès de Zhu Shen. ll doit toutefois laisser sa place à Wang Yintai en février 1945 en raison d’ennuis de santé. Arrêté à Pékin le 6 décembre 1945, Wang Kemin meurt en prison de maladie (ou se suicide selon les sources) le 25 décembre.

Sources : MRDC, p. 55 ; MRZ, vol. 11, p. 453-457 ; BDRC, vol. 3, p. 386-388 ; MZN, p. 1056-1059 ; Shinonaga 1991 ; Guo Guiru 2007, 157-159 ; Boyle 1972, p. 89-107 ; Li 1975, p. 81 ; Park, p. 12 ; Zhang Bingru 2010 ; Yang Fei 2010 ; HSN, 14 mars 1938, p. 127. ; Stuart 1954, p. 130-132 ; North China Daily News, 7 avril 1940 ; ADF 403 ; ZR, p. 244, 271 ; Baidu.

Camarade de promotion de Kagesa Sadaaki à l’École d’officiers de l’armée de terre (rikugun shikan gakkō 陸軍士官学校) en 1914, Wachi Takaji suit, comme ce dernier, le parcours classique des Shinatsū 支那通 (spécialistes de la Chine). Sorti diplômé de l’École supérieure de guerre (rikugun daigakkō 陸軍大学校) en 1922, il sert au sein de la Section Chine (Shina-ka 支那課) de l’État-major central (sanbō honbu 参謀本部) entre 1924 et 1927. En octobre 1928, il est nommé attaché militaire (chūzai bukan 駐在武官) à Jinan, quelques mois après l'”Incident de Jinan” (Sainan jiken 済南事件). Promu commandant (shōsa 少佐) en 1929, il sert comme officier d’état-major en Mandchourie où il convoie, avec Doihara Kenji, des fonds destinés au complot du 18 septembre 1931, qui sert de prétexte à l’invasion japonaise. Wachi retrouve ensuite un poste d’attaché militaire à Canton (1932-34), où il devient proche des seigneurs de la guerre Li Zongren 李宗仁 (1890-1969) et Bai Chongxi 白崇禧 (1893-1966), principaux dirigeants de la clique du Guangxi, hostile à Jiang Jieshi. Wachi tente déjà à cette époque d’utiliser Li et Bai pour affaiblir le Gouvernement national, aidé par son interprète Xia Wenyun 夏文運 (1906-1978), qui est proche d’un cousin de Bai. En août 1936, il est muté à l’état-major de la Garnison de Tianjin (Shina chūtongun 支那駐屯軍). À la veille de la guerre, il se rend à Tokyo pour plaider en faveur de la manière forte qui devrait, selon lui, permettre d’obtenir une reddition rapide de Nankin.

Promu colonel (taisa 大佐) en août 1937, Wachi participe à la Bataille de Shanghai à la tête du 44e régiment d’infanterie (hohei dai 44 rentai 歩兵第44連隊). Après un bref passage dans les services spéciaux de l’Armée de Taiwan (Taiwangun 台湾軍) en mars 1938, il est nommé en juin à la tête de l’ Agence de l’orchidée (ran kikan 蘭機関) qui a pour mission de déstabiliser Chongqing en recrutant les anciens chefs de la clique du Guangxi. Bastion hostile au pouvoir central de Jiang Jieshi tout au long de la « décennie de Nankin », le Sud-ouest apparaît comme le lieu idéal pour susciter des dissidences afin d’affaiblir le gouvernement chinois, dont l’autorité dans la région dépend de l’alliance récente et fragile passée avec les militaires locaux. Avant même la prise de Canton, le 23 octobre 1938, Wachi Takaji et son Agence de l’orchidée cherchent en vain à former un gouvernement dirigé par Li Jishen 李濟深 (1885-1959), tout en prévoyant de mettre sur pied un mouvement indépendantiste centré sur Chen Mingshu 陳銘樞 (1889-1965), l’un comme l’autre impliqués dans le Gouvernement populaire révolutionnaire du Fujian (renmin geming zhengfu 人民革命政府) écrasé Jiang Jieshi par en 1934. Une fois encore, Wachi est aidé par son interprète et ami Xia Wenyun, qui le fait profiter de ses liens dans les milieux dirigeants chinois, organisant plus d’une centaine de réunions entre des émissaires chinois et japonais. Xia affirme avoir fourni aux services secrets nationalistes de nombreux renseignements concernant les activités de Wachi, ce que semble attester la protection personnelle de Li Zongren dont Xia bénéficie après-guerre.

Wachi s’efforce, parallèlement, de négocier directement avec Chongqing, au travers de ce qui est souvent nommé le “canal He Yingqin“, car c’est à ce dernier que Jiang Jieshi confie la supervision directe des tractations qui prennent place à Hong Kong. Jiang s’y fait représenter par le général Xiao Zhenying 蕭振瀛 (1890-1947), ancien maire de Xi’an et de Tianjin, choisi en raison de ses liens d’amitié anciens avec Wachi. Ayant reçu pour consigne d’exiger le respect de la souveraineté chinoise selon les limites prévalant avant la guerre comme préalable à tout engagement du régime nationaliste dans des négociations de paix, Xiao rejette les termes exigés par Wachi. Il reçoit néanmoins de Jiang  l’ordre de maintenir ouvert ce canal prometteur. En effet, le généralissime entend user d’une ambiguïté stratégique vis-à-vis du gouvernement japonais, qu’il sait pressé de trouver une solution rapide à l’aventure chinoise. Suivant de près les discussions qui reprennent à la fin du mois de septembre 1938, Jiang donne un certain nombre de directives à Xiao Zhenying : ne pas faire de concessions à Wachi, rester en contact quotidien avec Chongqing, garder son sang-froid et donner l’impression que la Chine n’attache pas une grande importance à ces négociations, et, surtout, ne rien mettre par écrit. Début octobre, Jiang fait rédiger l’ébauche d’une déclaration de paix (heping xuanyan 和平宣言), ainsi qu’un accord de cessez-le-feu (tingzhan xieding 停戰協定). Annotés de sa main, ces documents prévoient notamment que le Japon pourra conserver ses privilèges en Mandchourie s’il reconnaît la souveraineté de la Chine sur ce territoire. Après un court séjour à Tokyo pour consulter ses supérieurs, Wachi affirme à Xiao Zhenying que le premier ministre Konoe Fumimaro et son ministre de l’Armée Itagaki Seishirō ne doutent pas de la sincérité de Jiang Jieshi et qu’ils sont désireux de revenir sur la déclaration du 16 janvier 1938 par laquelle Konoe avait mis fin à toute future négociation avec le GMD et exprimé le vœu de voir l’établissement d’un nouveau gouvernement central chinois. Jiang arrête la date du 30 octobre 1938 comme ultimatum au-delà duquel la Chine refusera de négocier. Le 19 octobre, Xiao rapporte à Hankou le texte auquel ont abouti les discussions avec Wachi. Après être allé chercher de nouveau ses ordres à Tokyo, ce dernier demande, le 28 octobre, que He Yingqin se rende immédiatement à Fuzhou pour signer un accord. Mais le 30 octobre, Jiang ordonne à Xiao, par l’intermédiaire de He Yingqin, de mettre fin aux discussions et de rentrer à Chongqing.

Ces échecs successifs affaiblissent la position de Wachi, dont le tempérament et les capacités sont unanimement jugés impropres au renseignement. Un rapport des services secrets américains après-guerre notera que « the few successes achieved on a working level by the Ran kikan were primarily due to subordinates and in spite of Wachi. Nevertheless, Wachi was highly thought of by Imperial GHQ. He operated far and wide with very little assistance, but if he had achieved any successes, all of Shanghai and Nanjing would have heard about it from him, so it is very doubtful if he did not get very far in his political objectives ». Sa rivalité avec Imai Takeo, dont l’opération visant Wang Jingwei finit, elle, par aboutir, conduit Wachi à révéler à la presse shanghaienne l’existence de négociations secrètes avec Chongqing à la veille de l’inauguration du Gouvernement national réorganisé en mars 1940, suscitant un grand embarras à Nankin.

Élevé au rang de général de brigade (shōshō 少将) en mars 1940, Wachi Takaji prend la direction de l’état-major de l’Armée de Taiwan un an plus tard, parallèlement à celle de son bureau de recherche (Taiwangun kenkyūbu 台湾軍研究部). À ce poste, il intensifie la mobilisation des Taïwanais pour suppléer, notamment comme interprètes, les armées d’occupation japonaises en Chine méridionale et, à partir de décembre 1941, en Asie du Sud-Est, notamment aux Philippines. Fait général de division (chūjō 中将) en juin 1943, Wachi devient vice-chef d’état-major de l’Armée expéditionnaire du Sud (nanpō gun sōsanbō fukuchō 南方軍総参謀副長) en mars 1944, avant d’être nommé à la tête de la Police militaire en Chine (Chūgoku kenpeitai shireikan 中国憲兵隊司令官) à la veille de la capitulation japonaise.

Arrêté en janvier 1946, Wachi est condamné en avril 1948 à six ans de travaux forcés pour son rôle dans l’Affaire du Tachibana (Tachibana maru jiken 橘丸事件), navire médical utilisé en 1945 pour convoyer des armes et des soldats en violation du droit international. Il est libéré en août 1950. En octobre 1953, Wachi s’associe avec Okamura Yasuji et Huang Nanpeng 黃南鵬 (1902-?), un ancien commandant de la police militaire (xianbing siling 憲兵司令) sous le Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府) de Pékin, pour mettre en place une Association pour la renaissance des Chinois résidant au Japon (zainichi Chūgokujin kōseikai 在日中国人更生会) avec le soutien financier de “personnes influentes des milieux politiques et économiques qui entretenaient auparavant des liens amicaux avec le continent“. Cette organisation qui entend s’appuyer sur les anciens collaborateurs réfugiés au Japon pour développer le commerce avec la Chine continentale afin de régler le “problème communiste” ne tarde pas à être dissoute en raison d’un différend financier entre ses dirigeants.

Sourcres : NRSJ, p. 172-173 ; NJDJ ; Guo Ting 2016, p. 141-158 ; Yang Tianshi 2008, p. 254-268 ; HSN, p. 157 ; CIA, « Wachi Takaji » ; Weland 1994, p. 456 ; Boyle 1972, p. 291 ; Tobe 1999 ; Shirane 2014, p. 218 ; Seki 2019, p. 462, 576.

[ming, Zhaoming 兆銘]

Natif de Sanshui (Guangdong), Wang Jingwei est originaire du district de Shaoxing 紹興 (Zhejiang), réputé pour avoir donné à la Chine quelques-uns de ses talents les plus fameux. Comme plusieurs de ses ancêtres, son père, Wang Chu 汪琡 (1824-1897), occupe un emploi de secrétaire privé (muliao 幕僚) auprès d’un fonctionnaire, ce qui l’amène à quitter Shaoxing pour s’installer à Canton. Élevé dans un milieu très cultivé, Wang Jingwei reçoit une éducation classique solide dès son plus jeune âge. Orphelin de mère à douze ans puis de père deux ans plus tard, il gagne sa vie en donnant des leçons privées. Élève brillant, il est reçu premier à l’examen de son district avant de réussir, en 1904, l’examen provincial du Guangdong et d’obtenir du gouvernement une bourse pour le Japon.

Il se forme au droit constitutionnel et aux sciences politiques à l’Université Hōsei 法政大学 (Tokyo), dont il sort diplômé en 1906. Entre-temps, il a fait la connaissance de compatriotes de sa province, tels Hu Hanmin 胡漢民 (1879-1936), qui partagent sa révolte contre l’impérialisme et la dynastie mandchoue. Ce groupe de Cantonais devient le principal appui de Sun Yat-sen au sein de la Ligue jurée (tongmenghui 同盟會) fondée en 1905. Wang se fait rapidement remarquer grâce à ses articles dans le Minbao 民報 (Journal du peuple) qu’il signe du nom de plume Jingwei, en référence à la légende de la princesse Nüwa 女娃, symbole de persévérance. Engloutie par les flots, la fille de Yandi 炎帝 se serait réincarnée en un oiseau surnommé Jingwei 精衛 qui, chaque jour, rapportait de la montagne brindilles et cailloux afin de combler l’océan. Dans ses analyses, Wang définit les fondements théoriques du mouvement anti-mandchou en contribuant à adapter les concepts d’”État” et de “nation” à la Chine. Il se fait le héraut d’un renversement des Qing contre Liang Qichao 梁啟超 (1872-1929) qui défend la mise en place d’une monarchie constitutionnelle.

Wang accompagne Sun Yat-sen en Asie du Sud-Est où ses talents de tribun gagnent de nombreux soutiens à la Ligue jurée. Face aux divisions du mouvement révolutionnaire et sous l’influence des anarchistes russes, Wang opte cependant pour une action d’éclat contre l’avis de Sun. En compagnie d’un groupe de conjurés, parmi lesquels sa future épouse Chen Bijun, Wang projette d’assassiner, en avril 1910, le Prince régent et père de Puyi, Zaifeng 載灃 (1883-1951). Le complot est déjoué et Wang Jingwei condamné à mort. En cellule, il compose plusieurs textes et poèmes, dont ces vers qui resteront parmi les plus célèbres du siècle : « le couperet fait ma joie/Ô jeunesse, je ne t’ai point trahie [引刀成一快,不負少年頭] ». Son martyre n’a toutefois pas lieu : les révolutionnaires victorieux à l’hiver 1911 le libèrent. À 28 ans, Wang est une célébrité dans tout le pays autant pour son courage que pour sa beauté.

Désireux, explique-t-il alors à Sun Yat-sen, de poursuivre ses études, il part pour la France en août 1912. À la suite de Li Shizeng 李石曾 (1881-1973), il s’installe avec sa femme et des amis à Montargis où il cultive un libéralisme anarchisant. Wang hésite à l’époque entre l’éducation et la politique comme meilleur moyen de réaliser pleinement la révolution. Avec Li et Cai Yuanpei 蔡元培 (1868-1940), il crée l’Association travail-études (qingong jianxue 勤工儉學) qui organise la venue de jeunes Chinois censés travailler dans des usines françaises afin de financer leur séjour tout en étudiant. Si elle ne tient pas toutes ses promesses, cette entreprise voit passer près de deux mille étudiants, parmi lesquels Zhou Enlai 周恩來 (1898-1976) et Deng Xiaoping 鄧小平 (1904-1997). Le même groupe fonde l’Association pour la promotion de la vertu (jindehui 進德會) destinée à lutter contre les vices jugés responsables de l’affaiblissement de la Chine. Avec son parent Chu Minyi, également présent en France, Wang s’impose de ne pas boire ni fumer, en sus des autres interdictions prônées par l’Association (accepter un poste politique, se livrer à la débauche, au jeu, etc.). Si Wang garde toute sa vie un amour des vins français, il est en revanche connu pour être l’un des seuls hauts dirigeants de l’époque à ne pas être volage (du moins en amour).

Ses années en France sont aussi l’occasion pour lui d’approfondir sa connaissance des classiques chinois. Critiquant ses compatriotes qui en viennent à mépriser leur propre culture, il voit dans les études nationales (guoxue 國學) une clé pour moderniser le pays. Il est membre de la Société méridionale (nanshe 南社) qui défend une littérature classique au service du nationalisme. Jusque dans les années 1930, il publie régulièrement des poèmes dans le cadre de cette société sous le nom de plume de Manzhao 曼昭. Le goût de Wang pour la poésie n’est pas seulement esthétique. Arme de propagande pour gagner le cœur et les esprits, elle est également un instrument de sociabilité politique auquel Wang a recours jusque dans son gouvernement collaborateur des années 1940 pour lequel il recrute certains de ses « amis en poésie » (shiyou 詩友). Après la crise provoquée par l’assassinat de Song Jiaoren 宋教仁 (1882-1913) en 1913, Wang retourne quatre fois en Chine. Il hésite cependant à répondre aux appels répétés de Sun Yat-sen, et répugne à prêter un serment de fidélité personnel à Sun, comme le prévoient les statuts du Parti révolutionnaire chinois (Zhonghua geming dang 中華革命黨) fondé en 1914.

Après avoir pris part à la délégation chinoise lors de la Conférence de la paix de Paris en 1919, Wang rentre pour de bon en Chine afin d’assister Sun dans la mise en place d’un gouvernement nationaliste à Canton. Renonçant à l’anarchisme, Wang considère désormais que le salut de la Chine passe par l’engagement politique et la construction étatique. Lors du 1er congrès du GMD après sa réorganisation sur le modèle léniniste, en 1924, Wang est élu au Comité exécutif central (zhongyang zhixing weiyuanhui 中央執行委員會). À la fin de l’année, il accompagne Sun à Pékin pour négocier la réunification du pays. Au chevet du grand homme mourant, Wang rédige son testament, qui devient le credo du culte rendu par la suite au « père de la nation ». Parmi les dirigeants pouvant prétendre à son héritage, Wang Jingwei a pour lui le charisme qui manque à Hu Hanmin et la légitimité politique qui fait défaut à Jiang Jieshi. Il prend le pas sur le premier lors du 2e congrès, en janvier 1926, mais perd rapidement du terrain face au second malgré le soutien du conseiller soviétique Mikhail Borodin (1884-1951), qui favorise l’émergence d’une aile gauche menée par Wang.

Ce dernier entretient des relations complexes avec l’allié communiste. D’abord opposé au Front uni, il se rapproche du Komintern durant la période allant de sa nomination à la tête du Gouvernement nationaliste (guomin zhengfu 國民政府) en juillet 1925 à sa rupture définitive avec le PCC, en juillet 1927. Le 20 mars 1926, Jiang Jieshi utilise l’incident de la canonnière Zhongshan (Zhongshan jian shijian 中山艦事件) pour s’imposer face à l’aile gauche du GMD. Prétextant son état de santé fragile (il souffre, il est vrai, de diabète), Wang se retire en France. Suite à la rupture, début 1927, entre l’aile gauche installée à Wuhan et Jiang Jieshi à Nankin, Wang est rappelé. Il arrive en Chine le 1er avril, après une escale à Moscou, qui compte sur lui pour imposer la ligne soviétique en Chine, notamment après la purge sanglante des Communistes entamée le même mois par Jiang à Shanghai. La maladresse du représentant de l’Internationale communiste, Manabendra Roy (1887-1954), conduit pourtant Wang à se retourner contre celle-ci. Le 5 juin 1927, Roy fait lire à Wang un télégramme de Staline appelant le PCC à former sa propre armée. Se sentant trahi, Wang réprime à son tour les Communistes.

En octobre, il s’installe à Canton où il espère poursuivre la lutte contre Jiang avec l’appui du général Zhang Fakui 張發奎 (1896-1980). Affaibli au sein du GMD, Wang repart pour la France en décembre. L’année suivante, ses principaux lieutenants sont exclus du Parti. Entre 1928 et 1931, Wang s’allie avec les militaristes régionaux Li Zongren 李宗仁 (1890-1969) et Feng Yuxiang 馮玉祥 (1882-1948) dans une coalition anti-Jiang. Ils sont rejoints en 1930 par le puissant Yan Xishan 閻錫山 (1883-1960) avec qui Wang prévoit de former un gouvernement rival de celui de Nankin. Un sommet est organisée à Taiyuan en juillet 1930 où la coalition appelle au renversement de la dictature militaire de Jiang. Grâce au soutien du seigneur de la guerre de Mandchourie, Zhang Xueliang, ce dernier parvient néanmoins à battre la coalition en octobre 1930 lors de la Bataille des plaines centrales (zhongyuan dazhan 中原大戰).

En mai 1931, Wang rejoint le mouvement d’opposition qui se forme alors à Canton à la suite de l’arrestation de Hu Hanmin par Jiang le 28 février. Ce rapprochement ne va pas de soi car Hu incarne l’aile conservatrice du GMD que l’aile gauche dirigée par Wang tient pour responsable de la pente dictatoriale prise par Jiang. Si les Nationalistes de Canton comptent mettre à profit le prestige de Wang pour faire avancer leur cause, ils refusent que ses soutiens l’accompagnent, notamment l’ancien communiste Chen Gongbo. Le camp de Canton est lui-même divisé entre ceux qui reconnaissent ou non la légitimité du 3e congrès du GMD organisé à Nankin. Bien que très attaché à la question de la légitimité du parti (dangtong 黨統), Wang décide d’adopter une attitude conciliante afin de ne pas accroître les luttes intestines. Dans cet esprit, il dissout sa propre faction, l’Association pour la réorganisation du GMD (guomindang gaizu tongzhihui 國民黨改組同志會), contre l’avis de ses membres.

Le face-à-face entre Nankin et Canton prend fin avec l’Incident de Mukden, le 18 septembre 1931, qui oblige les différentes factions du GMD à s’entendre. Isolé à Canton, où les conservateurs multiplient les vexations à son encontre, Wang décide début octobre de s’allier avec Jiang Jieshi, alors même qu’il l’attaquait dans un discours quelques jours plus tôt. Le refus commun de Wang et Jiang de participer au gouvernement de Sun Ke 孫科 (Sun Fo, 1891-1973), inauguré le 1er janvier 1932, affaiblit ce dernier qui présente sa démission dès le 28 janvier. Wang prend ce même jour la tête du gouvernement comme président du Yuan exécutif (xingzhengyuan 行政院). S’ouvre alors une période de coopération entre Wang et Jiang qui prend définitivement fin en décembre 1938. Cette alliance de raison ne se fait pas sur un pied d’égalité. Président du Comité des affaires militaires (junshi weiyuanhui 軍事委員會), Jiang est, de fait, le numéro un du régime. Il consacre l’essentiel de son temps aux opérations militaires contre le PCC tandis que Wang Jingwei préside à la politique gouvernementale à Nankin.

Il doit composer avec les deux beaux-frères de Jiang, Kong Xiangxi 孔祥熙 (H.H. Kung, 1880-1967) et Song Ziwen 宋子文 (T.V. Soong, 1894-1971), qui ont la haute main sur la politique économique et les finances. Soucieux de capter l’héritage de Sun Yat-sen, Jiang se rapproche de Sun Ke à qui il commande un projet de Constitution en octobre 1932. Prenant une nouvelle fois prétexte de son état de santé, Wang part alors en Europe pour six mois en se faisant remplacer par Song Ziwen. À son retour, il passe par Hong Kong où il tente, en vain, de convaincre Hu Hanmin de relancer la coalition contre Jiang. À Nankin, il retrouve son poste de chef de gouvernement et hérite du portefeuille des Affaires étrangères (waijiaobu 外交部). Ces fonctions font de lui le visage de la politique de conciliation vis-à-vis du Japon. Complétant la stratégie de Jiang qui consiste à “pacifier l’intérieur avant de résister à l’extérieur” (xian annei, hou rangwai 先安內後攘外), cette politique visant à gagner du temps quitte à faire des concessions est résumée par la formule “résistance d’un côté, négociations de l’autre” (yimian dikang, yimian jiaoshe 一面抵抗一面交涉). Cet attentisme se traduit par la signature de plusieurs accords entérinant le grignotage de la souveraineté chinoise depuis le Nord.

Bien qu’il soit sur la même ligne que Jiang, Wang est tenu responsable de ces humiliations par l’opinion. Lors d’une réunion du Conseil exécutif, le 1er novembre 1935, un homme du nom de Sun Fengming 孫風鳴 se faisant passer pour un photographe tire trois balles sur Wang avant d’être roué de coups par Zhang Xueliang. Soupçonné par l’entourage de Wang d’être derrière cet attentat, Jiang ordonne immédiatement à Dai Li 戴笠 (1897-1946) de mener l’enquête. Après avoir remonté une piste conduisant à la Lixingshe 力行社 (Société de la pratique vigoureuse) – le groupe fascisant pro-Jiang dit des “chemises bleues” (lanyi 藍衣) – puis au PCC, Dai Li obtient finalement la réponse qu’il cherchait en torturant personnellement l’épouse de Sun Fengming. L’implication d’opposants à Jiang convainc Chen Bijun de l’innocence de ce dernier. Il s’avère même que Jiang était la cible prioritaire du complot. L’enquête remonte jusqu’au “roi des assassins”, Wang Yaqiao 王亞樵 (1887-1936), qui est tué l’année suivante par la police secrète de Dai Li.

Grièvement blessé, Wang abandonne tous ses postes et part en convalescence en Europe. Ce voyage vise, en outre, à négocier avec l’Allemagne une participation de la Chine au Pacte anti-Komintern devant mettre un terme à la menace japonaise. Des discussions en ce sens avaient été entamées au printemps 1935 et Wang s’était enthousiasmé de l’avis positif émis par Hitler à ce sujet. L’attentat de novembre et la nouvelle crispation des relations sino-japonaises autour de la réforme monétaire et du mouvement autonomiste en Chine du Nord avaient toutefois douché ses espoirs. Si Wang se rend effectivement en Allemagne, il reçoit en chemin un télégramme de Jiang lui demandant de ne plus négocier avec Berlin. Cette décision, qui bride une nouvelle fois Wang, est semble-t-il liée à la mission secrète que Chen Lifu 陳立夫 (1900-2001) doit mener au même moment en URSS mais que Jiang annule finalement.

Wang décide de rentrer en Chine en juillet 1936, mais Chen Bijun lui demande de retarder son voyage, craignant qu’il ne s’implique dans les nouvelles négociations en cours avec le Japon. Prévenu le 12 décembre que Jiang vient d’être arrêté par Zhang Xueliang, Wang précipite son retour. L’Incident de Xi’an lui offre une opportunité inespérée. Le sort de Jiang semble alors d’autant plus compromis que beaucoup de dirigeants de Nankin sont favorables à l’envoi de l’armée contre les mutins, mettant ainsi en danger la vie du Généralissime. Soucieux d’apparaître comme un recours pour diriger le pays, Wang convoque les trois principaux ambassadeurs chinois en Europe, Guo Taiqi 郭泰祺 (1888-1952) à Londres, Gu Weijun 顧維鈞 (Wellington Koo, 1888-1985) à Paris et Cheng Tianfang 程天放 (1899-1967) à Berlin. Lors d’une réunion à Gênes du 19 au 22 décembre 1936, Wang peaufine avec eux une déclaration envoyée aux chancelleries occidentales. Les trois hommes obtiennent qu’il supprime les passages dénonçant toute alliance avec le PCC, afin de ne pas fermer la porte à un soutien de l’Union soviétique. Wang réfléchit, par ailleurs, à la manière d’obtenir le soutien des proches de Jiang dans le cas où celui-ci serait hors-jeu. Tous ces plans deviennent caducs après la libération de Jiang, le 25 décembre. Lorsque Wang arrive à Nankin le 17 janvier 1937, il est doublement marginalisé. D’une part, la politique qu’il a prônée ces cinq dernières années est abandonnée au profit d’un front uni contre le Japon. D’autre part, Jiang a définitivement pris le pas sur lui grâce à l’immense popularité acquise à l’issue de l’Incident de Xi’an. S’il récupère son siège de président du Comité politique central (zhongyang zhengzhi weiyuanhui 中央政治委員會), Wang ne retrouve pas les autres postes qu’il occupait avant son départ.

Après l’éclatement du conflit, il prononce, le 29 juillet 1937, un discours intitulé « un moment critique » (zuihou guantou 最後關頭) dans lequel il revient, pour la justifier, sur la politique de son gouvernement après l’invasion de la Mandchourie. Tout en appelant ses compatriotes à lutter jusqu’à la mort contre l’envahisseur, ce discours refuse d’éluder l’infériorité de la Chine par rapport au Japon. Dans une autre déclaration radiophonique, le 3 août, Wang explique que « tout le monde doit dire la vérité et prendre ses responsabilités » plutôt que de lancer des appels inconsidérés à la guerre. Il va jusqu’à qualifier de hanjian 漢奸 (traîtres aux Han) les dirigeants chinois prônant la rupture définitive des relations diplomatiques avec le Japon. Convaincu que la « guerre de résistance jusqu’au bout » (kangzhan daodi 抗戰到底) conduira la nation chinoise à la destruction, il tente de faire aboutir la médiation de l’ambassadeur Oskar Trautmann (1877-1950) à l’hiver 1937.

Bien qu’il ne participe pas au salon des tenants du « ton bas » qui se tient chez Zhou Fohai, Wang partage leur pessimisme. Mêlé d’anticommunisme, ce sentiment cimente les liens qui s’établissent entre Wang et un groupe chargé de répondre à la propagande du PCC, tout en produisant un discours n’écartant pas la possibilité d’un compromis avec le Japon. Cette organisation, qui se développe entre Chongqing et Hong Kong, et à laquelle participent notamment Tao Xisheng et Gao Zongwu, est chapeautée par Wang. Ce dernier trouve là un moyen de s’impliquer dans les affaires gouvernementales sur lesquelles il a de moins en moins prise. En effet, la réorganisation du parti-État nationaliste pour faire face à l’invasion japonaise formalise le statut de leader de Jiang Jieshi en institutionnalisant la centralisation des pouvoirs entre ses mains. Le poste de zongcai 總裁 (président) est créé pour lui, lors d’un Congrès extraordinaire du GMD début avril 1938. Wang obtient le titre honorifique de vice-zongcai (fuzongcai 副總裁), ainsi que la présidence du Conseil politique du peuple (guomin canzhenghui 國民參政會). Cette instance dans laquelle sont représentés les différents partis politiques du front uni n’est pas une assemblée législative mais seulement consultative.

Au milieu de l’année 1938, les discussions secrètes entre Gao Zongwu et le Japon se précisent. Face au refus de Jiang de les poursuivre, Wang s’impose comme une alternative possible. Ce n’est cependant qu’à la fin de l’automne, semble-t-il, que Wang commence à envisager de rompre avec Jiang. La situation sur le front conforte son pessimisme. Il s’inquiète en particulier des conséquences de la politique de la terre brûlée (jiaotu zhengce 焦土政策). Il écrit régulièrement à Jiang pour lui faire part de son mécontentement à ce sujet. Le 21 octobre 1938, alors que les troupes japonaises font leur entrée dans Canton, Wang déclare à l’Agence Reuters qu’il n’est pas opposé à un accord de paix pour autant que ses termes ne menacent pas l’existence de la Chine. Quelques jours plus tard, le projet de défection de Wang fait l’objet de négociations au Chongguangtang 重光堂 de Shanghai. Après de longs jours d’hésitation et une dernière tentative de convaincre Jiang de négocier la paix, Wang quitte Chongqing le 18 décembre.

Peu après son arrivée à Hanoï, après une escale infructueuse à Kunming pour tenter d’obtenir le soutien de Long Yun 龍雲 (1884-1962), Wang fait publier son « télégramme du 29 » décembre (yandian 豔電) adressé au Conseil suprême de défense du GMD. Exclu du parti qu’il avait contribué à fonder, incapable d’obtenir le soutien espéré de seigneurs de la guerre et trahi par le premier ministre Konoe Fumimaro qui ne mentionne pas le retrait des troupes japonaises dans son discours du 22 décembre 1938, Wang Jingwei tourne en rond dans sa résidence indochinoise et pense à reprendre le chemin de l’exil. Cette option est encouragée par Jiang Jieshi qui envoie des émissaires à Hanoï avec des papiers et de l’argent afin de faciliter le départ de Wang vers l’Europe. Une solution plus radicale est finalement adoptée. À 2 heures du matin, le 21 mars 1939, trois agents du Juntong pénètrent dans la villa où résident Wang et vingt-cinq autres personnes et tuent par erreur Zeng Zhongming. Profondément affecté par la mort de son fidèle secrétaire, Wang exprime sa rancœur à l’égard de Chongqing en publiant, le 28 mars, l’article « Ju yige li 舉一個例 » (Un exemple), qui vise à démontrer l’hypocrisie des dirigeants nationalistes en dévoilant les minutes confidentielles d’une réunion tenue en plein milieu de la médiation Trautmann. Cet article n’a toutefois pas l’effet escompté par Wang : loin de retourner la situation en sa faveur, il est dénoncé comme étant une violation du secret défense et constitue une nouvelle pièce à charge contre le « traître » qu’il est devenu.

Le 24 avril, Kagesa Sadaaki et Inukai Ken organisent l’exfiltration de Wang avec l’aide des autorités françaises. À bord du Hokkōmaru 北光丸, le petit groupe rejoint Shanghai via Taiwan le 7 mai. Durant la période qui sépare son installation à Shanghai de l’inauguration du gouvernement de Nankin, le 30 mars 1940, Wang se rend à deux reprises au Japon. Une première fois en mai puis en octobre 1939. Après la fondation de son gouvernement, en mars 1940, il y retourne pour des visites officielles en juin 1941, décembre 1942 et pour participer, en novembre 1943, à la Conférence de la grande Asie orientale (dai tōa kaigi 大東亜会議), aux côtés des autres alliés asiatiques du Japon. Avant comme après l’inauguration de son gouvernement, Wang multiplie les discours et les lettres ouvertes afin de justifier son choix de traiter avec le Japon et tenter, sans grand succès, de susciter des soutiens en Chine comme à l’étranger.

Les témoignages sur l’exercice du pouvoir par Wang Jingwei durant la guerre convergent sur plusieurs points que l’on retrouve dans le portrait que livre de lui le baron de Boisseson, chargé de négocier la rétrocessions des concessions française en 1943 : « Par son passé révolutionnaire, ses relations avec le Dr Sun Yat-sen dont il se considère comme le seul héritier politique et spirituel, il exerce un incontestable ascendant sur les Chinois qui l’entourent. Ayant la passion du pouvoir il se comporte en véritable dictateur dans la sphère de compétence qui lui est accordé par le Protecteur japonais. […] Très autoritaire, doué d’une intelligence, d’une mémoire et d’une force de travail paraît-il fort supérieure à celles de ses collaborateurs, il terrifie souvent ceux-ci pas ses colères et il entend faire prévaloir son action directe dans toutes les affaires de l’Etat. On m’a souvent dit, que lorsque un haut fonctionnaire devait lui faire un rapport il se bornait souvent à laisser le Président monologuer en vue d’éviter de présenter une opinion qui risquerait de ne pas être la sienne. Ses collaborateurs s’efforcent d’ailleurs de lui voiler, dans la mesure du possible, ce qui pourrait porter atteinte à son prestige et au sentiment de son indépendance de Chef d’Etat. […] Il y a lieu enfin de noter que M. Wang Ching Wei n’échappe pas aux influences de sa famille et de son clan ».

Ce prestige personnel, sans équivalent au sein de l’État d’occupation, fait de Wang le seul homme indispensable du régime. Il joue de cette position en menaçant à plusieurs reprises de démissionner. Devant ses proches, il évoque la possibilité de se suicider en cas d’échec du “Mouvement pour la paix”. La légende court même qu’il aurait ordonné à l’un de ses gardes du corps de l’abattre si le Japon l’obligeait à signer un traité déshonorant pour la Chine. Dans les faits, Wang se montre souvent conciliant avec sa tutelle japonaise, à tel point que Zhou Fohai l’exhorte à plusieurs reprises de ne pas se montrer trop poli lors de ses rencontres avec les autorités d’occupation. S’il ne fait pas de doute que Wang est un nationaliste sincère et désintéressé, il n’est en revanche pas certain qu’il n’ait pas quelque peu cédé à l’illusion d’avoir enfin obtenu son dû. Après une décennie à jouer les seconds rôles derrière Jiang Jieshi, Wang s’arroge (théoriquement) les quasi-pleins pouvoirs et se plaît à parader en uniforme militaire.

Outre les nombreux discours qu’il prononce en toute occasion, il se plie de bonne grâce aux obligations de sa charge en multipliant les banquets en compagnie de dignitaires étrangers. Son entourage cantonais, mené d’une main de fer par Chen Bijun, filtre une partie des informations qui remontent jusqu’à lui. Cet isolement s’aggrave avec la détérioration de son état de santé, fin 1943 ; lointaine séquelle de l’attentat de 1935, dont il a gardé une balle logée dans sa colonne vertébrale. Après une première opération en décembre, il est transféré à l’hôpital de l’Université impériale de Nagoya en mars 1944, où il s’éteint le 10 novembre à 16 heures 20. Wang est enterré sur le Mont d’Or Pourpre (zijinshan 紫金山) au nord-est de Nankin, entre le tombeau du fondateur de la dynastie Ming, Zhu Yuanzhang 朱元璋 (1328-1398), et le mausolée de son mentor, Sun Yat-sen ; une demeure provisoire puisque, suivant ses dernières volontés, Wang aurait dû, à terme, être inhumé au pied de la Montagne des Nuages blanc (baiyunshan 白雲山), près de Canton, aux côtés de ses anciens camarades morts pour la révolution anti-mandchoue. Au soir de ses funérailles, le 23 novembre 1944, Zhou Fohai note : « En ce qui concerne Monsieur Wang, bien que son cercueil ait été aujourd’hui refermé, on ne peut encore porter un jugement définitif sur ses mérites et ses torts ».

Comme toujours, le dernier mot revient aux vainqueurs. Les Nationalistes de Jiang Jieshi, tout d’abord, qui détruisent ledit cercueil à l’explosif puis réduisent sa dépouille mortelle en cendre dans un four crématoire. Les Communistes, ensuite, qui désignent Wang Jingwei pour la postérité comme le plus grand traître à la patrie de l’Histoire chinoise.

Sources : Boorman 1964 (BDRC) ; MRZ, vol. 7, p. 284-304 ; Wang Jingwei Irrevocable Trust ; Li Zhiyu 2014 ; Cai Dejin 1988 ; Bergère 1994, p. 165 et passim ; Maitron, p. 623 ; Yang Lihui 2005, p. 154-155 ; Roux 2016, p. 208, 614 ; So Wai-Chor 1991, 2002 ; Hsu Yu-ming 1999 ; Wakeman 2003, p. 182-186 ; Wang Ke-wen 2001 ; Huang Meizhen 1984a, p. 172-181 ; Martin 2014, p. 161 ; Hwang 1998, p. 56 ; Chen Choong-cho ; ADF 327, 77 ; AH 118-010100-0038-023 ; Hu Lancheng, p. 187 et passim ; ZR, p. 948, 953.

Originaire de Xinning (act. Taishan, Guangdong), Wu Chengyu étudie le droit à l’Université Hōsei 法政大学 de Tokyo et adhère à la Ligue jurée (tongmenghui 同盟會) à sa création. En 1907, il part pour Philadelphie où il diffuse le mouvement révolutionnaire dans la communauté chinoise en créant une branche locale de la Ligue jurée et son organe de presse, le Shaonian Zhongguo chenbao 少年中國晨報 (Le journal du matin de la jeune Chine). Durant son séjour aux États-Unis, il fréquente la fille aînée de Sun Yat-sen, Sun Ting 孫娗. Bien qu’il se soit juré de ne pas se marier avant de voir la révolution triompher, Wu envisage de l’épouser, mais Sun Ting contracte une maladie qui l’oblige à rentrer en Chine où elle décède peu après. Dès cette époque, Wu développe un grand intérêt pour l’aviation, devenant le premier en Chine à prôner la création d’une flotte aérienne financée par chaque province à hauteur de vingt appareils par an. En 1914, Wu rejoint Sun au Japon, où ce dernier s’est de nouveau réfugié après l’échec de la “seconde révolution”. Sun fait de lui son émissaire aux Philippines et dans les communautés chinoises d’Asie du Sud-Est. Sa proximité avec Sun ne l’empêche pas de remettre en cause la doctrine du futur “père de la nation”. Considérant que le principe démocratique (minquan 民權) ne pourra être atteint tant que le peuple n’aura pas gagné en vertu,  Wu propose de créer un quatrième “principe du peuple”, celui de la “vertu du peuple” (minde zhuyi 民德主義). Zhang Zuolin utilise également cette notion en 1922 puis en 1927, sans que l’on sache s’il existe un lien entre les deux.

De retour en Chine en 1917 après une décennie à l’étranger, Wu occupe plusieurs postes : président de la Fédération nationale des syndicats (quanguo zonggonghui 全國總工會), première organisation ouvrière chinoise, secrétaire de la présidence à Pékin (dayuanshuaifu shicong mishu 大元帥府侍從秘書), juge du tribunal de grande instance ou encore conseiller de l’Armée de reconstruction nationale (jianguojun zongcanyi 建國軍總參議). Après la mort de Sun Yat-sen en mars 1925, Wu se retire de la vie politique et ne renouvelle pas son adhésion au GMD. Il s’installe à Shanghai où il travaille comme avocat et enseignant. Il conseille notamment la plus grande star de cinéma de l’époque Ruan Lingyu 阮玲玉 (1910-1935), qui, prise dans un scandale de mœurs, finit par se suicider. S’il s’éloigne des sphères dirigeantes, Wu n’en continue pas moins à s’investir dans les milieux associatifs proches du GMD en qualité de membre ou de conseiller. Il participe ainsi à l’Association populaire de soutien à la diplomatie (guomin waijiao houyuanhui 國民外交後援會), qui vise à recouvrer les territoires transférés au Japon en 1919, ainsi qu’à plusieurs organisations de la diaspora chinoise, telles que l’Association des Chinois d’outre-mer (Huaqiao gonghui 華僑公會). Il préside également la Grande alliance sino-coréenne de résistance nationale contre le Japon (Zhong-Han minzu kangri datongmeng 中韓民族抗日大同盟) fondée en janvier 1932 pour aider la Chine au moment de l’Incident de Shanghai par des indépendantistes coréens exilés tels que Jo So-ang 조소앙 趙素昂 (1887-1958). Cette implication dans la mobilisation patriotique anti-japonaise n’empêche pas Wu de fréquenter, par ailleurs, l’Association des peuples d’Asie orientale (dongfang minzu xiehui 東方民族協會) qui promeut un panasiatisme légitimant l’impérialisme nippon.

Les circonstances dans lesquelles Wu Chengyu accepte de collaborer avec l’occupant japonais quelques mois après le début de la guerre nous sont principalement connues grâce au témoignage donné par ce dernier lors de son procès après-guerre. Au printemps 1938, Wu reçoit la visite de son vieil ami, le maire de Shanghai Su Xiwen, accompagné d’un officier de la police militaire japonaise (kenpeitai 憲兵隊) désireux d’utiliser son entregent pour aider au recrutement de l’ancien premier ministre Tang Shaoyi 唐紹儀 (1862-1938), également cantonais, que les Japonais espèrent placer à la tête du Gouvernement réformé (weixin zhengfu 維新政府) fondé le 28 mars 1938. Dans le même temps, il est convié par un autre compatriote cantonais, Wen Zongyao, à rejoindre le nouveau régime. En acceptant, il devient l’une des cible de la campagne d’attentats qui vise alors les collaborateurs. Le 24 juin, une attaque contre ses bureaux tue et blesse grièvement deux employés. En août 1938, Wu Chengyu accepte de siéger dans le comité du Yuan législatif (lifayuan weiyuanhui 立法院委員會) du Gouvernement réformé dirigé par Liang Hongzhi. Il fait figure d’exception parmi des dirigeants largement hostiles au GMD. Il partage cette particularité avec Chen Qun, qui le recrute pour donner des cours dans son École de formation à l’administration de district du ministère de l’Intérieur (neizhengbu xianzheng xunliansuo 內政部縣政訓練所). Wu publie ses cours en février 1939 sous le titre Weixin zhenggang yuanlun 維新政綱原論 (De l’origine du programme politique du Gouvernement réformé), rare tentative de doter le premier régime collaborateur de Chine centrale d’une idéologie cohérente. Wu critique le GMD de Jiang Jieshi au nom des principes de Sun Yat-sen, en écrivant notamment que les principes du “tianxia wei gong 天下為公” (le monde appartient à tous) et du “minquan 民權” (démocratie) sont totalement incompatibles avec la dictature du Parti. Si Wu reprend la propagande alors en vigueur en Chine centrale contre la tutelle politique du GMD, il se démarque de la ligne politique jusque-là dominante en zone occupée où le rejet du GMD par les collaborateurs de la première heure inclus les Trois principes du peuple de Sun Yat-sen. Ce faisant, il accompagne l’aggiornamento imposé, non sans résistance, par Tokyo aux gouvernements collaborateurs après la défection du dirigeant nationaliste Wang Jingwei fin 1938. Après l’installation de ce dernier à Shanghai au printemps 1939, Wu est invité par Chu Minyi à rencontrer Wang qui l’interroge sur l’opinion qu’ont de lui les dirigeants du Gouvernement réformé. Lors de son procès après-guerre, Wu affirmera avoir alors conseillé à Wang de ne pas former un nouveau gouvernement.

Le rôle de théoricien que se donne Wu dans le Gouvernement réformé trouve à s’épanouir dans la Daminhui 大民會 (Association du grand peuple), principale organisation de masse en Chine centrale au début de la guerre, qui compte jusqu’à 150 000 membres. Fondée le 15 juillet 1938, elle fait du minde zhuyi 民德主義 (doctrine de la vertu populaire) élaboré par Wu dès les années 1910, le pilier de son idéologie. Contrairement à son équivalent dans le Nord, la Xinminhui 新民會, l’Association du grand peuple se révèle toutefois incapable d’acquérir un véritable poids politique. Passée sous le contrôle du groupe de Wang Jingwei en juin 1940, elle est dissoute le 17 décembre 1940. Après la fondation du gouvernement de Wang Jingwei en mars 1940, Wu Chenyu siège au sein du Comité du Yuan législatif (lifa weiyuan 立法委員), tout en dirigeant le Comité des affaires juridiques (fazhi weiyuanhui 法治委員會) jusqu’en 1942, puis celui des affaires étrangères (waijiao weiyuanhui 外交委員會) jusqu’à la fin de la guerre.

Fidèle à son engagement en faveur de la démocratie constitutionnelle, il participe aux travaux du Comité pour la mise en place du gouvernement constitutionnel (xianzheng shishi weiyuanhui 憲政實施委員會) aux côtés de Wu Kaisheng notamment. Considéré par les observateurs japonais, tels que Manabe Fujiharu 真鍋藤治, juriste travaillant pour le Bureau à Shanghai de la Compagnie ferroviaire du Sud-Mandchourien (mantetsu Shanhai jimusho 満鉄上海事務所), comme le membre le plus influent du comité, Wu fait connaître ses idées dans la presse spécialisée. En avril 1940, il publie ainsi dans le Xianzheng yuekan 憲政月刊 (le mensuel du gouvernement constitutionnel) d’Iwai Eiichi et Yuan Shu, un essai offrant une solution pour accéder à la phase constitutionnelle. Le principal obstacle à l’adoption d’une Constitution est l’incapacité du Gouvernement national réorganisé à réunir une Assemblée nationale constituante faute de contrôler un territoire suffisant et donc de pouvoir élire un quorum de députés. Pour remédier à ce problème, Wu propose que le scrutin ne soit plus fondé sur le nombre de districts mais sur la population. Dans un autre article, il défend l’idée d’une “nationalisation des Trois principes du peuples” (san min zhuyi guojiahua 三民主義國家化), considérant qu’ils sont un bien commun de la nation chinoise et non pas la propriété du seul GMD. Un plus grand obstacle se met toutefois en travers de la nouvelle Constitution : une fois assurée l’hégémonie de son GMD “orthodoxe” sur les autres partis collaborateurs de Chine centrale, Wang Jingwei trahit sa promesse en mettant fin au processus constitutionnel.

Poursuivant son enseignement à l’École de formation à l’administration de district du ministère de l’Intérieur, Wu publie en 1942 ses cours sous le titre Guomin zhengfu zhenggang zhi lilun yu shishi 國民政府政綱之理論與實施 (Théorie et mise en pratique du programme politique du Gouvernement national). Suivant les principes sunistes en matière de démocratie locale, il y professe la mise en place d’organisations d’expression de la volonté populaire (minyi jiguan 民意機關) en attendant l’organisation d’une Assemblée nationale. Il propose même de préparer les futures élections en menant des enquêtes secrètes en zone libre afin de dresser des listes de candidats. En novembre 1944, il déclare au journaliste Kimura Hideo 木村英夫 vouloir œuvrer pour l’avènement d’une “troisième force” à même de gouverner la Chine. S’il ne se prononce pas en faveur d’un parti, Wu préconise que cette force ne soit liée ni au “camp de la résistance” (GMD et PCC), ni au “camp de la paix” (Nankin). Alors que se profile la défaite du Japon et une réorganisation des relations internationales sous l’égide des Nations unies, Wu croit plus que jamais dans la nécessité d’implanter la démocratie en Chine au moyen de l’autonomie locale. À cette fin, il organise avec Chen Zhongfu l’Association pour l’autonomie locale de la municipalité spéciale de Shanghai (Shanghai tebieshi difang zizhi xiehui 上海特別市地方自治協會)

Arrêté par le Juntong 軍統 au lendemain de la capitulation japonaise, Wu Chengyu est jugé pour trahison. Durant son procès, il met en avant le fait que les décisions étaient prises par le Comité politique central (zhongyang zhengzhi weiyuanhui 中央政治委員會) et non pas par le Yuan législatif, arguant qu’il n’était donc en rien impliqué dans la rédaction ou le vote des lois. Plusieurs résistants témoignent en sa faveur, attestant que Wu a obtenu la libération de soixante-dix à quatre-vingt personnes arrêtées par l’occupant. En mai 1947, il est condamné à huit ans de prison. Ses juges expliquent la clémence de cette peine par ses « actions en faveur du peuple » sous l’occupation. Il est libéré avant la prise de pouvoir des Communistes et s’installe à Taiwan en avril 1949. En avril 1950, alors qu’il tente de quitter Taipei pour retourner à Pékin via Hong Kong, Wu est arrêté par les autorités nationalistes puis condamné à quinze ans de prison. Durant sa détention, il rédige de nombreux ouvrages sur le confucianisme, le tridémisme et l’anticommunisme, ainsi que sur le droit. Remis en liberté en 1960, il décède deux ans plus tard à Taipei. Une courte nécrologie le désignant comme un “vétéran de la Révolution [geming laoren 革命老人]” paraît au lendemain de sa mort dans le principal organe de presse du GMD, le Zhongyang ribao 中央日報 (Central Daily News).

Sources : Xu Youchun 2007, p. 375-376 ; Seki 2019, p. 287, 311-333, 559 ; Tsuchiya 2015 ; Zhang Lei 1994, p. 294 ; SWHB, p. 1099-1146 ; Liu Jie 2016 ; Horii 2011, p. 129 ; CIA Strategic Services unit 1946, p. 33 ; Chi Man Kwong 2017, p. 82.

Né à Yixing (Jiangsu) dans une vieille famille locale qui s’est illustrée à la fin des Ming avec Wu Liang 吳亮 (1562-1624), Wu Kaisheng étudie à la St John’s University de Shanghai avant de partir pour la France. Formé à la Faculté de droit de Lyon, où il séjourne à l’Institut franco-chinois, Wu soutient en 1924 une thèse de doctorat consacrée à la Constitution du 10 octobre 1923 (Le problème constitutionnel chinois, Lyon : Bosc frères et M. & L. Riou, 1925). Après l’arrêt de sa bourse, il travaille comme correspondant en Europe pour le Shenbao 申報 et le Xinguomin ribao 新國民日報 (Singapour). Sa thèse ayant été remarquée, il intègre des centres de recherche en droit comparé à l’Université de Paris et de Londres. Encouragé par son maître, le juriste Édouard Lambert (1866-1947), Wu publie un second ouvrage en français intitulé La Politique étrangère du gouvernement national de Chine et la révision des traités inégaux (Paris : M. Giard, 1931). Il travaille ensuite comme secrétaire de Wang Chonghui 王寵惠 (1881-1958), qui siège alors à la Cour permanente de justice internationale de La Haye.

À son retour en Chine en 1926, Wu ouvre avec trois associés un cabinet d’avocat dans la concession française de Shanghai. Premier avocat chinois capable de plaider aussi bien en français qu’en anglais, il fait rapidement fortune et se constitue un important carnet d’adresses, comme en témoigne son mariage, en 1927, auquel plus de cinq cent convives participent. Avocat patriote, Wu Kaisheng est remarqué par la presse pour avoir obtenu, en 1926, des dommages et intérêt pour le tireur de pousse-pousse Chen Atang 陳阿堂, tabassé par un marin japonais. Cet engagement, et la célébrité qui l’accompagne, l’amène à entamer une carrière de diplomate. Après avoir participé en janvier 1927 aux négociations pour la rétrocession de la concession britannique de Hankou, il sert à partir de 1928 comme secrétaire au ministère des Affaires étrangères (waijiaobu 外交部). En 1929, il est envoyé en poste à la Société des nations et à l’ambassade de Chine en Suisse. Il fait de la lutte contre l’importation de drogues en Chine l’un de ses principaux chevaux de bataille et fait pression sur la SDN après l’invasion de la Mandchourie. De retour en Chine en 1932, Wu poursuit sa carrière diplomatique comme membre du Comité des affaires étrangères du Gouvernement national (guomin zhengfu waijiao weiyuanhui 國民政府外交委員會), tout en enseignant le droit et en continuant à exercer comme avocat à Shanghai, où son cabinet sis au 36 de la rue de Nankin devient le plus important de la ville.

L’entregent de Wu l’amène à fréquenter aussi bien les cercles gouvernementaux que l’opposition politique au GMD. Il travaille ainsi comme conseiller juridique pour la Ligue chinoise des droits de l’homme (Zhongguo minquan baozhang tongmeng 中國民權保障同盟) fondée en décembre 1932 par Song Qingling, Cai Yuanpei 蔡元培 (1868-1940) ou encore Yang Xingfo 楊杏佛 (1893-1933), assassiné l’année suivante par les sicaires du régime de Nankin. Assurant la défense des prisonniers politiques y compris communistes, Wu obtient notamment la libération du fils de Liao Zhongkai, Liao Chengzhi 廖承志 (1908-1983), arrêté en 1933 pour ses activités au sein du syndicat des marins chinois. Ses carrières parallèles d’avocat et de diplomate se trouvent parfois mêlées, comme lors du procès retentissant de Du Zhongyuan 杜重遠 (1898-1944), rédacteur en chef de la revue Xinsheng 新生 (Vie nouvelle), suite à la publication, le 4 mai 1935, de l’article “Xianhua huangdi 閒話皇帝” (Paroles oiseuses sur l’empereur). L’article affirme que le véritable pouvoir au Japon n’est pas détenu par l’empereur mais par les militaires et les oligarques. Il fait suite à un éditorial du même Du Zhongyuan, le 22 juin 1934, dans lequel celui-ci dénonçait l’impérialisme nippon depuis 1931 et l’impuissance du gouvernement de Nankin. Sous la pression de groupes nationalistes japonais relayés en Chine par des militaires comme Kagesa Sadaaki, les autorités chinoises locales puis nationales interdisent la revue et lui intentent un procès à la demande du ministère des Affaires étrangères, alors dirigé par Wang Jingwei, inquiet de voir s’obscurcir l’éclaircie diplomatique qui semblait se dessiner entre les deux pays. Le gouvernement s’ingère directement dans la préparation du procès afin que ne soit pas mentionné le fait que la censure chinoise a laissé passer l’article. Chargé de défendre Du Zhongyuan, Wu Kaisheng tente de démontrer que son client n’est pas anti-japonais, mais ce dernier écope de quatorze mois de prison.

À la demande de Wang Chonghui, ministre des Affaires étrangères lorsque éclate la guerre sino-japonaise, Wu sonde l’ambassade de France en Chine en décembre 1937 dans l’espoir d’une intervention française auprès du Japon, après l’échec de la médiation allemande. En 1938, il vient en aide aux réfugiés juifs à Shanghai. Les circonstances dans lesquelles il rallie le Mouvement pour la paix de Wang Jingwei, après son lancement à Shanghai au printemps 1939, ne sont connues qu’à la lumière du témoignage laissé après-guerre par Wu lui-même. Si ce ralliement se fait à la demande des autorités de Chongqing, Wu infiltre en réalité le clan pro-japonais pour le compte du PCC. Avec l’aide de l’espion Pan Hannian 潘漢年 (1906-1977), également originaire de Yixing, il communique avec Chongqing et Yan’an au moyen d’un radio-transmetteur caché à son domicile et facilite les activités clandestines de la résistance. Après l’inauguration du gouvernement de Wang Jingwei en mars 1940, Wu Kaisheng est nommé vice-président du Comité d’examen et de sélection (kaoxuan weiyuanhui 考選委員會), l’une des deux branches du Yuan d’examen (kaoshiyuan 考試院), et membre du Comité pour la mise en place du gouvernement constitutionnel (xianzheng shishi weiyuanhui 憲政實施委員會) en 1940. Principale promesse du Gouvernement national réorganisé, la fin de la tutelle politique (zhizheng 執政) et le passage à phase constitutionnelle (xianzheng 憲政), suivant le programme de Sun Yat-sen, peut alors apparaître comme bien chimérique au regard de la situation dans laquelle se trouvent le pays en général et le groupe de Wang Jingwei en particulier. Elle suppose en effet d’organiser des élections nationales pour élire une Assemblée constituante ; processus entamé avec retard par les Nationalistes après l’adoption du “Projet de Constitution du 5 mai [1936]” (wuwu xiancao 五五憲草). En réalité, la promesse démocratique vise d’abord à justifier la rupture de Wang Jingwei avec Chongqing, tout en réaffirmant la légitimité du GMD contestée par les collaborateurs de la première heure. Elle permet, par ailleurs, de justifier l’intégration de ces derniers dans les instances du GMD “orthodoxe” au nom du multipartisme à venir.

Spécialiste en droit constitutionnel, Wu Kaisheng est choisi pour porter ce projet, ce qui ne va pas sans inquiéter les autorités japonaises qui suivent de près les travaux du Comité pour la mise en place du gouvernement constitutionnel. Wu prend en effet position publiquement à propos de l’Article 4 définissant le territoire national dans le “Projet de Constitution du 5 mai”, qui sert de base aux différentes ébauches constitutionnelles durant la guerre. Selon Wu, la future Constitution ne doit pas se contenter d’établir la liste des provinces formant la République de Chine, mais inclure également les grandes villes comme Shanghai afin de rendre anticonstitutionnelle l’existence des concessions étrangères. Cet Article 4 constitue un problème épineux pour le camp japonais : de son contenu risque de dépendre l’issue des négociations qu’espère encore mener Tokyo avec Chongqing. La solution proposée par les diplomates japonais consiste à faire de l’Article 4 une liste non exhaustive ne précisant pas si les provinces mandchoues relèvent ou non du territoire national chinois. Wu Kaisheng s’oppose également à plusieurs membres du Comité pour la mise en place du gouvernement constitutionnel. Ces derniers refusent que l’Article 1 du projet de 1936 soit maintenu au motif qu’il définit la “République de Chine comme la république des Trois principes du peuple” du fondateur du GMD Sun Yat-sen et qu’il contrevient donc à l’égalité entre les partis politiques. En juillet 1940, Wu s’élève publiquement contre la suppression de l’Article 1 car le tridémisme constitue, à ses yeux, le fondement du salut national. Cet argument est révélateur de la conception qu’ont les dirigeants nationalistes comme Wang Jingwei du gouvernement constitutionnel : même après la fin de la tutelle politique exercée par le GMD, il convient selon eux de conserver à ce dernier un statut spécial au-dessus des autres partis.

Fort de son expérience de diplomate, celui que les chancelleries occidentales connaissent sous le nom de James Wu (ou Woo) se voit attribuer les postes fictifs d’ambassadeur en Italie (1941) et en Croatie (1942). Membre du Comité de recouvrement de la concession française (jieshou Faguo zhuanguan zujie weiyuanhui 接受法國專管租界委員會) établi en 1943, il devient vice-ministre des Affaires étrangères (waijiaobu cizhang 外交部次長) en octobre 1943, puis secrétaire général du Comité pour l’abolition des droits extraterritoriaux en Chine (chefei geguo zai Hua zhiwaifaquan weiyuanhui 撤廢各國在華治外法權委員會) en 1945. Son sort au sortir de la guerre n’est pas clair. Selon certaines sources, sa coopération secrète avec le gouvernement de Chongqing pendant l’occupation lui vaut de voir sa peine de prison réduite de dix à cinq ans. Selon d’autres, il parvient à se faire libérer en produisant un document signé de la main de Jiang Jieshi attestant de son rôle dans la résistance, avant d’être à nouveau condamné.

On retrouve sa trace en 1951 lorsqu’il est transféré dans le camp de rééducation Dafeng 大豐 de Yancheng 鹽城 (Jiangsu). Durant une tournée d’inspection en 1955, Chen Geng s’émeut du sort de l’ancien as du barreau shanghaien, qu’il fait libérer pour avoir défendu des Communistes dans les années 1930. N’étant pas autorisé à exercer comme avocat, Wu gagne sa vie en donnant des cours de français. Jeté en prison pendant la Révolution culturelle, il est libéré à la demande de Zhou Enlai qu’il avait connu en France et aidé avant-guerre. Son statut de “contre-révolutionnaire” l’oblige toutefois à travailler comme balayeur. Après la fin de la Révolution culturelle, Wu est recruté comme chercheur dans plusieurs institutions telles que l’Institut de recherche en droit de l’Académie des sciences sociales de Shanghai (Shanghai shehui kexueyuan faxue yanjiuyuan 上海社會科學院法學研究院). Sa réhabilitation publique a lieu en 1982 avec la publication, le 7 mars, de l’article “Gongchandang bu hui wangji laopengyou 共產黨不會忘記老朋友” (Le Parti communiste n’oublie pas ses vieux amis) dans le Jiefang ribao 解放日報 (Libération), organe du PCC à Shanghai. La même année, Wu intègre l’Institut de recherche sur la culture et l’histoire de Shanghai (Shanghai wenshiguan 上海文史館) conçu dans l’esprit du Front uni pour préserver les documents historiques extérieurs au PCC. Il est, lui-même, l’auteur de plusieurs wenshi ziliao, notamment sur son expérience comme avocat. Lors de la visite du président François Mitterrand à Shanghai en mai 1983, Wu Kaisheng est invité au banquet par le consulat français de Shanghai. Il décède à Shanghai en 1997.

Sources : MRDC, p. 366 ; Baidu ; Ye Yonglie 2017 ; MZN, p. 1077 ; ADF 327, 503bis ; ZGBR, p. 1045 ; Xu Xiaoqun 2004, p. 52 ; Chin Sei-Jeong 2008, p. 141-144 ; Seki 2019, p. 306 ; Henshaw 2019, p. 137 ; JACAR B10070433100.

Originaire de Jingde (Anhui), Wang Shijing étudie à l’École d’intendance de l’armée de terre de Pékin, puis, au Japon, à l’École d’intendance de l’Armée de terre (rikugun keiri gakkō 陸軍経理学校). À son retour en Chine, il est engagé par le gouvernement Beiyang comme secrétaire du ministre des Finances Wang Kemin. Après l’avènement du Gouvernement nationaliste en 1928, Wang travaille pour la Banque de Chine (Zhongguo yinhang 中國銀行) dans les succursales de Hankou et de Shenyang, où l’invasion japonaise de la Mandchourie fin 1931 entraîne l’arrêt des activités de la Banque de Chine.

Wang met alors ses talents au service du Manzhouguo 滿洲國, sans toutefois obtenir la direction de la nouvelle Banque centrale mandchoue (Manzhou zhongyang yinhang 滿洲中央銀行) qu’il convoitait. Outre son expertise dans le domaine bancaire, Wang profite des relations de son beau-frère Yin Tong avec les Japonais pour nouer des liens avec Koyama Sadamoto 小山貞知 (1888-1968), un conseiller de la Mantetsu 滿鐵 (Compagnie du chemin de fer sud-mandchourien) et de l’Armée du Guandong (Kantō-gun 関東軍) proche de Doihara Kenji. Koyama l’envoie à Shanghai où il a pour mission de s’informer sur les milieux bancaires pour le compte du Japon.

Au début de la guerre, Koyama présente Wang au directeur de la Mantetsu, Sakatani Saichi 坂谷希一 (1889-1957), qui cherche alors à mettre en place une banque centrale contrôlée par le Japon en Chine du Nord. Le mois suivant, Wang arrive à Pékin où il reprend du service aux côtés de son ancien chef, Wang Kemin. Ce dernier est placé par l’occupant à la tête du Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府), dont Wang Shijing devient le ministre des Finances (caizhengbu zongzhang 財政部總長) en janvier 1938. Avec l’aide de Koyama, Wang établit la Banque fédérale de réserve (lianhe zhunbei yinhang 聯合準備銀行), plus connue sous son diminutif de Lianyin 聯銀, au moyen de laquelle le Japon cherche à intégrer la Chine du Nord au bloc yen.

Lui-même un banquier chevronné, Wang Kemin entend cumuler le poste de directeur de la nouvelle banque. Sous la pression de Koyama, le conseiller en chef du Gouvernement provisoire, Kita Seiichi, est toutefois contraint de laisser le poste à Wang Shijing. Furieux, Wang Kemin retarde son décret de nomination jusqu’à la veille de l’inauguration de la Banque fédérale de réserve, le 10 mars 1938. Afin de consolider son statut de grand argentier de la Chine du Nord, Wang Shijing place à la tête de la dizaine de succursales que comptent la banque les hommes qui travaillaient pour lui à Shenyang avant 1932. Leur activité est toutefois étroitement chapeautée par des conseillers détachés de la Banque du Japon. Incité par sa tutelle à se rendre à Tokyo afin de remercier les différents “soutiens” de la Banque fédérale de réserve, Wang Shijing repousse l’invitation jusqu’en janvier 1940. Accompagné de son principal conseiller japonais, Sakatani Saichi, Wang rencontre alors les membres du gouvernement.

Après la formation du régime de Wang Jingwei en mars 1940, Wang Shijing conserve la direction des Finances (caiwu zongshu duban 財務總署督辦) au sein du Conseil des affaires politiques de Chine du Nord (Huabei zhengwu weiyuanhui 華北政務委員會) jusqu’à la fin de la guerre. Il siège également dans plusieurs comités du gouvernement central de Nankin à partir de 1943. En septembre 1944, il se rend au chevet de Wang Jingwei à Nagoya, au nom du gouvernement de Pékin. Lors de son séjour dans l’Archipel, il fait don au gouvernement japonais de vingt mille tonnes de sel et signe un prêt de trois cent millions de yens.

S’il a su, dès le début des années 1930, gagner la confiance de l’occupant japonais, Wang Shijing prend toutefois garde de ne jamais rompre ses liens avec le Gouvernement nationaliste, à commencer par ceux qu’il entretient avec son ancien supérieur à la Banque de Chine, Song Ziwen 宋子文 (T.V. Soong, 1894-1971). Ainsi, lorsqu’il est pressenti fin 1937 pour prendre la direction de la Banque fédérale de réserve, Wang prend soin d’obtenir au préalable l’accord de Jiang Jieshi, qu’il contacte par l’intermédiaire de Wu Dingchang 吳鼎昌 (1884-1950). Du reste, son beau-frère Yin Tong est lui-même une source d’information précieuse pour Chongqing. Tous deux sont en contact avec la cellule pékinoise du Juntong 軍統 (les services secrets nationalistes). Avec l’accord tacite des autorités militaires japonaises, ils installent en 1942 un émetteur radio au domicile de Yin Tong afin de faciliter leurs échanges avec Chongqing. Si l’on en croit certaines sources, c’est à l’aide de cet émetteur que l’état-major japonais à Pékin transmet à Chongqing sa demande de reddition le 15 août 1945.

Au lendemain de la défaite japonaise, Wang rassemble tous les documents sensibles qu’il peut trouver afin de les transmettre aux agents du Juntong. En octobre, il s’envole pour Chongqing dans l’espoir de faire valoir ses états de service dans la résistance, mais il n’obtient pas d’être reçu par Jiang Jieshi. Revenu à Pékin dix jours plus tard, Wang retourne travailler à la Banque fédérale de réserve, alors en train d’être reprise en main par les autorités chinoises, avant de se raviser devant la colère des employés qui exigent de pouvoir toucher leur indemnité de départ. En décembre 1945, le chef de la Police et du Juntong à Pékin, Ma Hansan 馬漢三 (1906-1948), demande à Wang de bien vouloir organiser chez lui un banquet réunissant les principales figures de la collaboration en Chine du Nord, telles que Wang Kemin, Wang Yitang, ou encore Zhou Zuoren. Un invité surprise vient gâcher la soirée : le chef du Juntong, Dai Li 戴笠 (1897-1946), fait irruption et annonce aux convives qu’ils sont consignés au domicile de Wang jusqu’à nouvel ordre. En janvier 1946, Wang est transféré à Nankin où il est condamné à la prison à vie, en dépit des efforts de sa femme pour obtenir sa libération. Détenu à la prison Tilanqiao de Shanghai (Shanghai tilanqiao jianyu 上海提籃橋監獄), Wang meurt dans sa cellule en août 1952.

Sources : Xu Youchun 2007, p. ; 722 ; Wang Tongli 1996 ; SWHB, p. 1346-1376 ; MZN, p. 1021 ; Baidu.

Né à Suzhou, Wu Songgao fait ses études à l’Université Fudan 復旦 (Shanghai), avant de partir pour l’Europe où il étudie à la faculté de droit de la Sorbonne, puis travaille comme chercheur à l’Université de Londres. De retour en Chine, il dirige le département de droit de Fudan et enseigne les relations internationales à l’École politique centrale (zhongyang zhengzhi xuexiao 中央政治學校) qui forme les cadres du GMD. En 1932, il devient conseiller au Yuan exécutif (xingzhengyuan 行政院), puis au ministère des Affaires étrangères (waijiaobu 外交部), tous deux dirigés par Wang Jingwei. En juillet 1935, il est nommé chef du bureau international du ministère des Affaires étrangères (waijiaobu guojisi 外交部國際司), avant de succéder à Li Shengwu comme directeur des Affaires générales. Il occupe, en parallèle, le poste de rédacteur en chef de la revue Waijiao pinglun 外交評論 (Foreign Affairs Review). Deux jours avant la prise de Wuhan par les Japonais, le 27 octobre 1938, Song fait part à Zhou Fohai de son pessimisme quant à l’issue du conflit et la situation internationale. Désespéré à l’idée de devoir s’installer à Chongqing, il accepte volontiers d’être envoyé à Genève comme expert à la Société des nations.

Wu refait parler de lui à l’été 1942, lorsque la presse de Nankin se félicite qu’il soit spécialement revenu du Canada pour servir le régime de Wang Jingwei. Le ministre des affaires étrangères Chu Minyi apprend au consul français qu’en réalité, Wu fait partie des dirigeants nationalistes coincés à Hong Kong au moment de l’invasion japonaise en décembre 1941, qui ont été fortement invités à collaborer. En juillet 1942, il est nommé à la tête du Comité spécial pour les affaires étrangères du Comité politique central (zhongyang zhengzhi weiyuanhui waijiao zhuanmen weiyuanhui 中央政治委員會外交專門委員會) et vice-ministre de la Justice (sifa xingzhengbu cizhang 司法行政部次長). Expert des questions de droit extraterritorial, il siège à partir de mars 1943 dans les commissions chargées d’organiser le recouvrement des concessions. En avril 1944, il devient secrétaire général de la mairie de Shanghai (Shanghai shizhengfu mishuzhang 上海市政府秘書長), puis ministre de la Justice en janvier 1945. Arrêté le 8 septembre 1945, Wu est condamné à la prison à perpétuité. Il meurt à la prison Tilanqiao (Shanghai tilanqiao jianyu 上海提籃橋監獄) de Shanghai en 1953.

Sources : MRDC, p. 368 sq. ; Ling Qihan 1993, p. 34 ; ADF 327 ; ZR, p. 186.

Originaire de Jurong (Jiangsu), Wu Lanxi commence très tôt une carrière d’enseignant avant de reprendre des études à l’université qu’il doit écourter faute d’argent. À l’hiver 1926, il devient membre du GMD. L’année suivante, après l’arrivée des troupes nationalistes de l’Expédition du Nord, Wu participe à la mise en place du bureau du Parti à Jurong (Jurongxian dangbu 句容縣黨部). Opposé à Jiang Jieshi, il rejoint secrètement les rangs de la faction réorganisationniste (gaizupai 改組派) de Wang Jingwei et Chen Gongbo et organise, fin 1929, le mouvement anti-Jiang à Jurong au sein de l’Armée pour la protection du Parti et le salut national (hudang jiuguo jun 護黨救國軍). Exclu à vie du GMD après l’échec de celui-ci, il change son nom en Wu Fusheng 吳伏生 et fonde une École pour l’éducation des masses (minzhong jiaoyuguan 民眾教育館) à Changshu 常熟 (Jiangsu), tout en signant des ouvrages sur Sun Yat-sen du nom de plume Wu Chunsheng 巫春生. À la faveur de l’alliance passée entre Jiang Jieshi et Wang Jingwei, Wu trouve un poste au ministère des Chemins de fer (tiedaobu 鐵道部) en août 1932. Il se lie avec Chen Gongbo, alors à la tête du Comité des campagnes de masse du GMD, dont Wu devient chef de la section des ouvriers. Lors du 5e Congrès de novembre 1935, Wu est officiellement réintégré dans les rangs du GMD. En janvier 1936, le comité est rebaptisé Département central de formation des masses (zhongyang minzhong xunlianbu 中央民眾訓練部). Zhou Fohai en prend la direction après la retraite forcée de Wang Jingwei et de ses proches. En octobre 1936, Wu est muté à la Section de la jeunesse du Bureau central du GMD (zhongyangbu qingnianke 中央部青年科)

Au début de la guerre sino-japonaise, il intègre le Département des affaires sociales du Parti pour diriger le Comité de mobilisation dans le Sud-Anhui au sein de la 3e zone de combat (shehuibu disan zhanqu Wannan zongdongyuan weiyuanhui 社會部第三戰區皖南總動員委員會). En octobre 1938, il est recommandé par Wang Jingwei pour siéger au Comité exécutif du GMD au Jiangsu (Jiangsusheng dangbu zhixing weiyuanhui 江蘇省黨部執行委員會), où il participe à l’organisation de la résistance contre le Japon. Dans le cadre du second Front uni, Wu sert comme agent de liaison avec la Nouvelle 4e armée, ce qui l’amène à travailler avec Chen Yi 陳毅(1901-1972), dont il devient proche. À l’hiver 1941, Wu est exclu du Comité exécutif du Jiangsu, suite à ses différends avec les représentants locaux de la clique CC. Au printemps 1942, il part se faire soigner à Shanghai, sous le nom d’emprunt de Wu Tailai 吳泰來. Ayant retrouvé ses forces en septembre, il sort de l’hôpital dont les frais sont pris en charge par le maire de la ville, Chen Gongbo. C’est à cette époque que Wu fait défection en faveur du gouvernement de Wang Jingwei, ce qui lui vaut d’être exclu à vie du GMD une seconde fois. Il débute sa carrière de collaborateur comme chef du bureau des Vivres à la mairie de Shanghai (Shanghaishi liangshiju 上海市糧食局), avant d’être désigné vice-secrétaire général du Yuan exécutif (xingzhengyuan fumishuzhang 行政院副秘書長) en février 1943.

Durant l’été 1943, Wu joue un rôle central dans le recrutement du communiste Bao Jianhua 包建華 (1912- ?) par Nankin. Commandant de la Nouvelle 4e armée à Danyang, ce dernier est alors hospitalisé à Shanghai. Le responsable de la Campagne de pacification rurale (qingxiang gongzuo 清鄉工作) à Danyang, Zhang Xiuming 張修明, cherche à le faire arrêter. En accord avec la kenpeitai 憲兵隊 (police militaire japonaise), il est finalement décidé d’envoyer Wu Lanxi, originaire comme Bao de Jurong, pour convaincre celui-ci de faire défection avec ses troupes. Après avoir hésité, Bao accepte de former un commando qui lutte avec succès contre la guérilla communiste. Devenu numéro un du régime de Nankin après la mort de Wang Jingwei en novembre 1944, Chen Gongbo confie à Wu la mission de mettre de l’ordre dans le GMD « orthodoxe ». Pour ce faire, il lui demande de démissionner de toutes ses fonctions, à l’exception de celle de vice-chef du Département central d’organisation (zhongyang zuzhibu 中央組織部) du GMD pro-japonais.

Après la dissolution du régime le 16 août 1945, Wu se cache à Yangzhou puis à Shanghai, avant de s’installer à Tianjin. Au début de l’année 1948, il trouve un poste d’enseignant au sein de l’Association régionaliste du Jiangsu (Jiangsu tongxianghui 江蘇同鄉會) à Pékin. En juillet 1949, il retourne à Shanghai et envoie une lettre de repentir au maire de la ville, son ancien ami Chen Yi. L’année suivante, le bureau de l’Éducation de Shanghai le nomme directeur de l’École secondaire Derun puis, en 1953, de l’École Xuhui. Wu est arrêté comme contre-révolutionnaire en 1955. On ne sait pas ce qu’il advient de lui pendant le reste de la période maoïste. Il décède à Jurong en septembre 1982. Wu est l’auteur d’un wenshi ziliao dans lequel il revient sur son rôle aux côtés de Chen Gongbo durant la dernière année du gouvernement collaborateur de Nankin.

Sources : Xu Youchun 2007, p. 573-574 ; Bei Nu 1987 ; Wang Manyun 2010, p. 257 ; Wu Lanxi 2010.

Natif de Hangzhou, Wang Manyun est, avant-guerre, directeur d’une école à Pudong et membre du bureau du GMD à Shanghai. Comme plusieurs agents de ce bureau, restés en zone occupée pour mener des activités de renseignement, il fait défection fin 1938. Proche de la clique CC, il est envoyé à Hong Kong en 1939 par Ding Mocun pour proposer ses services à Zhou Fohai. Grâce à ses liens de frère juré avec Li Shiqun, Wang prend une part active dans l’organisation des services spéciaux pro-japonais qui se mettent alors en place. C’est par l’intermédiaire de Wang, qui est un disciple de Du Yuesheng 杜月笙 (1888-1951) au sein de son organisation personnelle, la Société de la persévérance (hengshe 恆社), que Li gagne les bonnes grâces du parrain de la Bande verte (qingbang 青幫) en lui envoyant le dossier que possèdent les Japonais à son sujet.

Au moment de la formation du gouvernement de Wang Jingwei en mars 1940, Wang Manyun occupe des postes alimentaires au ministère de l’Agriculture et des Mines (nongkuangbu 弄礦部) et, plus tard, au ministère de la Justice (sifa xingzhengbu 司法行政部). Mais c’est des services secrets et de leur extension dans les opérations de “pacification rurale” (qingxiang gongzuo 清鄉工作) qu’il tire son influence. Nommé second de Li Shiqun à la tête du bureau à Suzhou du Comité de pacification rurale (qingxiang weiyuanhui 清鄉委員會), il remplace ce dernier en juin 1943, lorsque le comité est relégué au rang de simple bureau du Yuan exécutif (xingzhengyuan qingxiang shiwuju 行政院清鄉事務局).

À la veille de la défaite japonaise, Wang Manyun organise aux côtés de Zhou Fohai les préparatifs en prévision du retour de l’armée nationaliste, notamment dans le cadre de l’entreprise Minhua 民華 qui, sous le nez des Japonais, constitue des stocks de matières premières. Cette contribution à la résistance lui vaut d’échapper à la peine capitale au sortir de la guerre. Comme d’autres hanjian 漢奸 (traîtres) condamnés à la prison à vie, il poursuit sa peine sous le régime communiste après 1949. Il est l’auteur du wenshi ziliao le plus complet sur la “pacification rurale”.

Sources : Xu Youchun 2007, p. 723 ; ZKD, p. 366 ; Martin 2001 ; Cai Dejin 1986, p. 7 sqq. ; WKS, p. 139, 144 ; ZR, p. 337 ; Wang Manyun 2010.

Né à Linfen (Shanxi) mais originaire de Shaoxing (Zhejiang), Wang Yintai est diplômé en 1906 du Premier Lycée de Tokyo (daiichi kōtō gakkō 第一高等學校), école préparatoire de l’Université impériale de Tokyo, avant de suivre des études de droit à l’Université de Berlin. Durant son séjour dans la capitale allemande, Duanfang 端方 (1861-1911), alors l’un des principaux promoteurs des Nouvelles politiques (xinzheng 新政) à la tête de l’État Qing, lui commande en 1909 un rapport sur le système constitutionnel et les gouvernements locaux allemands. À son retour en Chine en 1913, Wang travaille comme traducteur et conseiller au bureau des Affaires juridiques (guowuyuan fazhiju 國務院法制局) du gouvernement de Pékin, en enseignant parallèlement le droit à l’Université de Pékin. Après avoir été nommé juge au Parquet supérieur (gaodeng jianchating 高等檢察廳) en 1917, il est désigné, en août, conseiller de l’Office de séquestre des biens ennemis, à la suite de la déclaration de guerre de la Chine aux Empires centraux. Wang est donc directement impliqué dans les luttes qui entourent la participation de la Chine à la Grande Guerre. Pour le compte de Duan Qirui 段祺瑞 (1865-1936), il séjourne longuement à Tokyo dans le cadre des négociations accompagnant les “prêts Nishihara”, du nom de Nishihara Kamezō 西原亀三 (1873-1954), un proche du premier ministre Terauchi Masatake 寺内正毅 (1852-1919). Utilisés par Duan pour financer l’armée avec laquelle il compte unifier la Chine à son profit, ces prêts valent à leurs promoteurs chinois d’être fustigés par les jeunes patriotes qui manifestent le 4 mai 1919 à Pékin.

En octobre 1919, Wang est attaché à la mission extraordinaire envoyée à Ourga (Ulan Bator) sous la direction de Xu Shuzheng 徐樹錚 (1880-1925) pour forcer les dirigeants de Mongolie extérieure à revenir sur leur proclamation d’autonomie en pleine guerre civile russe. En 1920, il devient directeur du Bureau des affaires générales de l’Armée de défense des frontières du Nord-Ouest (xibei bianfang jun 西北邊防軍). Chassé d’Ourga par les troupes russes blanches du baron von Ungern-Sternberg (1885-1921) en février 1921, Wang s’installe en Mandchourie où il sert comme conseiller de Zhang Zuolin. De retour à Pékin en janvier 1922, il retrouve un poste dans le gouvernement de Yan Huiqing 顏惠慶 (1877-1950), avant de redevenir conseiller au bureau des Affaires juridiques. En 1926, il est nommé président de la Commission des affaires sino-russes, puis, en juin, vice-ministre des Affaires étrangères (waijiaobu cizhang 外交部次長), ministre un an plus tard, et ministre de la Justice (sifabu zongzhang 司法部總長) en juin 1928, quelques jours avant que l’Expédition du Nord ne renverse le gouvernement de Pékin. Après la victoire des Nationalistes, il devient directeur d’une banque sino-japonaise, l’Exchange Bank of China (Zhonghua huiye yinhang 中華匯業銀行) qui fait faillite en décembre 1928. Il se retire alors à Shanghai où il exerce comme avocat.

Au début de la guerre, Wang Yintai participe au Gouvernement provisoire (linshi zhengfu 臨時政府) de Pékin comme ministre de l’Industrie (shiyebu zongzhang 事業部總長) ; poste qu’il conserve au sein du Conseil des affaires politiques de Chine du Nord (Huabei zhengwu weiyuanhui 華北政務委員會) jusqu’en novembre 1943, tout en siégeant au comité permanent du Conseil. Il s’y distingue par l’efficacité de son administration et par sa résistance à certaines demandes japonaises, n’hésitant pas à critiquer la Compagnie pour le développement de la Chine du Nord (Kahoku kaihatsu kabushiki gaisha 華北開発株式会社) à travers laquelle le Japon exerce sa domination économique. Il supervise notamment le recouvrement des usines réquisitionnées. Il est, dans un premier temps, allié à Wang Kemin contre le groupe de Wang Jingwei, dont il remet en cause le patriotisme devant David Rhein de l’ambassade française. Son rapprochement avec Nankin provoque une rupture avec Wang Kemin. À l’issue d’un entretien avec lui le 16 novembre 1944, Zhou Fohai ne mâche pas ses mots, en paraphrasant le néo-confucéen Zhu Xi 朱熹 (1130-1200) : “Lui qui soutenait Wang Kemin, désire aujourd’hui le remplacer. Quel malheur! Le goût du pouvoir nuit à l’homme“. Wang Yintai obtient satisfaction en prenant la tête du Conseil des affaires politiques de Chine du Nord en février 1945. Il est très apprécié de la communauté française de Pékin, dont il veille au ravitaillement.

Arrêté et jugé au lendemain de la guerre, Wang Yintai est condamné à mort le 8 octobre 1946 par la Haute cour de Nankin (Nanjing gaodeng fayuan 南京高等法院), avant de voir sa sentence commuée en peine de réclusion à perpétuité en décembre 1947 (certaines sources affirment à tort qu’il est exécuté cette même année). Détenu à la prison Tilanqiao de Shanghai (Shanghai tilanqiao jianyu 上海提籃橋監獄), Wang se consacre au bouddhisme et à la rédaction d’un dictionnaire allemand-chinois. Il meurt dans sa cellule en décembre 1961.

Sources : MRDC, p. 96 ; BDRC, vol. 3, p. 399-400 ; MZN ; Park ; ADF 327, 503 ; Coble 2003, p. 70 ; Zeng Zhinong 2001, p. 124 ; ZR 950 ; WZQS, p. 1482, 1615.

Biographical Dictionary of Occupied China

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